La guerre du feu

Un avion-citerne en opération sopfeu feu de foret incendie de foret Service aérien gouvernemental (SAG)

La scène du Grand feu de 1870 prendra une couleur différente, étrangement actuelle, lorsqu’elle sera jouée l’été prochain, dans le cadre de La Fabuleuse histoire d’un Royaume. Voir des communautés ravagées par l’élément destructeur, être témoin du courage des pionniers de cette région, nous remettra en tête les images qui roulent en boucle depuis quelques jours.


La différence est que cette fois-ci, ce n’est pas uniquement le Saguenay-Lac-Saint-Jean, mais le Québec boréal, qui est mis à l’épreuve. De l’Abitibi à la Côte-Nord, en passant par notre coin de pays, l’ennemi a attaqué sur plusieurs fronts en même temps. Aidé par le vent, il s’est approché des villes et des villages, poussant à l’exode des milliers de concitoyens.

Hormis le fait qu’elle n’a pas été formellement déclarée, cette séquence funeste a tous les traits d’une guerre. La guerre du feu. Le parallèle est d’autant plus saisissant que parmi ses héros, on compte les sapeurs, ainsi que les pilotes d’avions-citernes. Ceux-ci se relaient à un rythme tellement soutenu que certains ont épuisé la réserve de 50 heures de vol qui leur est impartie. «Chaque jour qui va venir, les pilotes et les mécaniciens seront un petit peu moins disponibles», a confirmé le premier ministre François Legault.



Tout aussi impressionnante, la mobilisation dans les communautés d’accueil a permis aux réfugiés de trouver non seulement un toit et de quoi se sustenter, mais du réconfort, puisque de nombreuses familles ont offert le gîte et le couvert. «Je suis de tout cœur avec les gens de Chibougamau, de Chapais, d’Oujé-Bougoumou et de Mistissini (…) et je remercie la population de tout le Saguenay-Lac-Saint-Jean de bien les accueillir», a d’ailleurs souligné la députée de Roberval, Nancy Guillemette.

La solidarité, c’est également la contribution des sapeurs provenant de l’extérieur de la province. C’est pourquoi tôt ou tard, les feux seront maîtrisés, ce qui ouvrira la seconde phase de la crise. On aidera les sinistrés à retrouver leur vie d’avant, tout en tirant les conséquences du Grand feu de 2023.

Compte tenu du réchauffement climatique, faudra-t-il augmenter les effectifs de la SOPFEU? Et pour que les zones habitées soient moins exposées, devra-t-on dégager un espace entre elles et la forêt? On sait également que l’industrie forestière récoltera le bois ayant échappé à la morsure du feu, une opération comparable à une course contre la montre.

D’autres questions seront soulevées avec insistance, une fois qu’on aura dressé le bilan des pertes au niveau des ressources exploitables. Elles porteront sur la protection du caribou, sujet sensible s’il en est. Préfet de la MRC Lac-Saint-Jean Est et maire de L’Ascension, Louis Ouellet a ouvert le débat en demandant à Québec de reporter le dépôt de sa stratégie caribou, prévu pour ce mois-ci.



«Lorsqu’on aura repris le contrôle de la situation et lancé les plans de récupération (du bois brûlé), il sera temps de faire le nouveau portrait de la situation sur le terrain pour identifier les mesures de protection appropriées», a-t-il confié au Quotidien. Pas besoin d’une boule de cristal pour voir se redessiner les anciennes lignes de fracture.

Il faudra alors se souvenir de la leçon des feux de ce printemps: les hommes proposent et Dame Nature dispose. «Il peut y avoir un accident de régénération quand deux feux rapprochés surviennent. Or, selon certains scénarios, la fréquence des feux sera plus élevée dans le futur», note justement Yan Boucher, professeur au département des sciences fondamentales de l’UQAC.

Dans une entrevue accordée au collègue Guillaume Roy, il venait de mentionner que l’épinette noire a besoin de 30 à 50 ans pour produire des graines viables. C’est pourquoi un autre sinistre comme celui-ci, dans un horizon pas trop lointain, entraînerait des conséquences dramatiques à tous égards. À tel point que rendus là, les convictions des uns et des autres ne pèseront pas plus lourd qu’un poil de caribou.