Le chien de Pavlov dans la salle de bain

SCIENCE AU QUOTIDIEN / « Pourquoi entendre de l’eau couler donne envie d’uriner ? Et pourquoi gigoter ou danser sur place semble calmer momentanément cette envie », demande Jocelyne Deslauriers.


Au tournant du XXe siècle, voulant étudier la digestion des chiens, l’éminent savant russe Ivan Pavlov s’est mis à mesurer la quantité de salive qu’ils produisaient quand on leur servait à manger. Mais il s’aperçut rapidement qu’un étrange phénomène était en train de se produire : au bout d’un certain temps, ça n’était plus en apercevant leur nourriture que les chiens se mettaient à saliver, mais quelques moments avant, dès qu’ils entendaient le roulement du chariot qui transportait leur moulée.

Pour en avoir le cœur net, Pavlov se mit à faire sonner une cloche juste avant que les chiens ne reçoivent leur repas. Au début, il n’observa aucune salivation. Mais éventuellement, les animaux se mirent à saliver dès qu’ils entendaient la cloche.



Mine de rien, une page énorme de l’histoire de la psychologie venait de s’écrire. Le « conditionnement » venait d’être démontré pour la première fois : c’est cette idée que le cerveau peut finir, à force de répétition, par associer une réaction automatique (ici, la salivation) à un stimulus dit « neutre » qui n’y est a priori aucunement relié (ici, la cloche). Et cette association peut être suffisamment forte pour que le stimulus déclenche la réaction physiologique.

Si je parle de cette vieille histoire de chien qui bave ici, c’est parce que c’est justement un conditionnement qui donne envie d’uriner (pas à tout le monde, mais à pas mal de gens quand même) quand on entend de l’eau couler.

Le bruit d’un robinet qui coule ressemble en effet, surtout s’il y a de l’eau au fond de l’évier, à celui de l’urine qui arrive dans l’eau de la toilette. Et comme une personne adulte va généralement répéter l’opération entre quatre et neuf fois par jour, l’association devient suffisamment forte pour que n’importe quel bruit qui ressemble à ça puisse déclencher la « miction », comme ils disent en médecine.

L’effet a même été mesuré dans une étude qui s’est servi d’une application mobile faisant jouer un bruit d’eau qui coule pour aider des patients atteints des « symptômes du bas de l’appareil urinaire », qui rend la miction difficile. Résultat : avec le bruit d’eau courante, le débit d’urine des participants a atteint un maximum moyen de 15,7 millilitres par seconde (ml/s) contre 12,3 ml/s sans.



Si bouger fait passer cette envie, c’est simplement parce que cela fixe le cerveau sur autre chose que le conditionnement.

Fait intéressant, et une belle preuve qu’une action que l’on répète plusieurs fois par jour se prête bien au conditionnement, il existe d’autres patterns du même genre, où des stimuli n’ayant a priori rien à voir avec le fait d’uriner en déclenchent l’envie, voire des urgences chez les gens qui ont des problèmes de vessie.

Par exemple, une petite étude publiée en 2012 dans le Journal of Wound, Ostomy and Continence Nursing a demandé à une vingtaine de gens atteints du syndrome d’hyperactivité vésicale (caractérisé par des « urgences » de se rendre à la salle de bain, avec ou sans incontinence) s’il y avaient des situations particulières où l’envie d’uriner les prenait.

Presque tous ont indiqué « quand je suis en train de marcher vers la salle de bain », et près des trois quarts ont répondu « quand j’ouvre la porte de ma maison » — sans doute parce que le retour chez soi est souvent un moment où l’on peut cesser de se retenir et aller se soulager.

Une autre étude, plus grande, a confirmé ces résultats quelques années plus tard et trouvé quelques autres stimuli associés à l’envie d’uriner, comme se trouver à proximité d’une salle de bain qui nous est familière.

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