Vendredi matin, le sourire de Serge Bellemare n’est pas à son maximum lorsqu’il entre dans la salle de réunion, mais il traduit quand même une certaine sérénité. Visiblement, le président de Groupe Bellemare se serait bien passé de cette mauvaise publicité au cours des derniers jours. Toutefois, il pousse quand même un soupir de soulagement, de savoir que l’on a pu démontrer dans le reportage que les activités de son entreprise n’avaient pas contaminé les terres des voisins. À ses yeux, au final, le reportage n’a pas affecté la réputation de son entreprise. Mais il le sait, il reste du travail à faire.
Le reportage de la journaliste Maude Montembeault a révélé que l’entreprise Groupe Bellemare avait été réprimandée à 49 reprises depuis 1994 par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec, mais aussi que la moitié de ces réprimandes sont survenues depuis que l’entreprise s’est tournée vers la valorisation du verre, en 2017. Depuis ce temps, le ministère a confirmé avoir reçu 446 signalements concernant les bruits, les odeurs et les poussières en provenance des activités industrielles.
À cela s’ajoutent des constats liés à l’enfouissement de déchets au dessus de la nappe phréatique, un dossier qui s’est soldé par une entente hors cour et par l’engagement de l’entreprise à fermer son dépotoir l’année prochaine, sans toutefois qu’elle reconnaisse les prétentions du ministère. On a également affirmé dans ce reportage que les activités de la compagnie auraient «très probablement» contaminé le ruisseau du Lavoir, situé tout près. On rapporte également des nuisances au voisinage, des bruits, de fortes odeurs, des poussières dont on craint la composition et son effet sur la santé du voisinage et les activités économiques qui entourent ce secteur.
Serge Bellemare ne passe pas par quatre chemins: Groupe Bellemare n’a pas toujours été parfait. «Mais on fait ce qu’il faut pour s’améliorer. En mai 2022, le ministère nous a appris que plus de 200 signalements avaient été reçus de la part du voisinage concernant nos activités. Ça nous a pris par surprise. Il y avait eu certains contacts, mais on n’imaginait pas que c’était autant. Tout de suite, on a déployé un plan d’intervention pour améliorer les choses. Sur 50 actions décidées, on en a déjà réalisé 30. On a placé des outils de mesures pour le bruit, on a formé un comité des odeurs, avec des gens de l’interne mais aussi de l’externe, qui réalise des visites six fois par jour pour vérifier ça. On a limité la vitesse sur nos sites à 10 km/h, ajouté des abat-poussières», indique-t-il, ajoutant qu’à quelques reprises, des dépassements ont en effet été constatés pour le bruit et les odeurs, et qu’on continue d’investir pour améliorer le tout. «Si on peut descendre à 10%, 15% ou même 20% du seuil limite, c’est certain qu’on va investir pour le faire», ajoute-t-il.
C’est la vigilance d’un comité de citoyens qui a permis de documenter et de signaler au ministère de l’Environnement. Une implication importante qui nous rappelle d’ailleurs d’autres implications citoyennes qui ont réussi, au cours des dernières années, à faire bouger les choses dans plusieurs dossier dans la région. Que ce soit pour l’installation d’une mégaporcherie à Saint-Adelphe, ou encore d’une coupe d’arbres massive à Saint-Mathieu-du-Parc, quand les citoyens s’en mêlent, ça peut faire du bruit. Et c’est fort rassurant.
Dans le cas qui nous préoccupe, des citoyens du secteur des Forges ont même risqué jusqu’à la réputation de leur entreprise pour faire changer les choses, comme une bleuetière biologique qui aurait pu perdre sa certification si les résultats des analyses révélaient que le sol était contaminé. Heureusement pour eux, le résultat final ne démontre pas cette contamination, même si ça n’enraye pas les autres désagréments.
