Pas les moyens, pas les ressources.
C’est un des constats qu’on retrouve dans le rapport de l’Observatoire des tout-petits rendu public mardi, où on comprend bien que ça ne fonctionne pas. Alors que le gouvernement claironne qu’il faut détecter les problèmes le plus tôt possible, on apprend que 70% du personnel des CPE admet ne pas avoir le temps de le faire et que 91% des gestionnaires se disent incapables de trouver les ressources professionnelles dont ils ont besoin.
Et quand il y en a, c’est moins d’une heure par semaine pour plus de la moitié des milieux qui ont la « chance » d’en avoir.
Déjà là, on échappe des enfants.
Ce n’est pas beaucoup mieux à l’école primaire où les besoins dépassent aussi les ressources. L’Observatoire calcule que 21% des tout-petits n’ont pas les services dont ils ont besoin, et ça ne comprend même pas ceux qui attendent un diagnostic. Faute de diagnostic, pas de services. « L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux rapporte qu’il peut s’écouler plusieurs mois, voire des années, avant que l’enfant reçoive l’ensemble des services requis. Sachant qu’intervenir tôt est primordial pour le développement de l’enfant, la situation est préoccupante. »
Ploc, ploc.
D’autres petits qu’on échappe.
Les enfants dont on parle ont toutes sortes d’enjeux, de défis selon l’expression consacrée, des «difficultés plus ou moins sévères de développement sur le plan intellectuel ou cognitif, de la motricité, du langage, de la socialisation, de la régulation des émotions, du comportement, […] des déficiences auditives ou visuelles, paralysie cérébrale, trouble du spectre de l’autisme. »
L’Observatoire nous apprend aussi que « plus la situation du tout-petit est complexe, plus les délais s’allongent ». Et plus les délais s’allongent, plus la situation se dégrade. « Un enfant qui éprouve des difficultés de langage et qui ne peut pas consulter en orthophonie sera plus à risque de manifester des problèmes de comportement, de rendement scolaire et d’adaptation sociale. »
Il devient un « cas problème ».
Et qu’est-ce qui arrive à ces « cas » qui éprouvent des problèmes de comportements et d’adaptation sociale? Ils sont plus à risques de faire l’objet d’un signalement à la DPJ (Direction de la protection de la jeunesse), dont les intervenants sont débordés, qui peine aussi à fournir les services dont ils ont besoin.
Certains se retrouveront ballotés d’une famille d’accueil à l’autre, d’autres seront placés en centres de réadaptation.
La plupart se retrouveront dans les dédales du système judiciaire, dans une Chambre de la jeunesse complètement embourbée. En décembre, la collègue Isabelle Mathieu levait le voile sur les délais qui ne cessent de s’allonger, au détriment des enfants. «Le délai pour être entendu au fond en chambre de la jeunesse est " inacceptable ” , reconnaissait alors Robert Proulx, juge en chef adjoint de la Cour du Québec. «Le processus judiciaire en soi, compte tenu des délais qu’il a, dessert l’intérêt de l’enfant, mais au même titre que l’ensemble de la mécanique de la protection de la jeunesse. »
Voilà ce qui arrive à l’intérêt de l’enfant dont se gargarisent la DPJ et le gouvernement, il est « desservi ».
C’est un euphémisme.
La Presse est revenue lundi sur le problème des tribunaux, les ministres de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et des Services sociaux, Lionel Carmant, lui ont servi une réponse commune, convenue. « Nos enfants sont ce que nous avons de plus précieux et nous ne devons ménager aucun effort pour les protéger ainsi que les aider à se développer et à s’épanouir. »
Sur le terrain, rien ne change.
Sur le terrain, on a appris lors de la récente publication du dénombrement des itinérants que près du tiers des 10 000 qu’on a calculés dans la province avaient été placés par la DPJ. Une autre étude, menée par le professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique, Martin Goyette, révélait que le cinquième des jeunes placés ont vécu un épisode d’itinérance après être sortis de la DPJ. Les jeunes barouettés sont « plus à risque d’itinérance ».
Et Dieu sait qu’on les barouette.
À l’heure où l’itinérance prend des proportions jamais vues au Québec, où on réclame plus de logements pour leur donner un toit, il faudrait aussi – et surtout - arrêter de « fabriquer » des sans-abris. Un tout-petit de 0 à 5 ans sur cinq ne reçoit pas les services dont il a besoin, un jeune placé par la DPJ sur cinq échoue dans la rue.
On ne nait pas itinérant, on le devient.