POINT DE VUE / On apprenait récemment que la Ville de Trois-Rivières réfléchit à permettre les bureaux au District 55, malgré les promesses initiales de réserver cette activité au centre-ville. Il s’agirait d’une grave erreur qui pourrait être fatale au centre-ville de Trois-Rivières.
Le scénario s’est écrit à de nombreux endroits avec les mêmes résultats. Des promoteurs immobiliers achètent des terrains vierges en bordure d’autoroute d’une ville moyenne, et y conçoivent un développement commercial axé principalement sur les commerces de grande surface. Incapables de résister à ces promesses de lucratives taxes foncières, les villes se laissent d’autant plus facilement tenter par ces développements qu’ils leur donnent, de surcroît, un avantage compétitif sur leurs voisines en captant le dynamisme commercial.
Ces projets de développement basés sur l’accessibilité autoroutière ne se limitent plus, aujourd’hui, à des «power centers». Les entreprises de promotion immobilière ont bien compris que l’avenir du commerce de détail physique n’est plus aussi flamboyant, face à la concurrence du commerce en ligne. Leurs projets de développement intègrent maintenant du résidentiel d’assez haute densité, mais aussi du bureau et des services professionnels qui ont l’avantage de contribuer à faire vivre les commerces du secteur.
Cette approche est assumée par le District 55, qui ne fait pas cachette de sa volonté de construire des immeubles à bureaux, malgré le plan d’urbanisme de Trois-Rivières. Comme d’habitude, on n’hésitera pas à démarcher des commerces et des bureaux ailleurs dans la ville afin de remplir les pieds carrés en offrant le clinquant du neuf, la visibilité autoroutière et souvent des conditions très avantageuses dans un premier temps.
Le problème, c’est que ce genre de développement apporte son lot de conséquences aux villes qui l’acceptent, en plus d’avoir un impact environnemental important.
Un bureau qui déménage du centre-ville vers un autre secteur, ce n’est pas de la création de richesse, c’est de la cannibalisation. Quand cela se répète, le centre-ville est en danger de dévitalisation. Sans l’achalandage amené par les employés de bureau pour soutenir leur activité, les commerces risquent à leur tour de fermer ou de se délocaliser. On a bien vu, pendant la pandémie, l’impact de la fermeture temporaire des bureaux sur la vitalité des centres-villes.
Un centre-ville dévitalisé, c’est une ville moins attractive. Ce n’est pas pour rien que les villes et les gouvernements investissent pour soutenir les centres-villes: ce sont des milieux essentiels, autant sur le plan économique que social. Ils portent l’identité de la communauté et sont une carte de visite plus efficace que bien des investissements publicitaires.
Le centre-ville est aussi la localisation la plus écoresponsable pour des bureaux. À Trois-Rivières comme ailleurs, c’est le centre-ville qui a le bilan de gaz à effet de serre par déplacement attiré le plus faible. Des bureaux qui déménagent du centre-ville vers un autre pôle vont voir leur bilan carbone s’alourdir, en raison de déplacements plus longs et qui pourront encore plus difficilement se faire autrement qu’en voiture.
Les mers d’asphalte de stationnements qui entourent forcément les commerces et les bureaux des secteurs autoroutiers aggravent l’effet d’îlot de chaleur, localement mais aussi à l’échelle de la ville. En induisant une tendance à l’étalement urbain, ils aggravent la pression sur les milieux naturels et les terres agricoles. En urbanisme, il n’y a pas de petite décision: chacune s’ancre sur le territoire et fera effet pendant les 50 prochaines années.
Trois-Rivières avait pris la bonne décision en protégeant son centre-ville à travers son plan d’urbanisme. Elle doit la maintenir pour empêcher un précédent qui risquerait d’entraîner une hémorragie, qui sera difficile à juguler et a le potentiel de tuer le centre-ville. Trois-Rivières a ce qu’il faut pour résister au chantage à la délocalisation. Le mécontentement ponctuel de certaines personnes face au choix de protéger le centre-ville sera amplement compensé par le maintien d’un centre-ville attractif et en santé à long terme.
Trois-Rivières, il faut encore une fois prendre la bonne décision.