Les chercheurs ont été récompensés pour avoir créé « des impulsions extrêmement courtes de lumière qui peuvent être utilisées pour mesurer les processus rapides au cours desquels les électrons se déplacent ou changent d’énergie », indique le jury.
Les avancées des trois physiciens « ont permis d’explorer des processus qui étaient tellement rapides qu’ils étaient auparavant impossibles à suivre », a-t-il ajouté.
Les scientifiques ont réussi à créer des impulsions de lumière de l’ordre de l’attoseconde. « Une attoseconde est si courte qu’il y en a autant en une seconde qu’il y a eu de secondes depuis la naissance de l’univers », relève l’Académie suédoise royale des sciences.
« Les impulsions d’une attoseconde peuvent être utilisées pour identifier différentes molécules, par exemple dans des diagnostics médicaux », poursuit-elle.
Les découvertes des trois physiciens « ouvrent la porte du monde des électrons» , ces particules élémentaires extrêmement légères, gravitant autour du noyau atomique, et chargées d’électricité négative.
« Très, très spécial »
« La physique de l’attoseconde nous donne l’opportunité de comprendre les mécanismes qui sont gouvernés par les électrons », a dit Eva Olsson, présidente du comité Nobel pour la physique, dans un communiqué.
À 65 ans, Anne L’Huillier, qui enseigne à l’université de Lund en Suède, est la cinquième femme à recevoir le prix Nobel de physique depuis 1901.
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Elle a raconté ce mardi qu’elle avait reçu l’appel du jury alors qu’elle était en train de donner un cours. Elle a ensuite repris son cours.
« Je suis très touchée, il n’y a pas tant de femmes qui ont obtenu le prix, donc c’est très très spécia l», a-t-elle réagi devant l’Académie.
Elle a aussi expliqué que ses travaux avaient des applications concrètes dans l’industrie des semi-conducteurs et l’imagerie.
« Dans mon travail, je vois deux choses fondamentales. L’une est d’observer les électrons et leurs propriétés. L’autre est beaucoup plus pratique : la radiation que nous produisons est aussi utile pour l’industrie des semi-conducteurs que pour l’imagerie. Donc il y a vraiment une application pratique », a-t-elle expliqué.
« Allez-y »
Concernant l’observation des électrons, elle a déclaré que «dans ce type de processus, les électrons ressemblent davantage à des vagues, à des vagues d’eau, et ce que nous essayons de mesurer avec notre technique, c’est la position de la crête de la vague».
En 1987, elle a découvert qu’en éclairant un gaz noble avec un laser infrarouge, des « harmoniques » de cette lumière apparaissaient sous forme de flash, chacune avec un cycle différent.
En 2001, Pierre Agostini, professeur à l’Ohio State University aux États-Unis, a réussi à créer une série d’impulsions lumineuses de 250 attosecondes chacune. À la même période, Ferenc Krausz travaillait sur une autre expérience qui lui permit d’isoler une impulsion lumineuse de 650 attosecondes.
Depuis, de «très nombreuses études» ont été publiées sur les attosecondes, a souligné Pierre Agostini dans une entrevue publiée par son université. «C’est vraiment fantastique, quand j’y pense, que ce soit allé aussi loin.»
La chercheuse franco-suédoise figurait parmi les favorites, elle avait en effet remporté le prestigieux prix Wolf en 2022, parfois précurseur du Nobel, conjointement avec Ferenc Krausz, 61 ans, et le Canadien Paul Corkum.
Ferenc Krausz est lui directeur de l’Institut Max Planck en Allemagne. « Je ne savais pas si je rêvais ou si c’était la réalité » quand le comité Nobel a appelé, a-t-il dit dans un entretien à la fondation Nobel alors qu’il se préparait à intervenir lors d’une journée portes ouvertes de l’Institut.
