Chronique|

Garder le centre-ville vivant, la décision qui s’impose

Le centre-ville de Trois-Rivières est la carte postale de la ville, avec ses restaurants, bars et terrasses, mais dont la survie ne dépend pas que du tourisme, mais aussi des places d'affaires.

CHRONIQUE / Des commerçants du centre-ville ont beau être allés faire entendre leur voix mardi soir au conseil municipal de Trois-Rivières, ils ne sont pas beaucoup plus éclairés quant aux intentions des élus d’autoriser ou non une grande place d’affaires du centre-ville à déménager ses bureaux dans le District 55. Et pourtant, si le conseil municipal désirait véritablement jouer le rôle qu’il doit jouer, soit celui de donner les grandes orientations et la vision du développement d’une ville, il se ferait déjà rassurant envers l’ensemble du centre-ville en laissant savoir qu’il compte s’opposer à cette demande. Parce que si les élus souhaitent à long terme garder le centre-ville en vie, c’est la seule décision qui s’impose.


Rappelons les faits: le comité consultatif d’urbanisme (CCU) devrait présenter, lors de la séance ordinaire du 20 juin prochain, une recommandation favorable autorisant une place d’affaires du centre-ville employant environ une centaine de personnes à déménager vers le District 55. Cette demande permettrait ainsi l’expansion de l’entreprise, qu’elle estime désormais impossible au centre-ville.

Or, cette demande contrevient également à la réglementation d’urbanisme de Trois-Rivières, qui ne permet pas, à l’heure actuelle, ce genre de développement au District 55. Lors de la mise en place de ce nouveau secteur à l’ouest de la ville, il avait été convenu que les deux pôles économiques soient complémentaires, et non en compétition: l’un attirant le commercial, l’autre conservant les bureaux professionnels. Il en allait de la vitalité du centre-ville, la carte postale touristique de Trois-Rivières.



Mais voilà que la possibilité de voir cette entreprise déménager à l’extérieur de Trois-Rivières a convaincu le CCU d’aller vers une recommandation favorable, permettant une entorse au règlement d’urbanisme par le biais d’une procédure appelée PPCMOI. De ce qu’on en sait pour le moment, ces bureaux agiraient comme siège social pour une grande partie du Québec. Mais sans cet emplacement, ils pourraient aller ailleurs et faire perdre des emplois à Trois-Rivières.

Malheureusement, un conseil municipal ne devrait pas fonctionner de cette manière, en gérant à la pièce des demandes dès qu’on laisse planer de telles possibilités, qu’elles soient fondées ou non, pour arriver à ce qu’on veut. Ce à quoi on demande aux élus de dire oui aujourd’hui n’est pas qu’un seul dossier, qu’un cas isolé, même si dans l’immédiat, ce l’est. On ouvre plutôt la porte toute grande à une migration des places d’affaires vers un nouveau développement pour lequel on avait spécifiquement choisi une autre vocation afin de ne pas cannibaliser le centre-ville. Bref, on crée un précédent pour lequel il sera difficile de revenir en arrière.

Le centre-ville, c’est une destination touristique incroyable, soit! Mais pour qu’il le soit, il doit avant tout être un écosystème. Les restaurants, les bars, les terrasses et les boutiques qui font son charme et son image distinctive à travers la province ne pourraient pas survivre seulement grâce aux touristes l’été. C’est parce qu’il y a des gens d’affaires à l’année longue qui l’occupent également que les commerces arrivent à rouler douze mois par année... et que les touristes peuvent en profiter autant l’été venu. Et si l’avènement du télétravail a fragilisé cet écosystème, il arrive encore à tenir bon, mais n’a certes pas besoin d’autres bâtons dans les roues.

Au cours des dernières semaines, j’ai pu m’entretenir avec plusieurs places d’affaires du centre-ville, des bureaux professionnels qui pestaient contre cette possibilité de voir la Ville ouvrir cette porte. Ils ne veulent pas qu’on permette cette dévitalisation qui va à l’encontre de la vision qui avait été donnée il y a quelques années. Qui va à l’encontre aussi de tous les efforts monétaires qui ont été déployés par le biais de programmes financés par la Ville et IDÉ Trois-Rivières pour garder en vie cet écosystème.



Et du coin de la bouche, on n’hésite pas non plus à dire que si cette porte devait s’ouvrir, chacun allait se mettre à la calculatrice et faire ses devoirs en fonction du renouvellement d’un prochain bail. Parce qu’on a beau croire à un écosystème, en affaires on sait aussi compter. Suffit qu’on nous entrouvre la porte...

Comprenons-nous bien: la demande de ce cabinet comptable est légitime, elle s’inscrit dans une vision d’affaires d’une entreprise privée qui ne regarde personne d’autre que cette entreprise. Ça ne regarde ni la Ville, ni les commerçants de son centre-ville. Cette entreprise, elle aurait tout le loisir d’acheter n’importe quel terrain demain matin, où le zonage le permet, pour y installer de nouveaux locaux, et on ne pourrait l’empêcher de le faire. Ce n’est pas au politique de se mêler de ces décisions d’affaires.

Mais c’est au politique, par contre, de choisir de maintenir une vision qu’une collectivité se donne afin d’en assurer l’équilibre et le développement. On a accueilli le District 55 avec enthousiasme pour y voir naître un carrefour commercial et résidentiel d’envergure, sur des terrains qui jouissent d’une visibilité exceptionnelle. On l’a aussi fait en choisissant de conserver un équilibre avec un autre pôle économique et touristique important qui fait la renommée et la fierté des Trifluviens.

Peut-on avoir les deux? Absolument! À condition de maintenir cette vision bien en place.

Récemment, dans nos pages, le directeur général de l’organisme Vivre en ville, Christian Savard, expliquait, dans une lettre ouverte, pourquoi aller de l’avant avec cette demande serait une grave erreur. Son argumentaire étoffé a depuis été relayé par plusieurs, dont le président d’IDÉ Trois-Rivières, Yves Lacroix, sur les réseaux sociaux.

Ce dernier y est aussi allé d’un commentaire fort pertinent, rappelant que le visage du centre-ville s’apprête à changer et à se diversifier au cours des prochaines années. «Il faut protéger notre centre-ville, particulièrement avec la venue prochaine de plusieurs chercheurs et centres de recherche qui viendront augmenter la masse critique de travailleurs au centre-ville et qui y amélioreront la vitalité pour cet écosystème économique».



Parions que cette voix qui s’est ajoutée au débat au cours des derniers jours pourrait aussi peser lourd dans la balance de la réflexion des élus trifluviens.

Et si le conseil devait choisir malgré tout d’ouvrir cette porte, il aura tout intérêt à préparer un argumentaire on ne peut plus convaincant pour faire passer cette pilule. Parce que pour le moment, elle est difficile à avaler pour bien des commerçants.