Il y a un mot en anglais pour ce genre de discours qui commence par bull et se termine par shit. En français, on pourrait dire foutaise. En bon québécois, je dirais que c’est du beau n’importe quoi.
Six gestionnaires en presque autant de semaines ont donné leur démission au CIUSSS. Trois l’ont ouvertement fait en soulevant la culture de l’organisation, des obstacles au sein de la direction, une déconnexion entre les directives et les besoins du terrain. Dans un autre cas, on comprend que ça fait aussi partie des motivations, même si ce n’est pas la raison officielle.
Parmi les « défis d’amélioration » sur la table du directeur général, Stéphane Tremblay, il y a la transparence, l’honnêteté et les communications. Parce que le centre de santé a prétendu que l’une de ces démissions n’était que pour des raisons personnelles, aucunement en lien avec les autres qui avaient des critiques envers la direction.
Il a fallu que la docteure Marie-Laure Collinge rectifie les propos. « On a parlé en mon nom, sans me consulter et on va dire complètement l’inverse de ce que je pense », a-t-elle déclaré.
Défi ou déni?
Quand c’est rendu que le ministre de la Santé, Christian Dubé, demande au PDG de « sortir publiquement » pour parler de ce qui se passe, c’est qu’il y a un problème.
On peut déjà se demander pourquoi il a fallu attendre que le ministre le demande pour avoir le point de vue de la direction ou des explications, ou du moins ce qui s’apparente à des explications.
Déjà lors des deux démissions simultanées de Benoit Heppell et de Marie-Maud Couture, une réaction était attendue. Que ce soit pour nier, pour sortir ses plus belles expressions en novlangue, pour donner sa version des faits ou pour annoncer un examen de conscience.
Plusieurs critiques pointent une lourdeur présente dans le réseau du système de santé, mais certaines visent aussi directement la haute direction du CIUSSS de l’Estrie-CHUS.
Personne n’a voulu nommer des gens ou pointer des postes précis, mais les allusions à un besoin de changement au sein de la haute direction n’étaient pas subtiles.
Ce n’est pas un commentaire fait dans un statut Facebook par un patient fâché d’avoir attendu des heures à l’urgence. Ce sont des critiques répétées par des gestionnaires démissionnaires dans plusieurs médias.
Aucune réaction?
Le silence qui a suivi ressemblait à cette stratégie en communication qui consiste à regarder ailleurs en attendant que ça passe plutôt que prendre le risque de se mouiller et de couler.
J’ai utilisé le mot stratégie, mais c’est plus un pari. Pile, ça passe, fiou, un « défi » de moins à gérer. Face, ça casse et le problème est rendu plus difficile à gérer.
Comme je l’écrivais lors des premières démissions, la position des hautes directions n’est pas évidente, prise entre les directives du ministère et les réalités du terrain. Elles doivent souvent faire rentrer des carrés dans des cercles, ou l’inverse, ou des étoiles dans des losanges. Bref, c’est un carrefour où ça peut facilement coincer.
Le PDG du CIUSSS de l’Estrie-CHUS, Stéphane Tremblay, se défend d’être trop politique, comme le soulignait Benoit Heppell lors de sa démission, mais sa réponse est très politique.
Les initiatives comme les assemblées citoyennes sont intéressantes, mais ça ne vient pas compenser l’uniformisation et la centralisation qui s’en vient avec Santé Québec.
Quand on parle de directives déconnectées de la population, ce n’est pas juste une question de l’écouter ou non, il faut que les enjeux et que les idées qui viennent du terrain – que ce soit des infirmières, des médecins, des spécialistes, des préposées, de la population –, puissent remonter.
Il arrive trop souvent que ces préoccupations atterrissent sur le bureau d’un haut gestionnaire que lorsqu’elles deviennent médiatisées. Ce n’est pas normal. Plusieurs enjeux devraient se régler à l’interne, sans sorties publiques, grâce à un processus qui permet de les considérer ou de les remonter au bon endroit.
Et c’est là qu’on parle de culture de gestion. Une structure où les gestionnaires n’ont pas assez de latitude, où les gestionnaires ont l’impression d’être un cul-de-sac administratif, où les gestionnaires ne savent pas plus vers où se tourner. Tout ça crée une culture d’impuissance.
Ce n’est pas facile de saisir la position de Stéphane Tremblay. Est-ce qu’il défend ses équipes dans cette lourdeur du système? Ce n’est pas clair. Est-ce qu’il défend les procédures ministérielles? Ce n’est pas plus clair. Est-ce qu’il défend le CIUSSS? Toujours pas clair.
Il admet que c’est difficile de faire avancer des idées, mais sans jamais critiquer les structures, il souligne des contextes difficiles, mais juge avoir les moyens nécessaires pour agir. À force de ménager la chèvre et le chou, ça finit par ressembler à quelqu’un qui n’assume rien.
De l’extérieur, difficile de juger si nous sommes seulement devant une bien mauvaise gestion des communications, mais que la langue de bois bien sèche saute une fois les portes closes, ou si la direction a la tête et même les épaules dans le sable au point d’être incapable de s’en parler même à huis clos. Peu importe, la direction semble dépassée par la situation.
Je ne prétendrai pas savoir où sont exactement les problèmes et les « défis d’amélioration » du CIUSSS de l’Estrie-CHUS, mais le déni n’est jamais une bonne façon de s’améliorer.
Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@latribune.qc.ca. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.