Depuis qu’Ernesto, Lizeth et leurs deux filles sont entrés dans sa vie, cette célibataire de 79 ans veille sur eux comme une mère-louve sur ses petits. L’aînée ne lésine pas sur les efforts afin de soutenir ces réfugiés qui ont dû fuir un pays où planent des menaces à leur endroit.
«C’est une histoire de coeur, c’est ma famille!»
Petit bout de femme dynamique, elle n’a jamais été du genre à se laisser marcher sur les pieds et ce n’est pas à son âge que ça va commencer.
«Donnons-leur notre appui!», a-t-elle scandé comme un slogan à ses voisins de Place Belvédère. Près de cinquante personnes se sont réunies dans la salle d’activités, juste avant l’heure du souper. Même l’évêque du diocèse de Trois-Rivières, Mgr Martin Laliberté, s’était déplacé pour l’occasion.
J’y étais aussi à l’invitation de Madame Girard qui a cependant émis certaines conditions. Les visages de ses amis, leur nom de famille et celui de leur pays d’origine ne seront pas dévoilés ici.
«Cette rencontre a pour but sensibiliser le plus de gens possible à leur cause, mais on ne veut pas les mettre en danger s’ils doivent repartir», a-t-elle expliqué au nom du quatuor inquiet à l’idée d’être renvoyé là où leur sécurité est sérieusement compromise, où le risque de représailles envers leurs proches restés là-bas est également bien réel.
Céline Girard a fait la rencontre d’Ernesto et de Lizeth en 2020, après une opération qui l’a contrainte au repos complet dans une maison de convalescence où le couple travaillait en tant que préposés aux bénéficiaires.
Ses connaissances de la langue espagnole lui ont permis de tisser des liens avec ces deux vaillantes personnes qui l’ont adoptée comme leur «maman au Canada», se présente celle qui a fait carrière dans l’enseignement, de Sainte-Perpétue à Schefferville en passant par Sherbrooke et le Tchad, en Afrique, à la fin des années 60 et au début des années 70.
«Je voulais être missionnaire», souligne la femme qui s’est engagée au sein d’un institut séculier. «J’allais dans la brousse pour supplier les parents d’envoyer leurs filles à l’école.»
Ce n’est donc pas d’hier que Madame Céline est une femme déterminée et engagée.
Ernesto lui a appris que dans son pays d’origine, en Amérique centrale, il était spécialiste en médecine interne tandis que son épouse, Lizeth, était enseignante au secondaire en biologie.
En plus de travailler à l’hôpital, ce professionnel de la santé avait sa propre clinique médicale. Il gagnait honorablement sa vie, mais a fini par en payer durement le prix. Victime d’extorsion, le médecin a reçu des menaces de gangs cherchant à lui soutirer d’importantes sommes d’argent. L’homme devait collaborer ou ses filles allaient être enlevées, il allait lui-même «crever»…
Ernest s’est rendu au poste de police pour dénoncer ces criminels. «Malheureusement, on ne peut rien faire pour vous...», s’est-on contenté de lui répondre.
C’en était trop pour Ernesto qui ne voulait pas subir le même sort qu’un ami tué quelques mois plus tôt, avec des membres de sa famille. Portés disparus, ces gens avaient été retrouvés... décapités et enterrés au fond de la cour de leur maison, a spécifié Céline Girard avant de s’exclamer: «Comprenez-vous maintenant pourquoi ils ne veulent pas retourner là-bas?»
Le médecin, son épouse et leurs deux enfants ont fui aux États-Unis, mais la politique d’immigration de Donald Trump a anéanti leurs espoirs d’une vie meilleure, en sécurité surtout.
«Impossible pour vous de rester ici», leur a-t-on dit en les sommant de partir, ce qu’ils ont fait en présentant une demande d’asile au Canada, après avoir franchi illégalement la frontière au chemin Roxham.
Leur fille aînée garde un souvenir douloureux de cette traversée. «C’était horrible! J’étais la seule personne qui savait parler anglais», raconte la jeune femme de 20 ans qui avait 16 ans à l’époque. C’est avec la peur au ventre qu’elle s’est adressée aux agents frontaliers.
«Elle était une adolescente qui avait sur ses épaules la responsabilité de répondre aux questions des policiers pour pouvoir rentrer au Canada avec ses parents et sa petite soeur. Ça fait vieillir une jeune, ça!», rappelle Madame Céline avec la tendresse d’une grand-mère.
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Depuis son arrivée au Québec, à l’été 2019, cette famille a présenté trois demandes de résidence permanente et essuyé autant de refus de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR).
«Il n’y a rien d’humain là-dedans!», déplore Madame Céline en se demandant si les commissaires qui ont rendu ces décisions ont réellement pris le temps d’analyser ce dossier en profondeur.
La femme a décidé de sensibiliser le député fédéral René Villemure et son homologue provincial, Jean Boulet, à la cause de ses amis qui ont besoin d’appuis pour franchir la prochaine étape avec succès, soit l’Examen des risques avant renvoi (ERAR).
Face à cette démarche de dernier recours, la quasi-octogénaire n’entend pas rester les bras croisés. «Le processus est enclenché», annonce Céline Girard qui a accompagné Ernesto et Lizeth lors d’une rencontre avec un avocat en immigration.
«Il nous demande de démontrer que nous travaillons fort, que nous sommes bien intégrés, que des amis nous soutiennent», a indiqué Ernesto dont le permis de travail arrive à échéance à l’automne.
Le préposé aux bénéficiaires est au boulot de 7h à 15h30. Le temps de prendre une douche qu’il s’installe ensuite, et jusque tard en soirée, devant son ordinateur. À la suggestion du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, le spécialiste en médecine interne suit des cours en ligne, une forme de mise à jour offerte par le Conseil médical du Canada.
Ernesto bénéficie de l’accompagnement de l’organisme «Les anges de l’espoir ACI» qui aide les médecins immigrants diplômés hors du Canada et des États-Unis vers leur licence du Conseil médical du Canada.
Des enseignants de l’école secondaire fréquentée par la cadette des deux enfants ont écrit au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Ils y font l’éloge de cette famille «exemplaire», qui doit demeurer au Canada pour «des raisons de motifs humanitaires et de pénurie de main-d’oeuvre»…
Les employeurs d’Ernesto et de Lizeth abondent dans le même sens, en vantant leur dévouement auprès des personnes âgées.
À ces voix s’ajoute celle de l’évêque de Trois-Rivières, Mgr Martin Laliberté, qui a également acheminé une lettre aux fonctionnaires qui ont l’avenir de ces gens entre leurs mains.
«J’ai travaillé en Amérique du Sud. Je suis passé plusieurs fois par l’Amérique centrale. Je connais la situation de leur pays. Il y a beaucoup de violence avec les gangs criminalisés. Ses membres ont la mémoire longue. Ils tuent sans conscience. Pour eux, une vie humaine, ça n’a pas d’importance...», a-t-il décrit avant de s’adresser directement à Ernesto et à Lizeth, en espagnol.
«Je leur ai dit que je les appuie et que je prie pour eux», a-t-il traduit pour l’assistance qui l’a chaudement applaudi.
Portés par cette vague de solidarité à leur endroit, Ernesto et Lizeth s’accrochent à l’espoir qu’ils sont ici pour de bon. Avec Madame Céline.
«Notre famille n’est pas seule», ont-ils dit, émus, en remerciant celle qui, comme une mère, sera toujours là pour eux.