Rappelons les faits: un bris est survenu sur une conduite de refoulement située non loin du boulevard Gene-H.-Kruger, et pour lequel la Ville de Trois-Rivières a dû procéder à l’excavation du sol, lundi. Pour le réparer, la Ville n’a d’autre choix que de fermer le poste de pompage Matton et de déverser les eaux usées dans le fleuve, à la hauteur du pont Laviolette. La conduite, située à plus de 25 pieds sous terre, présente un bris pour lequel on ne connaît pas encore la nature de la réparation. Si la pièce nécessaire est en stock au service d’approvisionnement, la réparation sera rapide et le déversement, relativement mineur. Dans le cas contraire, il faudra commander la pièce, et espérer qu’elle soit livrée le plus rapidement possible, ce qui pourrait tout de même prendre plusieurs jours. Et là, c’est à coup de dizaines de millions de litres que l’on déversera nos déchets dans le fleuve.
Afin de minimiser les impacts sur l’environnement, la Ville demande donc aux citoyens de 8750 résidences de réduire autant que possible leur consommation d’eau le temps que la réparation se fasse. L’équation est simple: moins on utilisera d’eau pour le lave-vaisselle, le bain ou le lavage, moins il y aura de déversement dans le fleuve. «Ce sont des mesures qui peuvent être prises par chaque citoyen et qui peuvent faire une bonne différence», explique Vicky Despins, contremaître égouts et eaux usées pour la Ville de Trois-Rivières.
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Un tel déversement qui survient en raison de problèmes techniques liés au réseau de gestion des eaux usées peut arriver à l’occasion. Ça fait partie des aléas de la gestion quotidienne d’un tel réseau et des risques associés tant au vieillissement de celui-ci qu’à des bris mécaniques qui surviennent lorsque des objets ou des produits corrosifs sont rejetés dans ce même réseau.
Parce que oui, ce que vous jetez dans votre toilette, autre que du papier de toilette, est aussi susceptible d’endommager le réseau, et ultimement de mener à des déversements. Soie dentaire, condoms, tampons et lingettes humides se retrouvent bien souvent au poste de pompage, déclenchant au moins une fois par semaine l’alarme qui nécessitera une intervention pour repartir les pompes. Heureusement, tout ne se termine pas toujours par un déversement, mais l’usure de l’équipement n’en est que multipliée à chaque fois.
«Ce n’est pas pour rien qu’on dit que la toilette n’est pas une poubelle. Pour nous, c’est une épée de Damoclès qui est constamment au-dessus de nos têtes.»
— Vicky Despins, contremaître égouts et eaux usées pour la Ville de Trois-Rivières
Dans le cas qui nous concerne, précisons-le, il s’agit cependant bel et bien d’une fuite sur le réseau qui doit être réparée. Une réparation qui entraînera un déversement qu’on espère le plus court possible.
Pour la Fondation Rivières, ce qui inquiète cependant, c’est la fréquence de ces déversements lorsqu’ils surviennent en raison de fortes pluies, qui sont de plus en plus fréquentes depuis les dernières années. Bien que les municipalités s’emploient chaque année à séparer les réseaux pluviaux et sanitaires, une grande partie du réseau de gestion des eaux usées est encore combiné. Les eaux de pluie se retrouvent ainsi dans les égouts, et lors d’un épisode de pluie abondante, créent une surcharge des postes de pompage. Résultat: il faut bien souvent déverser dans un cours d’eau.
Ce jeudi, la Fondation Rivières dévoilera d’ailleurs son bilan 2022 des déversements au Québec. Un bilan pour lequel la région n’a pas toujours fait bonne figure, et qu’il sera intéressant de suivre étant donné la multiplication des épisodes météo pluvieux.
C’est d’ailleurs ce qu’on surveille également au cours des prochains jours: cette veille d’averses, notamment pour mercredi, qui ne viendra certainement pas aider le bilan du déversement annoncé lundi dans le secteur Trois-Rivières-Ouest.
«La récurrence des déversements en temps de pluie au Québec est préoccupante, et c’est ça qui devient de plus en plus difficile d’un point de vue écologique», résume Philippe Maisonneuve, conseiller en politiques publiques et qualité de l’eau pour la Fondation Rivières, qui revendique depuis longtemps une meilleure gestion des eaux usées pour justement éviter ces déversements, qui causent des impacts à la fois économiques pour les municipalités en aval, mais aussi écologiques pour la faune et la flore.
