Autrement dit, enquête publique ou pas, on ne saura jamais tout. Le pire, c’est qu’il faut croire David Johnston sur parole quand il dit la même chose que le premier ministre: oui, des pays essaient de se mêler de nos élections, mais y’a rien à voir, passez votre chemin, on s’occupe de tout.
Le rapport est celui d’un homme qui a baissé les bras face à la complexité de cette affaire et aux nombreux pièges politiques et diplomatiques qu’elle comporte. Tout ce qui nous a fait frémir au sujet de l’ingérence chinoise ne serait que de l’incompétence de la part des médias et l’absence de contexte pour séparer le vrai du faux du flou. Les services de renseignement qui ont le mandat de protéger le Canada s’acquitteraient mal de leur tâche, tout comme la bureaucratie incapable de faire suivre des documents extrêmement sensibles jusqu’au bureau du premier ministre.
Ça ne devrait pourtant pas être trop difficile de trouver le bureau de Justin Trudeau.
Bref, selon le rapporteur spécial, le gouvernement n’a rien à se reprocher, mais les lanceurs d’alerte eux, auraient peut-être agi par «malice», rien de moins.
Et après on se demande pourquoi la population fait de moins en moins confiance aux institutions et à l’État. C’est ainsi qu’on affaiblit, morceau par morceau, la démocratie.
En refusant une enquête publique, le rapporteur spécial David Johnston a tout mis en œuvre pour que cette histoire continue d’occuper l’attention du public pendant longtemps, surtout qu’il ne s’agit que du rapport préliminaire. Il y aura une suite, mais qui ira toujours dans la même direction: loin de la transparence.
Oublions la partisanerie un instant. Dans cette affaire, Justin Trudeau et David Johnston ont oublié un détail important: l’ultime public cible du gouvernement pour ce rapport n’est pas le gouvernement et ses agents, mais les citoyens. Quelqu’un a-t-il pensé un instant que ce rapport s’adressait à tous les Canadiens, pas seulement aux initiés? À part une admission que des tentatives d’ingérence étrangère existent bel et bien, il n’y a rien dans le rapport pour nous rassurer quant à l’avenir: des employés du Service canadien du renseignement de sécurité seraient moralement responsables de ces fuites malodorantes aidés par leurs opportunistes complices les méchants médias qui publieraient n’importe quoi pour avoir des «clics», la nouvelle mesure du succès.
Comment un personnage réputé au-dessus de tout soupçon comme l’ex-gouverneur général David Johnston a-t-il pu se laisser entraîner dans ce bourbier? Imaginons un instant qu’il a raison sur toute la ligne (on peut en douter), il a manqué de jugement sur toute la ligne aussi. Le Globe and Mail a révélé que M. Johnston a consulté le juge de la Cour suprême à la retraite Frank Iacobucci pour savoir s’il allait se trouver en situation de conflit d’intérêts en acceptant ce mandat. Ce dernier lui aurait signifié que la voie était libre. Or, David Johnston a confirmé en entrevue que Frank Iacobbuci est un ami personnel. Ça ne s’invente pas.
Je comprends que tout le monde connaît tout le monde dans le petit monde de la politique fédérale, mais il y a des limites à nous prendre pour des cruches.
Sans tomber dans le complotisme, le citoyen trouve dans cette histoire assez de matériel incriminant pour contester l’indépendance des institutions. Facile de penser que l’objectif du rapport Johnston était de blanchir le gouvernement, coûte que coûte et tant pis si la population fulmine.
Ou bien on nous prend pour des imbéciles qui n’y voient qu’un simple malentendu ou les enjeux sont tellement graves que le premier ministre a décidé qu’il valait mieux tout balayer sous le tapis, quitte à se faire traiter de tous les noms d’oiseaux. De toute façon, comme se le répètent les stratèges quand ça brasse, les gens auront tout oublié d’ici quelques semaines.
Pas si sûre. La sécurité nationale du pays n’est pas une vulgaire histoire de vacances chez des copains. Quoi qu’il en soit, ça pue le cynisme envers la population qui mérite de savoir qui la menace, pourquoi et comment et ce que le gouvernement fait concrètement pour garantir l’intégrité de notre processus électoral.
Le contraire n’est qu’une autre manifestation de mépris pour les Canadiens de la part du gouvernement Trudeau.
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Lise Ravary est journaliste depuis 40 ans et a tout fait dans le métier, que ce soit à la radio ou dans des magazines et des journaux, de Montréal à Toronto, en passant par Londres et Alexandria, avant de devenir observatrice et commentatrice à temps plein. On peut lire ses opinions dans nos pages deux fois par semaine.