Depuis mercredi, une sorte de vague à l’âme m’envahit et je me l’explique mal.
Pourtant, même si j’apprécie la musique des Cowboys Fringants, je ne suis pas ce qu’on pourrait appeler un fan fini du groupe. Une seule fois je les ai vus en spectacle et c’était presque par accident. Mais quand certaines de leurs chansons parviennent à mes oreilles, elles ont sur moi l’effet voulu par les brillants créateurs que sont les Cowboys: elles me réjouissent, elles me font réfléchir, elles me font taper du pied, elles m’attendrissent.
Comme journaliste et comme citoyen, j’ai été témoin du choc ou de la vague de sympathie qu’a provoqué le décès de plusieurs personnalités publiques au fil des ans. Mais jamais je n’avais été plongé dans un tourbillon d’émotions aussi intense que celui provoqué par la mort de Karl Tremblay.
Rarement a-t-on vu un tel unisson, même chez ceux qui ne sont pas des fans inconditionnels du groupe. Comme si le Québec entier pleurait la mort de Karl Tremblay. Comme si tout le monde se cherchait une épaule sur laquelle poser la tête.
J’ai eu beau chercher et je n’ai pas trouvé d’émotion équivalente, même si le départ de plusieurs personnalités sportives ou artistiques a provoqué une tristesse momentanée, a fait ressurgir plusieurs souvenirs et a déclenché un concert d’éloges absolument mérités.
La mort d’une personnalité publique appréciée des Québécois ramène inévitablement sur la table le débat sur la pertinence d’offrir à la famille de tenir des funérailles nationales.
Le premier ministre François Legault n’a pas mis de temps à formuler une telle offre, cette semaine, constatant l’ampleur du deuil collectif qui s’amorçait.
L’idée de tenir des funérailles nationales pour rendre hommage à Karl Tremblay est parfaitement justifiée. C’est précisément à cela que doivent servir des funérailles nationales ou une forme de commémoration prise en charge ou soutenue par l’État: permettre à la nation de témoigner sa sympathie, de vivre ensemble un moment fort, de rendre hommage à un individu qui, par sa personnalité, son œuvre ou son rayonnement, a contribué à faire du Québec une nation plus forte, plus fière.
Mais inévitablement, la question des funérailles nationale s’associe souvent à un exercice de comparaison : pourquoi lui en aurait et untel n’y a pas eu droit? Pourquoi Karl Tremblay aurait des funérailles nationales mais que Jean Lapointe ou Michel Côté n’y ont pas eu droit?
Le problème, c’est que la décision de tenir ou d’offrir des funérailles nationales se produit souvent dans un contexte hautement émotif et avec une bonne dose de subjectivité. Le choix d’offrir une telle reconnaissance relève du premier ministre et ne repose sur aucun critère objectif. C’est essentiellement une décision politique, ce qui l’expose à la satisfaction ou au mécontentement de la population.
La décision arbitraire repose somme toute sur les accomplissements de la personne décédée, sur ses réalisations, sur sa notoriété et sur sa contribution au rayonnement du Québec.
Malheureusement, ça ne s’évalue pas selon une grille de critères et de pointages. Il est plutôt question d’un élan spontané, ou encore d’une décision basée sur des recommandations ou sur des demandes exprimées par plusieurs.
Si on se laissait aller à l’émotion, tout le monde pourrait avoir droit à des funérailles nationales, pour peu que la personne soit connue du public et appréciée par au moins une partie de celui-ci. On peut offrir autant de funérailles nationales qu’on voudrait, mais le geste perdrait de son sens si de telles occasions devaient se multiplier.
Depuis 1959, au total, une trentaine de personnes ont eu des funérailles officielles au Québec, dont une dizaine qui ont eu droit à des funérailles d’État, et une vingtaine pour lesquelles on a tenu des funérailles nationales ou des commémorations nationales. Les funérailles d’État sont généralement réservées à d’anciens premiers ministres ou, exceptionnellement, à certains ministres.
Les funérailles nationales sont offertes à des personnalités qui ont marqué à leur façon l’histoire du Québec et permettent de soulager la famille de l’organisation de celles-ci.
La décision du premier ministre, peu importe quelle sera la réponse de la famille, était appropriée. Les mauvaises langues diront que François Legault y a vu une opportunité de dévier les projecteurs alors que certaines de ces décisions, notamment le report du projet de tramway à Québec ou encore cette aide financière de 5 à 7 millions $ pour permettre la présentation de deux matchs des Kings de Los Angeles au Centre Vidéotron, alimentaient les critiques.
«Et l’premier-ministre fait semblant / qu’y s’en fait pour les pauvres gens / Alors qu’on sait qu’y est au service / des fortunés et d’leurs business», chantait justement et ironiquement Karl Tremblay… Mais soyons bons joueurs et reconnaissons plutôt que le premier ministre et son entourage ont constaté, eux aussi, l’ampleur du choc causé par la mort du chanteur.
C’est un sujet sensible que cette question des funérailles nationales. Il y aurait sans doute lieu de définir des critères plus clairs mais c’est un exercice miné. La bonne nouvelle, c’est que bien souvent, même s’il n’y a pas de funérailles nationales, on trouve un moyen de rendre hommage à une personnalité décédée et de permettre au public de témoigner sa sympathie. On l’a fait pour Janine Sutto, pour Gilles Latulippe et, plus récemment, pour Michel Côté. Qu’une ville ou un organisme puisse récupérer la balle au bond quand Québec dit non, ce n’est peut-être pas plus mal.
Dans le cas de Karl Tremblay, pour tout ce qu’il incarne et pour l’impact que lui et son groupe ont eu sur un public plus large que les fans, il m’apparaît normal que la question ne se soit pas posée trop longtemps.