C’est ma troisième paire à vie, si je compte celles avec lesquelles je suis venue au monde. À l’âge de 34 ans, j’ai vu mon corps être découpé en morceaux à la suite d’une septicémie provoquée par la bactérie mangeuse de chair. Un cauchemar.
Bien sûr, se relever d’une telle épreuve nécessite courage, résilience, et persévérance. Reste qu’il faut avouer qu’on vit dans la bonne époque pour avoir quatre amputations. Je suis persuadée que la science au service de l’autonomie en est qu’à ses premiers pas et que les prothèses de l’avenir promettent d’être surprenantes par leur réalisme.
Déjà, des avancées dans le monde médical ont permis de relier le moignon directement au membre artificiel. À Montréal, une clinique d’ostéointégration a vu le jour en 2019 et le Régime d’assurance médicaments du Québec accepte de défrayer les coûts pour les patients admissibles. L’opération, non sans risque d’infection, de fracture de l’os ou de l’implant, consiste à insérer une tige en titane dans l’os du corps humain pour ensuite être fixé à l’extérieur de la peau à une prothèse de jambe. On élimine ainsi l’emboîture et tous les désagréments qu’elle entraîne au quotidien.
La recherche pour redonner aux amputés un membre autant fonctionnel que celui qui a été perdu continue de progresser. À l’Université du Michigan aux États-Unis, le département en génie biomédical et robotique a réussi à connecter une prothèse de main directement sur les nerfs de l’amputé permettant à celui-ci de la contrôler par la pensée.
À Vancouver, un laboratoire de mécatronique moléculaire a créé une peau synthétique capable de reproduire les mêmes sensations que la peau humaine grâce à une substance composée de plastique et de gélatine dotée d’un système électrique qui n’a pas besoin de batteries pour fonctionner.
Si l’on additionne toutes ces découvertes, on peut certainement imaginer que les prothèses du futur seront un prolongement du corps humain sans que quiconque n’y voie de différence, pas même «le porteur».
En attendant que le rêve devienne réalité, j’ai eu à me choisir de nouvelles jambes parmi la technologie disponible aujourd’hui. En novembre dernier, j’ai d’abord fait l’essai de prothèses motorisées, les Power Knee, fabriquées par l’entreprise islandaise Össur. Je détaille d’ailleurs mon expérience dans une précédente chronique «Essayer une autre paire de jambes».
Non concluant pour moi, j’ai testé deux autres modèles de genou électronique pour faire mon choix, le Kenevo et le Genium, tous deux de la compagnie OttoBock désormais centenaire. Autant pour l’un que pour l’autre, la façon de bouger les hanches pour avancer est similaire aux prothèses C-Leg que je porte depuis dix ans. Le fait de rester avec la même technologie m’a permis de rapidement retrouver mes aises.
Les Kenevo sont plutôt légers et m’ont semblé fiables, mais ils ne suivent pas mon rythme, me donnant la sensation d’attendre après le genou électronique. Les prothèses Genium, quant à elles, ont satisfait tous mes critères et je les ai tout de suite adoptées.
L’intelligence artificielle, pourtant présente dans les autres jambes que j’ai essayées, est plus… intelligente justement. Je sens qu’elle m’assiste mieux dans les petits pas de côté ou de reculons comme pour les plus grandes enjambées. Monter une pente est moins énergivore et je sens que je peux leur faire confiance pour bloquer l’articulation en cas d’indice de chute.
Il n’est pas impossible que j’arrive à monter une marche ou deux avec les genoux Genium, mais avant de m’exercer, mes emboîtures devront être modifiées. Pour l’instant, quand je mets tout mon poids sur une jambe le temps de ramener l’autre à ses côtés, le rebord de ma coquille en plastique très rigide m’inflige une vive douleur à l’aine.
Cela fait seulement quelques jours que je peux réellement éprouver mes nouvelles jambes. Ç'a prit deux aller-retour à l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec pour finaliser l’ajustement de la programmation. Mes prothésistes ont pivoté légèrement les pieds et réenligné les genoux pour mieux correspondre aux mouvements de ma démarche.
Je me sens stable et en contrôle de mes jambes. Quand on a plus ses mains pour se rattraper en cas de chute ou simplement pour tenir une main courante longeant une pente ou un escalier, la fiabilité de ses jambes est plus qu’un atout, c’est une nécessité.
Mais au-delà de tous les avantages qu’offrent mes Genium, c’est la sensation de confort qui est la plus impressionnante. Je sens mes pas plus doux, mieux amortis comme si j’avais soudainement accès à une suspension de luxe. Je décrirais la sensation comme lorsqu’on emprunte la portion toute neuve du boulevard Sainte-Marguerite à Trois-Rivières. Vous savez, ce feeling presque moelleux qu’on peut ressentir en roulant en vélo, en patin à roues alignées ou même en voiture sur de l’asphalte entièrement neuf ? C’est ce qui m’apparaît le plus juste pour évoquer ce que mes nouveaux genoux me font ressentir.
J’ai l’agréable impression de marcher comme en Cadillac et wow, l’avenir me semble rempli d’espoir pour les personnes qui vivent au quotidien avec un, deux, trois ou quatre membres en moins !