Et puis même si tu ne veux pas, je vais te tutoyer pareil. Après tout, à tes yeux, je suis un «LGBTQ de marde». Tu ne le sais probablement pas mais oui, je fais partie de la communauté LGBTQ+ et oui, j’en suis fier. Ça m’a pris du temps à en être fier mais j’y suis arrivé.
Je ne sais pas à qui exactement tu t’adressais ou ce que tu voulais précisément dénoncer quand tu as réalisé ce graffiti de grande prose sur une des fenêtres de l’école primaire Les Terrasses: «Fuck les LGBTQ de marde». Peut-être que tu voulais juste faire une blague. Ou impressionner tes chums qui t’ont peut-être dit: «T’es pas game!».
Il y a tant de choses que je ne comprends pas dans le geste que tu as posé en fin de semaine. Réglons d’abord la question de l’acte de vandalisme: faire un graffiti sur un édifice public, peu importe ce que ce dessin ou ces écritures représentent, constitue un méfait. Et ça pourrait te valoir une amende ou des accusations criminelles. Pire encore: si on juge que ton graffiti a un caractère haineux, on pourrait aussi t’accuser d’incitation à la haine.
Personnellement, je pense qu’il y a effectivement un caractère haineux dans le message en apparence anodin que tu as écrit sur une porte de l’école.
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Parlons-en de ce message. Peut-être que pour toi, c’est une niaiserie. Que c’était juste pour le fun. Mais tu as quand même écrit: «Fuck les LGBTQ de marde». En fait, non. Tu as écrit: «Fuck les LBGTQ de marde» en inversant le G et le B. Mais tu sais quoi? Je te pardonne pour cette inversion. C’est vrai qu’on peut parfois se perdre dans cet acronyme déroutant auquel on n’en finit plus d’ajouter des lettres.
À qui t’adressais-tu dans cette manifestation de haine et de mépris? À toute la communauté LGBTQ+ ? À des individus que tu n’apprécies pas et qui sont identifiés à cette communauté? Si c’est ça, ce n’est pas bien. Parce que tu mets tout le monde dans le même panier. Moi y compris.
Peut-être que ce sont tes parents ou tes proches qui n’aiment pas les personnes LGBTQ+ et qui incluent cette hargne dans l’éducation qu’ils t’offrent. Peut-être même ont-ils participé à une des manifestations anti-LGBT tenues la semaine dernière?
Peut-être voulais-tu envoyer un message à des camarades de classe ou à des ados que tu connais et qui affichent leur homosexualité ou se questionnent sur leur expression de genre? Si c’est cela, je me demande bien pourquoi tu poses un geste d’éclat en vandalisant un lieu public. Remarque, si j’avais à choisir, je préfère que tu fasses ça plutôt que de péter la gueule à ce jeune ou à ces jeunes qui te font chier.
Je me perds dans les hypothèses comme toi tu te perds probablement dans l’expression de ta frustration.
Je veux simplement que tu saches que quand tu écris «Fuck les LGBTQ de marde», tu fais une déclaration idéologique. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu blesses pas mal de monde. Moi, ça me préoccupe. Je ne suis pas là pour te faire la leçon sur le cheminement déjà difficile de plusieurs personnes qui se questionnent sur leur orientation sexuelle ou sur leur identité de genre. Mais ce que je sais, c’est que la dernière chose dont elles ont besoin, c’est qu’un petit polisson vienne leur dire – ou leur écrire – quelque chose comme «Fuck les LGBTQ de marde».
Je comprends la consternation des membres du personnel de l’école qui ont découvert ton œuvre d’art lundi matin. Non seulement tu as laissé ta marque sur la porte de l’école mais tu as aussi recouvert de noir des arcs-en-ciel bordant la traverse piétonne du nouveau débarcadère devant l’établissement. Tu y as vu le symbole de la communauté LGBTQ+. Dans les faits, ces couleurs ne sont là que pour rappeler l’enseigne de l’école, faite de lettres de couleurs différentes.
Tu devais être fier de savoir que tes graffitis ont été vus par plusieurs élèves lorsqu’ils sont eux aussi arrivés à l’école lundi matin. Mais sais-tu quoi? J’ose espérer que cet incident ait pu donner lieu à des discussions saines et exemptes de préjugés dans les classes de l’école. Ou à la maison, entre les enfants et leurs parents.
D’ailleurs, je ne sais pas si le choix du lieu de ton méfait avait un lien quelconque avec ton message. Une école primaire. Fréquentée par des enfants de cinq à douze ans. C’est mystérieux et inquiétant.
L’école, tu le sais, doit être un milieu inclusif, caractérisé par le respect de l’autre, l’ouverture à la différence, l’inclusion et la bienveillance. J’ai de la peine pour le personnel de l’école qui veille à s’assurer que ces caractéristiques soient constamment mises en valeur et qui voient ces jours-ci leur travail saboté par ta colère. J’ai de la peine pour les parents qui ont maintenant des raisons de se demander si l’école que leur enfant fréquente est toujours un lieu sécurisant et bienveillant. Je n’ai pas de doute que c’est toujours le cas, à voir la façon dont le personnel et le centre de services scolaire ont géré la situation.
Qui que tu sois, tu m’inquiètes. Tu es la triste incarnation d’une détresse métamorphosée en colère. Celle qu’on observait du coin de l’œil chez nos voisins du sud depuis quelques années. Celle qu’on a vue dans des manifestations contre la vaccination, contre les mesures sanitaires. Celle qu’on a lue sur les réseaux sociaux, notamment, quand il était question de drag-queens qui vont lire des contes dans les écoles ou les bibliothèques, de cette enseignante qui demande d’utiliser un pronom ou une appellation neutre. Celle qui s’exprime quand on comprend mal une situation ou qu’on fait de l’aveuglement volontaire pour mieux s’insurger. En pensant qu’on a le droit de tout dire, de tout écrire.
Eh bien non, jeune homme. On n’a pas le droit de tout dire. De tout écrire. Je souhaite que la loi te le rappelle.
Mais je n’ai pas beaucoup d’espoir. Tu diras peut-être, alors: «Fuck la justice corrompue» ou «Je m’en crisse de ta contravention».
Je souhaite que tu trouves, sur ta route, un peu de lumière et que tu croises des personnes bienveillantes. Je me plais à imaginer que parmi celles-ci se trouvera peut-être un ou une membre de la communauté LGBTQ+ à qui il sera peut-être un peu plus gênant de dire: «Fuck les LGBTQ de marde».
Bonne route.