Au cours des années qui ont précédé la pandémie, des dizaines de rapports provinciaux, d’articles scientifiques et de reportages ont fait état de décennies de sous-financement, de négligence, de mauvaise reddition de comptes et de réglementation inadaptée ou inappropriée. Rédigé avec des collègues de la Société royale du Canada, notre rapport de 2020, Rétablir la confiance : La COVID-19 et l’avenir des soins de longue durée, a montré à quel point ces lacunes, auxquelles s’ajoutent des résidents et des résidentes présentant des problèmes de santé complexes, une infrastructure désuète et un personnel laissé à lui-même et composé majoritairement d’aides-soignants et de préposés non réglementés, mal rémunérés et mal formés ont aidé la COVID-19 à avoir des conséquences aussi dévastatrices dans les établissements de soins de longue durée.
Ces brèches existaient bien avant la COVID-19; la pandémie a pu alors s’y infiltrer.
Afin de répondre à cette situation, nos gouvernements provinciaux et fédéral ont réservé de nouvelles sommes leur permettant de s’attaquer aux problèmes. Cependant, la population canadienne attend toujours que soient menées d’importantes réformes pour revoir de fond en comble la qualité dans les établissements de soins de longue durée, de manière à ce que personne ne craigne d’y vivre ses dernières années.
Qu’est-ce que ça prendrait? Bien plus que de belles paroles et de modestes injections de capitaux.
Le gouvernement fédéral prévoit déposer une loi sur les soins de longue durée sécuritaires, qui repose sur les nouvelles normes nationales en matière de services de soins de longue durée. À lui seul, le titre de ce projet de loi semble jouer le rôle de catalyseur de changement. Mais pour y parvenir, la loi fédérale ne doit pas se limiter à de belles idées définissant à quoi devraient ressembler les soins de longue durée de haute qualité. Elle doit avoir suffisamment de mordant pour ce qui est des fonds en jeu et des conséquences en cas de non-respect des normes nationales.
Heureusement, nous avons réalisé des progrès sur ce qui définit les nouvelles normes nationales.
Plus tôt cette année, l’Organisation des normes de la santé (HSO) et l’Association canadienne de normalisation (Groupe CSA) ont publié toutes les deux le fruit de leur travail en ce qui a trait à l’élaboration de normes nationales. Les normes de HSO portent surtout sur les façons de prodiguer des soins de haute qualité qui sont éprouvés scientifiquement. De plus, ces normes sont axées sur les résidents et les résidentes, donnent des pouvoirs à une main-d’œuvre compétente et productive, favorisent l’amélioration de la qualité et la formation continue et préconisent d’excellentes pratiques de gouvernance. Les normes du Groupe CSA, quant à elles, régissent la création et l’exploitation d’établissements de soins de longue durée ainsi que la prévention et le contrôle des infections dans ces lieux.
Toutefois, ces normes sont d’application volontaire. Les gouvernements provinciaux et territoriaux qui sont chargés de réglementer les établissements de soins de longue durée n’ont aucunement l’obligation de les intégrer à leurs lois et politiques. Après la catastrophe qui est survenue dans les établissements de soins de longue durée du Canada durant la pandémie, ce n’est tout simplement pas suffisant.
Afin d’être un moteur de changement, la loi fédérale sur les soins de longue durée sécuritaires doit soumettre le nouveau financement à des conditions pour respecter les normes nationales dans les établissements de soins à longue durée. Par exemple, elle pourrait exiger que chaque province se conforme aux normes nationales définies par un organisme pancanadien ou encore, une province comme le Québec pourrait mettre sur pied sa propre commission indépendante sur les soins de longue durée pour instituer et appliquer son ensemble de normes pourvu qu’en substance, elles soient équivalentes aux exigences nationales. Ainsi, les gouvernements provinciaux et fédéral doivent produire des rapports de manière transparente et à intervalles réguliers sur le respect des normes de sécurité.
Certes, nous savons tous que normalement, la tâche de réglementer les soins de santé est du ressort des provinces et des territoires. Toutefois, le gouvernement fédéral peut en toute légitimité utiliser son grand pouvoir de dépenser pour susciter des changements à l’échelle nationale, de manière à inciter le Québec et les autres provinces et territoires à mettre en œuvre les réformes visant à assurer l’uniformité et la qualité élevée des soins dans les établissements de soins de longue durée partout au Canada.
Par:
- Carole A. Estabrooks est professeure et titulaire de la chaire de recherche du Canada, à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de l’Alberta
- Colleen M. Flood est doyenne de la Faculté de droit de l’Université Queen’s
- Dre Sharon Straus est professeure et titulaire de la chaire de recherche du Canada à l’Université de Toronto