DÉLAIS D’ATTENTE | Deux cancers du sein, deux fois opérée au privé

Carole Cyr a dû se faire opérer dans le secteur privé à deux reprises.

Lorsqu’on a découvert qu’elle était atteinte d’un cancer du sein, Carole Cyr était loin de se douter qu’elle devrait mener deux batailles de front: la première contre le cancer, la seconde contre les délais pour recevoir des soins de santé.


La recommandation du radiologiste qui a pratiqué la mammographie était pourtant formelle: la patiente de l’Outaouais devait subir une biopsie le plus vite possible pour confirmer le diagnostic et orienter les traitements à suivre.

«Le radiologiste a écrit que la biopsie devait être faite à brève échéance. Par contre, il a omis d’inscrire un code de priorisation dans le formulaire. Au téléphone, l’agente administrative qui donne les rendez-vous a lu cette phrase, mais répétait que si le radiologiste avait voulu que l’examen se fasse rapidement, il aurait mis un code de priorisation», raconte Mme Cyr.

On lui a conseillé de se rendre dans un hôpital de Montréal où l’attente était faible pour subir l’examen. Après avoir pris des arrangements par téléphone, Mme Cyr a fait la route Gatineau-Montréal en pleine tempête de neige pour se faire dire, sur place, qu’on ne soignait pas les patients habitant hors du territoire de l’hôpital.

Le radiologiste qui a pratiqué la mammographie de Carole Cyr n'a pas inscrit de code de priorisation dans son formulaire.

Découragées, Carole Cyr et sa fille qui l’accompagnait se sont mises à téléphoner ici et là, pour finalement trouver une clinique privée de Montréal où elles pouvaient se rendre immédiatement. Ce fut alors le traitement royal, évidemment non couvert par la carte soleil: elle a été prise en charge tout de suite. L’examen a confirmé qu’elle était bien atteinte d’un cancer du sein agressif.

De retour en Outaouais avec son diagnostic, la patiente a vite rencontré un chirurgien qui lui a indiqué qu’il y aurait des délais «hors normes» pour recevoir le rapport de pathologie qui orienterait le choix de la chimiothérapie. Rebutée, Carole Cyr a préféré payer que de poireauter sur une liste d’attente. Elle est donc retournée à la clinique privée de Montréal pour se faire opérer pratiquement sans délai.

Coût de la facture: 10 500$.

Une fois rétablie de la chirurgie et de la chimiothérapie, Carole Cyr a tôt fait de réaliser qu’elle aurait dû avoir droit à ces soins gratuitement dans le réseau de santé public. Elle s’est adressée au Commissaire aux plaintes et à la qualité des services du CISSS de l’Outaouais, tout en documentant minutieusement ses démarches. Le commissaire a reconnu qu’elle avait raison d’être insatisfaite. Mais ce n’était pas suffisant pour que l’assureur du CISSS accepte de payer la note.

Carole Cyr a mené deux batailles de front: l'une contre le cancer, l'autre contre le système public de santé.

Découragée, sur le point de baisser les bras, Carole Cyr a écrit au ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, Gaétan Barrette. Un membre de son équipe a rapidement téléphoné à Mme Cyr, puis il a entrepris des démarches auprès du CISSS de l’Outaouais.

«J’ai finalement reçu les 10 500$ de la part de l’assureur», souligne Mme Cyr, sans cacher son étonnement face à ces multiples rebondissements.

Se battre pour changer le système

Elle aurait aussi pu réclamer des frais de séjours, comme le prévoit la Loi sur la santé et les services sociaux, mais elle ne l’a pas fait.

«Le but n’était pas d’avoir le plus gros chèque possible de la part du gouvernement. Je me disais surtout: si personne ne se plaint jamais, le système ne changera jamais! Tous les délais dans le système de santé ont coûté la vie à combien de personnes vulnérables qui, contrairement à moi, n’ont pas pu se défendre et trouver des solutions?»

