Récemment, nous présentions notre atelier de peinture dans une école primaire où un palier de deux marches nous attendait, un classique. Près de l’obstacle, j’applique les freins de mon fauteuil roulant et je me lève debout sur mes deux prothèses de jambe avec ces mots en tête: Miracle, elle peut marcher!
Mais le miracle s’arrête là. Je suis bloquée face aux deux petites marches insignifiantes pour le commun des mortels. Incapable de me propulser avec assez de force pour que mes genoux électroniques ne plient pas durant l’opération, mon partenaire doit me prendre dans ces bras et me monter.
Même si ce n’est que pour une journée ou deux, une rampe d’accès aurait été la bienvenue. On sait qu’une amputation use le corps de l’amputé à long terme... Je peux vous assurer que quatre amputations usent aussi celui de mon amoureux!
Sans lui, je ne peux plus entrer dans de trop nombreuses écoles et enseigner la peinture et l’illustration. Ça signifie également qu’aucune personne en fauteuil roulant ne peut y travailler non plus. En pénurie de main-d’œuvre, imaginons un instant que tous les environnements de travail soient adaptés.
C’est ce que l’entreprise de fabrication, usinage et remise à neuf d’équipements complexes surdimensionnés, FAB 3R, n’a pas hésité à faire pour accueillir Fany Blanchette dans l’équipe.
Celle qui travaillait pour une entreprise en entretien ménager souhaitait changer de carrière et avait consulté l’organisme Le Pont afin d’être aidée dans ses démarches, non pas en tant que personne sourde, mais en tant que femme qui se cherche un emploi. Par coïncidence, l’endroit où elle était assignée depuis quelques mois est justement là où elle a enfin trouvé un emploi à la hauteur de ses attentes... et même plus.
Lorsque les patrons de Pascal Sirois, superviseur chez FAB 3R, lui ont demandé si embaucher une personne sourde pour combler le poste vacant était réalisable, son premier réflexe a été de craindre pour la sécurité de la candidate. Puis, il s’est accordé un 24 heures pour bien y réfléchir.
«Le lendemain, je disais: tu sais quoi? Moi, j’embarque! Je vais m’arranger pour que ça marche, je vais prendre tout le projet et on l’engage!» me raconte Pascal qui m’a accordé un peu de temps pour me parler fièrement de tout ce qui a été fait pour que ça fonctionne à long terme.
Pascal a d’abord instauré au sein de l’équipe des règles simples pour assurer la sécurité de la nouvelle venue.
Les conducteurs de chariots élévateurs sont tous au fait de leur responsabilité à repérer Fany lorsqu’ils entrent dans sa zone de travail. La jeune femme ne peut ni entendre le bruit des moteurs ni les klaxons avertissant leur présence. Le superviseur a donc fait installer des affiches de malentendants, ce qu’il nomme amicalement des «oreilles bleues», pour délimiter l’espace de travail à risque.
Assurément doté de débrouillardise et d’un esprit créatif, Pascal Sirois a trouvé quelques trucs pour s’adapter à la surdité de la commis comme le pointeur laser qu’il utilise pour capter son attention ou pour lui montrer une information en particulier sur l’écran d’ordinateur.
Il a également déniché une montre que Fany Blanchette porte à son poignet pour qu’elle soit avertie de l’arrivée des livreurs au poste de réception. Une affiche expliquant rapidement le handicap de Fany et comment interagir avec elle comporte un bouton que les camionneurs doivent maintenir deux secondes afin d’activer la vibration de sa montre.
De nombreuses affiches représentant des mots en langue des signes arborent les murs des bureaux de l’entreprise qui a toujours fait preuve d’une grande ouverture envers ses employés.
«Fany est quelqu’un de super sympathique et tout le monde a envie de communiquer avec elle et d’apprendre quelques signes», ajoute son superviseur qui commence à connaître plusieurs mots.
Chaque semaine, à l’occasion des rencontres hebdomadaires, un nouveau signe est présenté au personnel. Tous l’apprennent ensemble. Tout dernièrement, l’équipe a même chanté Bonne fête à un employé, mais en langue des signes.
De beaux moments touchants de cet ordre agrémentent les semaines chez FAB 3R. Tous sont ravis de travailler avec une personne compétente et motivée par son emploi.
«Ça fait maintenant quatre semaines que Fany est en poste et elle est meilleure que je pensais! D’après moi, ça va perdurer dans le temps et on va travailler ensemble encore longtemps.»
— Pascal Sirois
Ce qui apparaissait compliqué au début s’est rapidement dénoué. L’audiologue, qui avait pour mandat d’évaluer le milieu de travail pour une personne sourde, a attribué une note plus que parfaite à l’entreprise. À l’occasion, une interprète est demandée pour traduire les meetings plus informatifs à Fany, mais le gros des communications en lien avec ses tâches est déjà acquis.
Malgré que Fany Blanchette préfère éviter d’être sous les projecteurs, elle a bien voulu participer à un reportage présenté à la télévision afin d’inspirer d’autres employeurs à s’adapter aux personnes sourdes. Mandat que la jeune femme a volontiers confié à Pascal qui a pris le relais avec grand plaisir.
«Si ça peut aider les autres entreprises à enlever les barrières et de se dire, let’s go on embarque! On a vu des solutions, pas des problèmes.»