Bellemare a mis en place un comité de vigilance formé à la fois de la Ville, de l’APCHQ, d’une organisation environnementale et de citoyens, auquel siège maintenant un représentant de ce voisinage mécontent des activités. On se dit également ouvert à accueillir d’autres voisins qui aimeraient s’y joindre. «C’est une main tendue vers eux qu’on fait. On les comprend, et on les respecte. On veut travailler avec eux, être transparents et s’améliorer si on a à le faire», ajoute Serge Bellemare.
En ce qui concerne les manquements aux normes environnementales, on affirme que certains de ces manquements relevaient d’éléments plutôt mineurs. L’entreprise dit notamment avoir reçu un constat d’infraction de 10 000$ parce que l’un de ses camions avait soulevé de la poussière à plus de deux mètres. Ce constat est d’ailleurs contesté. Un autre constat de 2500$ a été émis pour des piles de bois recyclé qui dépassaient la hauteur permise. «Le but de ces interventions du ministère a toujours été de nous améliorer», remarque Serge Bellemare. Deux avis concernant le traitement du verre ont d’ailleurs été retirés, affirme-t-il.
Dans les prochains mois, le site s’adaptera pour permettre le traitement du verre recyclé sous un dôme, une installation qui permettra de diminuer les effets indésirables, croit Bellemare. On a également commencé à électrifier la flotte de véhicules, ce qui pourrait réduire le bruit à plus long terme.
D’autres conclusions présentées dans Enquête indiquaient la présence de PFSA dans le ruisseau du Lavoir à proximité de l’usine à une concentration 60 fois plus élevée que dans trois autres ruisseaux auxquels les échantillons ont été comparés. La présence de ce contaminant, toutefois, ne serait pas actuellement normée par le ministère de l’Environnement, soutient Serge Bellemare. «Ce qu’on constate ici, c’est qu’on ne contrevient à aucune norme, que tout est conforme. Par contre, si tout ça permet que le travail se fasse pour en arriver à établir des balises claires, et qu’on en vienne à établir une norme, ça aura servi à ça et on en sera très heureux», mentionne celui qui aurait préféré que ces analyses soient réalisées par des firmes externes.
Visiblement, en ce vendredi matin, Groupe Bellemare accepte de parler publiquement après avoir appréhendé ce qui allait être diffusé. Maintenant que les dirigeants sont un peu soulagés des conclusions, il faut quand même gérer la crise et en minimiser les impacts sur l’entreprise. Mais alors, pourquoi ne pas avoir accepté de donner sa version à l’intérieur du reportage d’Enquête? Serge Bellemare affirme avoir accepté, au départ, ce qui devait être une entrevue sur la consigne élargie. Or, lorsque l’angle du reportage leur a été présenté, Bellemare a fourni certaines réponses par écrit, mais pour eux, l’ultimatum donné par l’équipe d’Enquête était trop court pour pouvoir réagir de façon efficace. Ils se sont sentis coincés dans cet ultimatum, confie-t-il. L’équipe d’Enquête, toutefois, contredit ces affirmations, estimant avoir laissé un délai bien plus que raisonnable.
Là-dessus, c’est un peu le modèle classique lorsqu’une entreprise se retrouve confrontée à de telles allégations, de vouloir tirer sur le messager. Rien, à ce moment-ci, ne nous permet de croire que l’équipe d’Enquête a mal fait son travail, pénalisant Bellemare dans sa capacité de donner sa version des faits. Il existe, au Québec, un tribunal d’honneur de la profession journalistique qui s’appelle le Conseil de presse, et il appartient à Groupe Bellemare de s’y référer si, comme l’entreprise le prétend, on ne lui a pas donné une chance raisonnable de répondre.
Quoi qu’il en soit, l’entreprise Bellemare affirme qu’elle poursuivra ses activités, en gardant en tête le souci de s’améliorer et de continuer à développer cette économie du recyclage et de la revalorisation des matériaux. «On le sait, les problématiques liées à l’environnement et aux changements climatiques, il faut que ça se règle. Mais il faut bien que quelqu’un le fasse quelque part. Ici, on va recycler du verre, on veut faire partie de la solution. Et oui, on va continuer de faire ce qu’il faut pour que ça soit fait dans le respect des normes et dans le respect du voisinage», mentionne-t-il.