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Le cauchemar de la punaise

D'immenses congélateurs ont été installés dans le stationnement du Domaine Villa Saint-Grégoire pour y congeler les effets personnels des résidents et ainsi tuer les punaises de lit.

CHRONIQUE / Depuis quelques jours, la vie de dizaines de personnes âgées du secteur Saint-Grégoire à Bécancour est sur la glace. Littéralement! Une infestation de punaises de lit au Domaine Villa Saint-Grégoire force les propriétaires à user de méthodes radicales pour enfin enrayer ce problème qui persiste. C’est au congélateur qu’on a envoyé les effets personnels des résidents dans l’espoir que ces bestioles finissent par trépasser pour de bon. Une situation pénible à la fois pour les résidents, le personnel et, force est de constater, une situation à laquelle personne n’est véritablement à l’abri.


Yannick Després ne passe pas par quatre chemins. Cet expert en extermination et propriétaire de la firme Sécur Extermination de Trois-Rivières est catégorique: la punaise de lit, c’est un cauchemar! Un cauchemar que l’on associe à tort à un mauvais entretien ou à de la malpropreté, mais il n’en est rien. Au même titre que les poux, les punaises de lit se foutent bien de savoir de quelle classe sociale vous êtes, ou même si vous désinfectez chaque recoin de votre maison dix fois par jour. Si elle se pointe le bout du nez chez vous, elle s’y accrochera.

«À partir du moment où il y a un déplacement humain, il y a risque de contamination. C’est aussi simple que ça. Et c’est ce qui nous fait dire que personne n’est à l’abri. Même une personne âgée qui ne sort jamais de chez elle, si elle reçoit de la visite, peut être à risque. C’est donc important d’être toujours vigilant et de vérifier les lits, les matelas, le mobilier de la chambre», fait savoir l’expert.

Vous rendez visite à la parenté pour Noël? Vos enfants se promènent d’une maison à l’autre en garde partagée? Vous avez récemment dormi à l’hôtel? Vous rentrez de voyage? Vous venez d’acheter un nouveau fauteuil sur Marketplace? Et poussons-la un peu: vous revenez du cinéma? Voilà autant de vecteurs de contamination des punaises de lit.

Au Domaine Villa Saint-Grégoire, allez savoir quel fut le premier vecteur de contamination! Le problème de punaises de lit avait été détecté une première fois en août 2022 par les anciens propriétaires, puis traité. En mars, lorsque le groupe Excelsoins a fait l’achat de la résidence, tout semblait sous contrôle, assure le nouveau propriétaire, Christian Archambault. Du moins, on le croyait. Puis, de nouveau, les punaises ont fait leur réapparition cet été. Dans une unité, puis deux, puis une dizaine.

La présence de punaises de lit dans un établissement comme une RPA peut rapidement devenir un cauchemar.

«Nous avons fait venir des exterminateurs. Mais ça revenait tout le temps dans d’autres unités. Quand on a vu qu’on n’en venait pas à bout, on a fait venir un chien pisteur qui est spécialisé pour détecter les punaises, les oeufs, qui arrive à trouver des traces. D’une dizaine de logements affectés, les découvertes du chien nous ont permis de constater que finalement, c’était pas moins de 70 unités qui étaient contaminées. C’est là que tu fais: Wô, ce n’est plus la même chose», explique Christian Archambault, qui confirme que bien que des infestations peuvent survenir une à deux fois par année dans l’une ou l’autre de la dizaine de résidences que son entreprise possède partout au Québec, celle vécue à Saint-Grégoire ces jours-ci est la pire jamais connue.

La semaine dernière, ce sont donc de vastes équipes d’exterminateurs qui sont entrées dans la résidence, perçant des centaines, sinon des milliers de trous dans les murs pour y injecter une poudre spéciale visant à enrayer les indésirables. Chaque craque de plancher ou de mur a été bouchée avec du silicone. Les surfaces molles ont été traitées avec des produits et de la vapeur. Et les résidents des unités touchées, ils ont emballé quelques effets dans un petit baluchon et ont envoyé tout le reste des vêtements au congélateur. Ça prend au moins trois jours et demi de grand froid pour s’assurer que la bestiole est bel et bien morte.

«On aurait pu y aller avec un lavage adéquat et la sécheuse, mais il faut comprendre que les résidents ont des biens précieux auxquels ils tiennent. L’une de nos résidentes avait encore sa robe de mariée de l’époque. Il n’est pas question d’envoyer une robe de mariée à la sécheuse et de détruire ce souvenir tellement important. C’est pour ça qu’on a opté pour des congélateurs. On sait à quel point ça chamboule la vie de notre monde, on essaie d’être là pour eux. Notre personnel est tellement dévoué et fait un travail colossal en ce moment, nous en sommes très conscients», assure Christian Archambault.

En tout, ce sont près de 160 unités qui ont été passées au peigne fin, soit 70 en mode curatif et 90 en prévention. Dans quelques heures, on l’espère très sincèrement, le cauchemar sera derrière les résidents de cette villa, où l’on se serait bien passer de tout ce branle-bas de combat.

Les effets personnels des résidents ont été placés dans des sacs étiquetés afin d'être mis au congélateur pour trois jours.

Si les gens n’avaient qu’une seule chose à retenir de pareilles situations, explique l’expert en extermination Yannick Després, c’est d’user d’une grande vigilance, et de signaler à un professionnel l’infestation dès les toutes premières manifestations. Quand on aperçoit une bestiole, oui, mais aussi quand on constate la présence de petites taches noires sur le matelas, des traces de sang ou d’excréments de nos indésirables.

«Si le problème est mal entrepris dès le départ, c’est là qu’il devient difficile à enrayer. On a souvent vu des gens essayer de traiter ça par eux-mêmes avec des produits vendus en magasin ou encore de l’eau de javel. Ça ne donne absolument rien, et ça repousse les insectes vers les murs. Là, ça devient en effet un cauchemar», considère M. Després.

Visiblement solidaire de la situation vécue à Saint-Grégoire et des impacts qu’elle a engendrés pour les résidents et le personnel, Yannick Després constate par ailleurs que lorsque des traitements doivent être réalisés dans des institutions, les normes imposées par Santé Canada peuvent complexifier les choses. «Les produits homologués que l’on utilise, il y a des restrictions lorsque ça touche certains types d’établissements. Des garderies ou des résidences pour aînés, par exemple, il y a certains produits que nous n’avons pas le droit d’utiliser. Ça restreint encore plus notre pouvoir d’action lors de la décontamination», fait-il remarquer.

À Saint-Grégoire, le cauchemar pourrait bien tirer à sa fin dans les prochaines heures, mais ça n’aura pas été sans laisser de traces pour des dizaines de résidents, leurs proches et le personnel. Comme quoi une aussi petite bestiole peut causer d’aussi grands désagréments, quitte à envoyer sur la glace la vie de tant de monde.

«Je ne souhaiterais pas ça même à mon pire ennemi», relate, pensif, Yannick Després.