Une éclipse médiatique se produit lorsque les projecteurs, les caméras, les enregistreuses des médias se braquent en même temps sur un événement. On déploie davantage de journalistes pour la couverture d’un événement. Les convocations courantes ont plus de chances de passer sous le radar ou d’être carrément délaissées.
Lundi devrait être une journée d’éclipse médiatique. Le premier ministre François Legault, son ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, devraient être sur place pour l’occasion. Ajoutez à cela les députés de la région, une brochette de maires et de préfets, un recteur d’université... Il ne manquera que les évêques des deux diocèses pour bénir le tout. Il y a quelques dizaines d’années, ils auraient bien sûr été invités eux aussi.
La nouvelle en soi n’est pas une surprise. Ça fait cinq ans qu’on parle sérieusement des zones d’innovation. Au départ, Trois-Rivières et Bécancour se faisaient de l’œil pour unir leurs forces. Shawinigan travaillait de son côté un pôle en mobilité durable. Au fil des ans, on a réalisé que pour obtenir une zone d’innovation forte, il fallait concentrer les efforts et non pas tirer la couverture chacun de son côté.
Au cours des deux dernières années, on sentait bien que c’était dans la poche pour la zone Bécancour–Trois-Rivières–Shawinigan: elle sera désignée zone d’innovation en transition énergétique. Il ne manquait qu’une date d’annonce et on commençait à craindre que les élus surfent sur cette promesse pendant encore longtemps, comme tant de politiciens avant eux l’ont fait avec des ponts, des agrandissements d’hôpitaux, des trains à grande fréquence.
Mais voilà: c’est lundi le grand jour. Le jour «Z». Comme dans zone d’innovation. Sans aucune originalité de ma part.
La reconnaissance gouvernementale de ce qu’on appelle déjà la «Vallée de la transition énergétique» est largement attribuable à cette concertation presque forcée diront certains entre les trois villes. On pourrait même penser que la création de la zone d’innovation aura un effet collatéral majeur: instaurer une meilleure collaboration entre les partenaires. Ou, si on préfère, atténuer les esprits de clocher.
Le député de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, y est pour beaucoup dans l’annonce en tant que telle et peut-être dans ses effets collatéraux souhaités. C’est un gars de Grand-Mère. Qui a étudié à Trois-Rivières. Et qui a fait carrière sur la rive sud. Il est le genre de bonhomme qui peut incarner la cohésion régionale.
Elle manque cruellement à notre région, cette cohésion.
Regardez l’efficacité avec laquelle les élus et les préfets du Centre-du-Québec se sont mobilisés, tout récemment, pour faire une visite du parc industriel et portuaire de Bécancour et pour voir comment leur municipalité pouvait prendre part au projet. Regardez la fierté que les élus des MRC d’Arthabaska, de Drummond et de l’Érable ont manifestée face aux succès de Bécancour et de Nicolet. Regardez la rapidité avec laquelle ils ont amorcé une réflexion régionale sur les besoins de main-d’œuvre, les façons de soutenir la zone d’innovation, les impacts possibles sur les infrastructures en éducation, en santé. Regardez encore l’enthousiasme avec lequel chaque MRC adopte des résolutions en vue d’une entente sectorielle de développement pour l’optimisation de la capacité d’accueil.
Elle est où, cette fierté, sur la rive nord du fleuve? Les élus de Maskinongé, de Mékinac, des Chenaux ou de la Haute-Mauricie savent-ils seulement que ce qui s’en vient risque fort d’avoir des impacts sur leurs territoires et leur démographie?
En début d’année, Donald Martel expliquait à mon collègue Marc Rochette qu’il croyait nécessaire de convoquer cette année un forum régional pour y réunir les leaders politiques et socio-économiques afin de «se donner un plan de match». Et il brossait un portrait lucide de l’état des forces régionales: «On a historiquement travaillé de façon beaucoup plus individuelle, Shawinigan, Trois-Rivières, Nicolet, Bécancour. Il faut qu’on travaille ensemble. […] Ça me fait de la peine de dire que la cohésion régionale est plus facile au Centre-du-Québec que dans la Mauricie.»
Il faudra bien ouvrir des canaux de communication au nord du fleuve aussi. Parce qu’on estime que c’est des milliers d’emplois qui seront créés et qu’on comprend que les deux régions n’ont pas le bassin de travailleurs disponibles pour les combler. Il faudra s’arrimer sur les défis d’attraction et de rétention de main-d’œuvre. Il faudra s’assurer de ne pas laisser en plan les autres entreprises bien établies et qui ne sont pas directement liées à la filière batterie ou à la transition énergétique.
Il faudra surtout ramer dans le même sens pour accueillir des nouveaux arrivants, ce qui n’est pas une mince tâche. Et ce n’est pas dans les grandes lignes de la réforme de l’immigration présentée jeudi par le premier ministre Legault et ses ministres Christine Fréchette et Jean-François Roberge qu’on trouve les outils les plus commodes pour favoriser une régionalisation de l’immigration. On a de nouvelles cibles, de nouveaux programmes, de nouveaux critères, de nouveaux seuils, mais on n’a rien de concret qui vise à encourager les nouveaux arrivants à se diriger en dehors de Montréal. Et encore moins de mécanismes qui pourraient mettre les acteurs régionaux dans le coup.
Les défis sont énormes, particulièrement sur le plan de la cohésion régionale, et il faut déjà penser à ce qui viendra après le jour «Z». En croisant les doigts pour que tout le monde soit zen et qu’il n’y ait pas de zizanie...