Une course en plusieurs étapes de près de 4000 km à travers les 1021 kilomètres de rues que compte la Trifluvie. Une course qui est née d’un défi personnel lancé par lui et un collègue durant la pandémie, au moment où les grands événements étaient à peu près tous annulés et où il était même interdit de s’entraîner avec une autre personne qui n’habitait pas la même adresse.
«C’était vraiment un moteur de motivation. Il n’y avait plus rien pendant la pandémie, plus d’événement. On a eu besoin d’un objectif clair, sans nécessairement que ce soit en vue de préparer une course ou quelque chose basé sur la performance. Juste un objectif à atteindre pour se motiver», confie-t-il, ne cachant pas qu’au début, il s’est souvent demandé dans quoi il venait de s’embarquer.
Or, contrairement à Forrest Gump, Billy Angers ne s’est pas laissé porter par la brise au hasard des routes. Son objectif, sa course, il fallait bien la structurer. C’est donc avec des applications comme City Strides et RunGo qu’il a planifié son défi, en sachant exactement où aller pour espérer barioler cette carte de la ville en mauve, jusqu’au dernier recoin de la plus petite rue en «garnotte».
Adepte de course depuis 2014, Billy a déjà participé à plusieurs courses, dont le marathon d’Ottawa l’an dernier. Certifié en coaching depuis 2020, il entraîne également des groupes, comme le défi des Demois’ailes, par exemple. À Trois-Rivières, il en avait déjà fait du chemin. City Strides lui a mentionné dès le départ qu’il avait déjà parcouru... 12% de la ville dans sa vie.
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«Mais 12%, ça peut paraître gros, et en même temps c’est pas grand-chose», explique-t-il en riant. Ainsi, à coup de sorties de 5km, 10km, 15km, en été, en hiver, sur ses heures de repas, après le travail et durant ses congés, celui qui est coordonnateur aux infrastructures, projets et sécurité au Cégep de Trois-Rivières a fait son chemin d’une rue à l’autre, alliant à la fois les découvertes, les surprises et parfois même les petites frayeurs.
Comment oublier ce moment où il s’est retrouvé au bout du boulevard Louis-Loranger, alors que la rue répertoriée sur sa carte devenait en fait un sentier à peu près impraticable dans le bois. «Tout d’un coup, en courant, j’ai remarqué qu’il y avait des douilles de calibre .12 par terre. J’ai vite réalisé que j’étais en plein milieu d’un bois où il y a des chasseurs à l’affût. Je n’ai pas trippé», se souvient-il en riant.
Vite, demi-tour vers la civilisation. Or, sur le chemin du retour, une voiture stationnée dans le bois a attiré son attention. Une autre est alors arrivée pour venir rejoindre le premier véhicule. Billy a vite fait de passer son chemin, il ne tenait pas nécessairement à savoir ce qui se tramait là-bas.
Un autre jour, dans le secteur Pointe-du-Lac, alors qu’il admirait la galerie d’une maison décorée avec toutes les décorations de Noël qu’on pouvait imaginer, un énorme pitbull qui n’était pas attaché a surgi d’une maison voisine et courait en sa direction, l’air mauvais. La chaussée glacée a peut-être sauvé le jarret et la vie de Billy, alors que le molosse a dérapé sur la glace avant de se taper la tête sur le genou du coureur et de repartir aussi vite, la queue entre les deux jambes. Ce jour-là, le Dieu du verglas était du côté de Billy.
Il l’était un peu moins ce 31 décembre 2022 où il avait prévu se rendre au bout du rang Saint-Félix, pour atteindre la limite de Trois-Rivières et Notre-Dame-du-Mont-Carmel. Ce jour-là, la chaussée était si glacée qu’on se demande encore si Billy a couru, glissé ou patiné son trajet.
Sans compter toutes ces fois où le tracé de la carte lui indiquait bien qu’il y avait une rue, mais qu’arrivé sur place, la rue n’existait pas encore, ou n’était pas aussi longue que ce qui était inscrit, et qu’un boisé se tenait devant lui plutôt qu’une route. Il cherche d’ailleurs encore à comprendre où doivent réellement terminer les rues Noury et Louis-Thisdel.