Depuis plusieurs années, les municipalités québécoises s’emploient à investir dans la séparation des égouts pluviaux et sanitaires, des réseaux combinés depuis au moins le début du XXe siècle. Ces travaux, systématiquement réalisés lorsque la réfection d’une portion du réseau s’avère nécessaire, représentent tout de même un coût astronomique pour les municipalités, qui ne cachent plus que l’enjeu de cette gestion deviendra l’un des plus gros postes budgétaires au cours des années à venir.
Mais la séparation de ces égouts ne parviendra pas à régler totalement la question, martèle Philippe Maisonneuve. La conservation des milieux naturels existants, ou encore l’aménagement de bassins de rétention, de drainage, ou encore d’ilots de verdure s’ajoutent à la liste des mesures à prendre, afin de créer des zones éponges qui diminuent l’arrivée des eaux pluviales aux différents postes de pompage... et qui évitent bien souvent des déversements lors de fortes pluies.
Ça, c’est sans compter l’imperméabilisation des sols, autrement dit la construction du réseau routier et d’innombrables stationnements qui ont fait en sorte de rendre le sol imperméable et de diriger directement le pluvial vers les réseaux d’eaux usées plutôt que vers son égouttoir naturel, la terre. Sans compter les déchets que l’on peut retrouver sur ces sols imperméables, les huiles, les mégots de cigarette et autres objets qui s’écoulent aussi dans le système, risquant à tout moment de l’endommager.
Cette gestion devient alors bien plus qu’un enjeu de travaux publics. Elle est un enjeu d’aménagement du territoire, d’arriver à penser l’aménagement en fonction des nouvelles réalités climatiques, et de cet essentiel besoin de rediriger l’eau de pluie le plus possible vers la terre... si on veut éviter de devoir «flusher» dans le fleuve.
C’est ce qu’on a fait dans des aménagements comme celui de la rue Saint-Maurice, dans le secteur Cap-de-la-Madeleine, ou encore en élevant des ilots de verdure à de nombreux endroits dans la ville. Des aménagements qui ont bien souvent fait grincer des dents, mais qui rappellent que de préserver l’intégrité des cours d’eau, ça vient aussi avec quelques désagréments au confort quotidien.
À plus petite échelle, chaque citoyen a aussi le pouvoir de réduire les eaux pluviales qui se rendent dans le réseau des eaux usées. Il peut le faire, par exemple, en plantant un arbre ou un arbuste sur son terrain, ce qui absorbera davantage d’eau par les racines que peut le faire le gazon. Il peut également rediriger toutes les gouttières de sa résidence vers un aménagement paysager ou un coin de verdure plutôt que vers l’asphalte.
Au plan macro, une planification stratégique des eaux usées est réalisée avec la Direction du génie à la Ville en collaboration avec le service d’hygiène du milieu. Le réseau est scanné et nettoyé une fois tous les six ans, ce qui permet de détecter des anomalies qui serviront la planification des réfections à venir. De là découlera aussi un plan de gestion des débordements, qui a notamment donné place récemment à l’imposant chantier du boulevard du Saint-Maurice, ou encore celui qui se fera prochainement sur le boulevard Sainte-Madeleine.
À ces endroits, de nouveaux émissaires pluviaux sont installés afin de collecter le pluvial émanant des rues perpendiculaires, laissant croire qu’à moyen terme, le pluvial sera complètement séparé du sanitaire dans ces portions plus anciennes de Trois-Rivières. «Ça fait partie de ce qu’on doit planifier, de notre résilience face aux changements climatiques. Nous sommes toujours en planification, car c’est un enjeu majeur et pas juste ici, partout au Québec. Ça va nécessiter d’investir des centaines de millions de dollars dans les prochaines années», constate Patrice Gingras, directeur du Génie pour la Ville.
Ainsi, jusqu’à nouvel ordre, c’est en ouvrant le moins souvent possible le robinet dans le secteur visé par les travaux qu’on donnera un petit break au fleuve Saint-Laurent. De petits gestes qui forcent à réfléchir plus largement sur cet enjeu pour lequel il faudra tôt ou tard délier les cordons de la bourse, même si ça n’a rien de bien glamour.