À la suite de tout ce qui a déjà été décrié au sujet du projet de loi 23, nous souhaitons ici mettre de l’avant la nécessité d’une recherche diversifiée en éducation, qui soit à même de contribuer à la compréhension des enjeux complexes qui traversent l’école d’aujourd’hui et qui considère les expériences des personnes qui la composent. Ironiquement, c’est justement l’objet du dernier rapport du Conseil supérieur de l’éducation, que le projet de loi veut démanteler et qui recommande, entre autres, de:
- Soutenir les projets de recherche en réponse à des besoins de la société et les démarches de recherche novatrices;
- Reconnaître et encourager la recherche sur des enjeux ou des objets locaux;
- Réfléchir sur la notion d’excellence et l’utilisation de critères associés à l’excellence en recherche universitaire.
D’entrée de jeu, il faut souligner que ce projet de loi semble occulter ces recommandations en privilégiant une voie unique pour déterminer les recherches à privilégier. Nous exposons ici la nécessité de revoir cette vision de la recherche en éducation.
Une recherche diversifiée
La recherche en éducation est plurielle. Cette diversité concerne à la fois les acteurs et actrices de la recherche, ses objets, les approches théoriques pour les appréhender, les méthodes, les pratiques de mobilisation des connaissances privilégiées. Concernant les méthodes, les chercheurs ont recours à une variété d’approches, allant d’analyses statistiques incluant de très grands échantillons à des projets de recherche locaux développés avec les plus concernés. Malheureusement, la proposition de l’Institut national d’excellence en éducation hiérarchise ces approches selon leur prétendu «niveau de preuve scientifique» en parlant de «pratiques avérées ou fondées sur les résultats probants».
Or, maintes recherches dites «qualitatives», jugées moins valides selon ces critères, permettent de comprendre les contraintes et les leviers de la mise en œuvre de ces pratiques dites «avérées». De plus, elles contribuent à saisir les enjeux et les dérives qu’elles peuvent engendrer. Dans le cas des recherches participatives, elles permettent aussi de considérer ce qui est signifiant pour les premiers concernés, de les accompagner dans cette difficile négociation entre ce qu’ils pensent pouvoir, vouloir et devoir faire.
Comme nous le rappellent les travaux en sociologie des politiques publiques, il ne suffit pas qu’une directive claire existe pour qu’elle soit mise en œuvre: les acteurs et actrices de l’école ne sont pas des robots qui appliquent aveuglément ce qu’on leur dit de faire! Des recherches collaboratives, pensées avec les enseignantes et enseignants permettent de reconnaitre à juste titre leur jugement professionnel en relation avec leur contexte d’intervention.
Recherche située
Reconnaitre l’apport de la diversité des approches en recherche permet ainsi de considérer l’ensemble des membres de la communauté éducative, incluant les élèves et leurs familles, comme des acteurs et actrices de premier plan dans la transformation de l’école. Cela est d’autant plus saillant pour les groupes historiquement exclus, dont la recherche basée sur des données probantes peine à reconnaître l’expérience et les aspirations. Le manque de contextualisation et de prise en compte des inégalités telles qu’elles se déploient dans un contexte donné par la simple application des recommandations de recherches à grande échelle risque justement de renforcer ces inégalités. Il est naïf, voire dangereux, de penser que l’on peut faire fi des spécificités des milieux scolaires (par ex.: pluriethniques, défavorisés, en communauté autochtone, etc.), en cherchant à appliquer la même «pratique probante» (par ex.: l’enseignement explicite comme seule pratique efficace ou l’apprentissage précoce des lettres pour tous) invariablement dans tous ces contextes aux priorités différentes.
Quelle excellence en recherche?
Penser «l’excellence» en recherche exige alors de dépasser les seuls critères portant sur la preuve des résultats pour s’intéresser à ce qui est recherché. Un système éducatif ne peut être évalué uniquement que par le biais de son efficacité en termes de performances scolaires. Qu’en est-il de la mission de socialisation de l’école qui exige de considérer l’expérience de toustes et la transmission de valeurs dites communes? Cela exige aussi de considérer la manière dont la connaissance est produite. Qui participe à définir les priorités en recherche, à les évaluer? Quelle place est accordée aux perspectives des groupes historiquement exclus? Les recherches sont toujours le reflet d’une vision du monde, qui peut être explicitée ou non. Le mirage d’une science neutre et objective contribue à occulter les rapports de pouvoir qui traversent le processus de recherche en plaçant les chercheuses et chercheurs dans une posture d’expert qui impose ce qui doit se faire. D’ailleurs, plusieurs orientations internationale, canadienne et québécoise invitent à penser l’excellence en recherche à travers des critères éthiques et de justice sociale.
Nous soutenons ici que c’est cette multiplicité d’approches et de points de vue sur des phénomènes complexes et situés, comme ceux auxquels s’attarde la recherche en éducation, qui constitue la force de cette dernière et sa contribution à une société plus juste. Nous en appelons à plus de recherches critiques qui questionnent les inégalités à la fois au sein de l’école et de la recherche sur celle-ci. Le projet de loi 23 nourrit une vision unique et déconnectée de la recherche en éducation qui, en se prétendant universelle, contribue à renforcer les inégalités scolaires et sociales.