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Batteries: on a l’euphorie hâtive

De Shawinigan jusqu’à Trois-Rivières au nord et de Bécancour jusqu’à Victoriaville au sud, le parterre d’invités était plutôt généreusement garni. C’est même le premier ministre François Legault, en personne, qui est venu procéder à ces annonces.

CHRONIQUE / Il faut reconnaître qu’on a eu droit à un déploiement assez exceptionnel. Pour confirmer la mise en construction à Bécancour par la coentreprise General Motors et POSCO d’une usine de fabrication de cathodes, et pour la reconnaissance de la zone d’innovation en transition énergétique, on avait effectivement ratissé large, très large.


De Shawinigan jusqu’à Trois-Rivières au nord et de Bécancour jusqu’à Victoriaville au sud, le parterre d’invités était plutôt généreusement garni. C’est même le premier ministre François Legault, en personne, qui est venu procéder à ces annonces.

On parle certes d’une usine de 600 millions $ mais qui sera payée presque à moitié par Québec et Ottawa si toutes les obligations en construction et en création d’emplois sont observées.



Pour un potentiel de 200 emplois, cela pouvait paraître un bombage de torse un peu exagéré et avec un coup de revient pour les contribuables par emploi créé de 1,5 million $, ça pourrait autoriser quelques rictus de travers.

Même la création tant attendue de la zone d’innovation, avec une enveloppe maigrelette de 8 millions $, dont cinq pour la recherche (ce qui est marginal) et trois pour en assumer l’intendance, ça aurait pu imposer de la modestie.

D’autant qu’on n’a toujours aucun partenaire issu du secteur privé qui s’y est greffé pour le financement, ce qui avait toujours été présenté comme une participation nécessaire. C’était pourtant l’exubérance générale. Et pour l’expliquer, il faut bien comprendre que c’était avant tout les perspectives économiques et sociales considérables promises pour une bonne partie de la Mauricie et du Centre-du-Québec qu’on applaudissait à tout rompre.

L’établissement d’une zone d’innovation en transition énergétique, la troisième à être reconnue au Québec, est prometteur de futurs et importants investissements en recherche dans le virage que prend notre société, mais aussi un facteur d’attrait pour des entreprises engagées dans la transition énergétique.



Avec ces deux annonces, on peut raisonnablement reconnaître que la filière batterie, dont veut se doter le Québec, est véritablement lancée... et qu’elle se fera dans la région, à Bécancour, principalement pour ce qui est de la production d’anodes et de cathodes.

Mais attention! Il faut quand même décanter certains chiffres euphoriques avancés sur la création d’emplois.

Sur les 10 000 emplois directs reliés à cette filière, 30%, au mieux, devraient revenir à la région, et non pas tous les 10 000 emplois annoncés, comme on se plaisait à le croire et à le faire savoir.

Il faut aussi accepter que ce n’est pas avant au moins deux ans que les premiers emplois, comme ceux de GM-POSCO, rebaptisé Ultimum CAM, seront occupés. Car il faut d’abord construire les usines. Et réaliser que tout cela va s’échelonner sur près d’une dizaine d’années.

Alors, ce n’est pas encore l’heure pour les agents immobiliers de brandir des liasses d’acheteurs de maisons pour lesquels «money is no object». L’état du marché justifie déjà une certaine surenchère qui n’est pas prête à s’estomper, mais la folie immobilière viendra bel et bien.

On se doute bien que Nemaska Lithium va quand même bientôt officialiser la mise en chantier de son usine et qu’il en sera de même pour Nouveau Monde Graphite, pour son plan no 2. D’autant que cette dernière compte maintenant comme partenaire Panasonic... qui s’est réservée la moitié de la production de Bécancour. Il faut donc produire.



Et on peut miser fort sur la minière brésilienne Vale, qui a promis de fournir 25 000 tonnes métriques par année de sulfate de nickel à GM... qui serait juste à coté dans le parc. Le ministre Pierre Fitzgibbon a d’ailleurs admis qu’on reviendrait cet été à Bécancour pour annoncer au moins une nouvelle usine... On a le choix.

Il y a aussi un producteur de cobalt, un élément essentiel dans les batteries, qui reluque Bécancour.

On sait que BASF est toujours en réflexion, mais Ford aussi qui a réservé 13 000 tonnes du lithium-ion de Nemaska Lithium. C’est jamais mauvais d’être collé à son fournisseur.

Au total, on est dans les milliards$ qui seront requis en investissements et en centaines et centaines de futurs emplois. Mais il n’y aura pas de cellulier à Bécancour.

Si on se réfère à Volkswagen en Ontario, un cellulier c’est 13 milliards$ d’investissement, 3000 emplois et un terrain de dimension gigantesque. Ne serait-ce que pour satisfaire aux besoins de main-d’œuvre, la périphérie de Montréal apparaît potentiellement plus apte à les combler.

À Shawinigan, le maire Michel Angers assure que là aussi, des milliers d’emplois industriels vont apparaître. Encore là, un petit excès d’euphorie?

Retenons simplement que si Réseau Allégé Québec, qui veut y fabriquer des batteries stationnaires s’y établissait, c’est 1,5 milliard$ et une avalanche de jobs.

À Trois-Rivières?

C’est la capitale de la Mauricie et la capitale de ce qu’on appelait la ZEN, la Zone économique naturelle qui englobe Trois-Rivières et Bécancour.



Par la force des choses, Trois-Rivières va forcément bénéficier d’un certain volume de retombées économiques.

Mais on voit bien que Bécancour et le Centre-du-Québec mettent déjà en place des moyens pour retenir sur leur territoire un maximum de projets, de travailleurs, de services et de fournisseurs.

On ne le crie pas, mais on veut que la part du lion sur le plan social et économique... ne traverse plus le pont. Alors qu’historiquement, c’était entre 70 et 80% des travailleurs du parc industriel et portuaire de Bécancour qui préféraient habiter Trois-Rivières et la rive nord.

Dans cette évolution des choses, Trois-Rivières peut donner l’impression de se concevoir au-dessus de ses affaires. Que par la force des choses... le gros des avantages ne peut que lui revenir.

Quant à Shawinigan, si les choses lèvent comme on l’espère, là aussi on va s’appliquer à donner une vie vigoureuse à son milieu... pour garder son monde et ses affaires.

Ce qui est sûr, c’est qu’on devrait dans nos deux régions entamer une décennie d’opulence.

Car s’il se crée 3000 ou 4000 emplois directs, en y ajoutant les directs et les induits, et pourquoi pas, les maintenus, on les aura finalement ces 10 000 gros emplois payants... et déjà si grisants pour notre élite.


Coup de cœur

Que vous l’ayez dans le sang plutôt que dans les pieds, pratiquez quand même vos pas de danse, car le festival qui allume l’été trifluvien, DANSEncore... ça se dansera cette semaine.

Coup de griffe

Peu en importe la raison, cela brise le cœur d’apprendre que la DPJ de la Mauricie ne parviendrait pas à toujours trouver une famille d’accueil pour des enfants de moins de six ans.