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L’Académie suédoise avait récompensé l’an dernier le Français Alain Aspect, l’Américain John Clauser et l’Autrichien Anton Zeilinger, pionniers des mécanismes révolutionnaires de la physique quantique.
Avant Anne L’Huillier, quatre femmes seulement ont obtenu le prix Nobel de physique depuis sa création en 1901 : Marie Curie (1903), Maria Goeppert Mayer (1963), Donna Strickland (2018) et Andrea Ghez (2020).
La physicienne a encouragé les femmes à se lancer dans une carrière scientifique : « allez-y », a-t-elle dit lors d’une conférence de presse à Lund.
C’est « un très beau message à toutes les jeunes femmes qui hésitent à s’orienter vers des carrières scientifiques », a salué la ministre française de la Recherche Sylvie Retailleau.
Le Nobel de chimie sera décerné mercredi, avant le prix Nobel de littérature jeudi et le prix Nobel de la paix vendredi à Oslo. Le prix Nobel d’économie, décerné pour la première fois en 1969, sera dévoilé lundi 9 octobre.
Pour les lauréats du millésime 2023, le chèque accompagnant le prix est désormais de onze millions de couronnes (1,4 million $CAN), soit la plus haute valeur nominale (dans la devise suédoise) dans l’histoire plus que centenaire des Nobel.
LES LAURÉATS DES DIX DERNIÈRES ANNÉES
Voici la liste des lauréats des dix dernières éditions du prix Nobel de physique, dont les vainqueurs pour 2023 ont été annoncés mardi par le comité Nobel de l’Académie royale des sciences de Suède:
- 2023 : Anne L’Huillier (France/Suède), Pierre Agostini (France) et Ferenc Krausz (Autriche/Hongrie), pour leurs recherches sur le déplacement des électrons à l’intérieur des atomes et des molécules.
- 2022 : Alain Aspect (France), John Clauser (États-Unis) et Anton Zeilinger (Autriche), pour leurs découvertes sur « l’intrication quantique », mécanisme révolutionnaire où deux particules quantiques sont parfaitement corrélées, quelle que soit la distance qui les sépare.
- 2021 : Syukuro Manabe (Japon/États-Unis) et Klaus Hasselmann (Allemagne) pour leurs travaux sur la modélisation physique du changement climatique et Giorgio Parisi (Italie) pour ses travaux sur l’interaction du désordre et des fluctuations dans les systèmes physiques de l’échelle atomique à planétaire.
- 2020 : Roger Penrose (Royaume-Uni), Reinhard Genzel (Allemagne) et Andrea Ghez (États-Unis) pour leurs découvertes sur les « trous noirs » et les secrets de notre galaxie.
- 2019 : James Peebles (États-Unis/Canada), Michel Mayor (Suisse) et Didier Queloz (Suisse) pour leurs travaux sur le cosmos et la première découverte d’une exo-planète.
- 2018 : Arthur Ashkin (États-Unis), Gérard Mourou (France) et Donna Strickland (Canada), pour leurs recherches sur les lasers qui ont permis de mettre au point des outils de haute précision utilisés dans l’industrie et la médecine.
- 2017 : Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne (États-Unis), pour l’observation des ondes gravitationnelles qui confirme une prédiction d’Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale.
- 2016 : David Thouless, Duncan Haldane et Michael Kosterlitz (Grande-Bretagne) sur les isolants topologiques, des matériaux « exotiques » qui permettraient dans un avenir plus ou moins proche de créer des ordinateurs surpuissants.
- 2015 : Takaaki Kajita (Japon) et Arthur McDonald (Canada) pour avoir établi que les neutrinos, des particules élémentaires, avaient une masse.
- 2014 : Isamu Akasaki et Hiroshi Amano (Japon) et Shuji Nakamura (USA), inventeurs de la diode électroluminescente (LED).
- 2013 : François Englert (Belgique) et Peter Higgs (Grande-Bretagne) pour leurs travaux sur le boson de Higgs, une particule élémentaire.