—  Carole Cyr

Tout cela s’est déroulé en 2016 et 2017. Carole Cyr espérait que les choses allaient changer. Mais non. Elle l’a appris à ses dépens l’hiver dernier, sept ans après son premier diagnostic.

«Dans trois à huit mois»

La survivante du cancer du sein doit subir une mammographie de dépistage chaque année, puisqu’elle est considérée à fort risque de récidive.

En février dernier, Mme Cyr a contacté le CISSS de l’Outaouais pour connaître la date de son prochain rendez-vous. On lui dit que ce serait son tour dans… trois à huit mois. Au mieux.

C’est en Outaouais que les délais d’attente pour les mammographies et les examens complémentaires du sein sont parmi les plus longs au Québec.

«Nous avons un taux d’occupation des postes du personnel technique en imagerie médicale qui ne dépasse pas les 54% pour tout l’Outaouais. C’est très précaire», explique en entrevue Zied Ouechteti, directeur adjoint des services diagnostiques au CISSS de l’Outaouais. Les technologues sont souvent «affectées aux cas urgents et semi-urgents pour éviter des bris de services qui pourraient compromettre les activités hospitalières et de l’urgence».

La survivante du cancer du sein doit subir une mammographie de dépistage chaque année.

Au fil de l’entretien, Zied Ouechteti défile toutes les mesures qui sont prises en Outaouais pour freiner l’exode des employés vers l’Ontario et pour encourager plus d’étudiants à choisir ces professions techniques en radiologie. Il parle du tout nouveau programme de formation offert au Cégep de Gatineau qui a été «mis sur pied en six mois, alors que ça prend généralement des années pour partir un programme comme celui-là».

Le CISSS de l’Outaouais établit parfois des corridors de services avec d’autres établissements de santé, notamment à Montréal. Mais ce sont des mesures temporaires, parce qu’il n’y a aucun établissement du Québec où la situation est facile, et parce que la distance rebute certains patients. Il n’y a toutefois pas d’entente avec le voisin ontarien.

Retour au privé

La détermination de l’organisation à améliorer la situation ne rend toutefois pas les services plus accessibles dès aujourd’hui. Carole Cyr l’a de nouveau constaté cette année, sept ans après son premier cancer.

«Cet hiver, j’avais un doute par rapport à mon cancer. Quand j’ai vu qu’il faudrait attendre longtemps pour passer l’examen en Outaouais, j’ai décidé de retourner à Montréal pour passer la mammographie à la même clinique privée pour 1300$. Après la mammographie, on m’a fait une biopsie.»

—  Carole Cyr

Encore une fois, le diagnostic est inquiétant: Carole Cyr souffrait d’un cancer du sein intracanalaire, encore petit heureusement. Cette fois, pas question de se battre contre le système. Elle s’est fait opérer à la même clinique, dans les jours suivants, en pigeant encore une fois dans son compte en banque.

C’est finalement en juillet que Mme Cyr a reçu l’appel tant attendu de l’Hôpital de Gatineau afin de subir la mammographie qu’elle espérait dès le mois de février. En déclinant le rendez-vous devenu inutile, elle s’est réjouie d’avoir écouté son instinct et d’avoir gagné six mois dans la lutte contre son second cancer.

«Mon cancer aurait probablement grandi durant ces mois d’attente. On ne le saura jamais. Mais je suis contente d’avoir pris la décision d’aller au privé», dit-elle.

Remboursement?

Dès son rétablissement, elle a envoyé la facture à la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ). La réponse est venue quelques semaines plus tard, catégorique: «Parce que le docteur n’est pas participant à la RAMQ, aucun des frais pour l’échographie, la chirurgie et la consultation ne seront couverts.»

Carole Cyr recommencera-t-elle encore la bataille pour se faire rembourser les frais? Elle ne sait pas: «C’est un parcours épuisant.»

«Ce n’est pas correct que les gens de l’Outaouais n’aient pas accès aux mêmes soins qu’ailleurs au Québec.»


À LIRE MERCREDI : ACCÈS AUX SOINS ENTRE LES RÉGIONS | «C’est de la foutaise au Québec»