Et saviez-vous que le plus petit boulevard au monde se trouve à Trois-Rivières? Au bout du boulevard des Athlètes, dans le District 55, se trouve le boulevard Labelle, un boulevard d’à peine 30 pieds où la fin de la voie est marquée par une chaîne mise pour empêcher l’accès à une propriété privée.
D’ailleurs, Billy a appris, parfois à ses dépens, la différence entre une rue municipalisée et privée. Bien qu’il ait accès à l’ensemble des rues répertoriées sur la carte, sa présence sur des rues entretenues par des particuliers n’était pas toujours bien vue.
«C’est arrivé souvent que je me fasse questionner. Il y a un paquet de rues éloignées, parfois qui ne sont même pas entretenues l’hiver. Quand j’allais y faire ma course, on me regardait drôlement. Certains sont venus me voir en me demandant d’où je venais et qu’est-ce que je faisais là. L’un d’eux, un jour, m’a expliqué qu’il restait aux aguets parce qu’il s’était souvent fait voler. Mais quand j’expliquais mon projet, les gens étaient plus gentils. Je ne peux pas dire que tout le monde a compris pourquoi je faisais ça, mais au moins ils étaient gentils», s’exclame-t-il en riant.
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Nonobstant son équipement de coureur, cette aventure lui aura coûté au final un gros... 2$. Parce que oui, il a dû débourser de sa poche pour pouvoir entrer à la course à l’île Saint-Quentin et y courir les rues qui sont municipalisées. Quand je dis «toutes» les rues, c’est TOUTES les rues.
Si certains endroits lui ont paru louches ou un peu en manque d’amour, Billy ne cache pas avoir eu un énorme coup de coeur pour le chemin de l’Île Saint-Eugène dans le secteur Pointe-du-Lac, qu’il appelle maintenant son «petit coin de paradis». À savoir que l’Éco-Domaine des Forges et tout ce qui entoure le lac des Forges, dans le nord de la ville, ne l’ont clairement pas laissé indifférent non plus.
À travers chaque pas, chaque trottoir, chaque borne-fontaine, chaque dos d’âne, le coureur constate une chose: il y a encore de l’éducation à faire quant à la cohabitation entre les automobilistes, les cyclistes, les coureurs et les marcheurs. Quoiqu’il faut être honnête: en trois ans d’aventure, la chose s’est quand même améliorée, constate Billy.
«Je trouve ça moins pire aujourd’hui que quand j’ai commencé, je vois plus de gens qui arrêtent pour nous laisser passer. Mais il y a beaucoup de méconnaissance, autant des coureurs, des marcheurs, des cyclistes que des automobilistes. De part et d’autre, il y a de la médisance, alors que la cohabitation peut être totalement possible», soutient Billy.
N’empêche, ce tour de ville de trois années lui aura permis de découvrir sa ville avec un oeil nouveau. «C’est enrichissant de la voir sous un autre oeil. Quand on passe en voiture, on ne voit pas tout. Là, je prenais le temps de regarder, j’étais très attentif aux éléments, à observer. Je n’oublierai jamais ça», indique-t-il.
Puis, un après-midi du début du mois de septembre, Billy s’est engagé sur ses dernières rues. Dans le secteur Sainte-Marthe, il a couru les rues Ravary, de la Moisson et le Chemin du Valley-Inn, avant de revenir par la rue Notre-Dame-Est vers sa voiture. C’est uniquement assis derrière le volant qu’il a réalisé qu’il venait de réussir son défi.
«Ça a été une grosse fierté, une libération aussi, mais positive. Pour moi, c’est tout un accomplissement», confie-t-il.
Une fois la page tournée sur ce grand défi, Billy vient de se lancer dans une nouvelle aventure, soit celle d’un balado qu’il réalise avec un ami, et qu’on peut écouter à l’adresse https://coureur.io. Un balado au cours duquel il donne plusieurs conseils pour celles et ceux qui veulent se mettre à la course, mais également un paquet d’autres sujets, par exemple «courir en voyage».
Sa carte de la Trifluvie, elle, demeure bien colorée en mauve, de petites lignes lui faisant revivre tous les allers-retours dans les rues de sa ville. Un tracé qui continue de lui rappeler qu’avec de la persévérance, il n’y a pas grand-chose d’impossible.