Chronique|

La virée à moto d’un résident en CHSLD

Serge Savard a profité de chaque minute de sa balade à moto, une sortie inattendue pour ce résident en CHSLD entouré de femmes bienveillantes qui, comme lui, n’oublieront pas ce moment juste parfait. À ses côtés: Karine Veillette, Caroline Guay et Maxim Lebel.

CHRONIQUE / Serge Savard a déjà eu une moto, une Harley-Davidson rouge avec laquelle il adorait sillonner les routes du Québec, libre comme l’air. C’était avant d’être obligé de la vendre pour s’asseoir dans un fauteuil roulant. Il y a quelques jours, le motocycliste vivant en CHSLD a pu renouer avec le plaisir de rouler le visage au vent.


«Si vous aviez vu son sourire, c’était vraiment touchant.»

Nicole Trépanier m’a écrit pour me mettre au parfum d’une scène dont elle venait d’être témoin en rendant visite à son mari qui réside au Centre d’hébergement Roland-Leclerc, à Trois-Rivières.



La proche aidante se trouvait à l’extérieur de l’établissement lorsque celui avec qui elle converse parfois est revenu d’une promenade en compagnie de trois employées qui, fait à noter, étaient en congé en ce dimanche ensoleillé.

C’est ce que la dame a appris en recueillant par-ci, par-là des informations au sujet de ces femmes que je vous présente tout de suite: Caroline Guay, infirmière, Karine Veillette, technologue en physiothérapie et Maxim Lebel, aide de service.

De leur propre chef, elles ont décidé d’offrir une escapade à celui qui a particulièrement besoin en ce moment de s’envelopper de paysages à perte de vue.

«Il y a tellement de choses négatives qui se sont dites et qui se disent encore envers les CHSLD, pourrions-nous parler de ce qui se fait de bien dans ce milieu?», a demandé Madame Trépanier dans son courriel, piquant ainsi ma curiosité.



Voici donc les coulisses d’une balade le long de la rivière Saint-Maurice avec une halte pour manger un sandwich au jambon et déguster les plaisirs de la vie, avant le dernier voyage.

Serge Savard a le même prénom, «mais pas le même salaire», précise-t-il, que le célèbre joueur des Canadiens. Celui-ci a gagné sa vie en tant que soudeur haute pression. Originaire de La Tuque, l’homme de 67 ans habite à Trois-Rivières depuis une trentaine d’années.

Un accident de voiture suivi d’une série d’opérations et de complications ont fragilisé ses hanches et ses jambes. «Je suis tombé assis là-dedans», dit-il en parlant de son fauteuil motorisé.

Monsieur Savard réside au CHSLD Roland-Leclerc depuis février 2022. Disons les choses franchement, il n’est pas arrivé ici de gaieté de coeur, à seulement 66 ans. Le nouveau résident était aigri, fatigué en raison de ses problèmes de santé et en deuil de son autonomie.

Karine Veillette le regarde d’un air complice en me racontant sa première rencontre avec celui qui l’a expulsée de sa chambre d’une voix tonitruante et en pointant la porte. «Dehors!», a-t-il lancé à celle qui pouvait comprendre sa réaction.

«Je portais le visage de la réadaptation, de ceux et celles qui lui avaient fait perdre son permis de conduire lorsqu’il était à l’hôpital.»



Cette fois-là, Karine n’a pas insisté, mais la technologue en physiothérapie est revenue à la charge auprès de Serge qui, peu à peu, a compris qu’elle était là pour l’aider.

Il faut savoir qu’au début, l’homme avait d’importants problèmes de mobilité, l’obligeant à être de longues heures au lit, à s’ennuyer.

L’infirmière Caroline Guay a eu cette idée lumineuse. Les proches d’un résident avaient fait don d’un fauteuil motorisé après le décès de celui-ci. L’engin était remisé au sous-sol du CHSLD en attendant de rouler sa deuxième vie.

«Aimerais-tu ça l’avoir? Tu pourrais aller te promener!», a-t-elle proposé à Serge qui ne s’est pas fait prier pour prendre les commandes du fauteuil qu’il a fait sien. À partir de là, l’homme a baissé la garde, en réalisant qu’il pouvait se sentir chez lui, ici.

Ses talents culinaires font la joie des employés. Ce résident a un accès privilégié au salon des familles où il cuisine des petits plats, dont son fameux ragoût de bœuf à la portugaise. On lui fournit les ingrédients et il s’occupe du reste avec entrain. Une recette gagnante pour tout le monde.

Alimenté par gavage, l’homme se permet parfois de goûter aux mets également concoctés pour des résidentes avec qui il s’entend particulièrement bien. Couturier à ses heures, le soudeur se débrouille assez bien merci avec du fil et des aiguilles. Le CHSLD lui a même acheté une machine à coudre avec laquelle il adapte des vêtements pour les résidents.

Trois employées en congé du CHSLD Roland-Leclerc, de même que la mère de l’une d’elles, ont fait vivre une journée de rêve au résident Serge Savard.

Depuis son arrivée à reculons au CHSLD, Serge Savard avance un peu plus chaque jour, avec sérénité, mais voilà… Il doit faire face aujourd’hui à un obstacle majeur. «Cancer généralisé», vient de lui annoncer le médecin.

Comme l’ensemble du personnel gravitant autour de cet aimable résident, Caroline Guay s’est sentie bien impuissante en apprenant que le pronostic «n’est pas très bon»…



«Nous passons plus de temps avec les résidents qu’avec les membres de notre propre famille», fait remarquer l’infirmière avec tristesse, en mentionnant que le vieillissement, la maladie, la perte de capacité, la mort et le deuil font partie de leur quotidien au travail.

«Ce n’est pas facile...», admet celle qui s’est mise à réfléchir à une façon d’exprimer son soutien à Monsieur Savard, d’adoucir le choc pour lui et ceux qui l’aiment.

«On fait de la moto toutes les deux. Ce serait merveilleux si on était capable de l’amener avec nous!», a-t-elle lancé à Karine qui a adhéré pleinement à cette super idée.

Mais avant d’inviter le principal concerné, il leur fallait obtenir l’autorisation de la gestionnaire responsable du CHSLD, s’assurer que la condition physique du résident lui permettait de partir ainsi à l’aventure. Il fallait surtout réfléchir à la façon d’aider ce grand gaillard à embarquer – et à descendre – de la moto. Monsieur Savard a de gros bras pour s’aider, mais rien ne devait être laissé au hasard.

«L’unité au complet s’est mobilisée!», tient à préciser Caroline avec reconnaissance pour ses collègues qui ont fait en sorte que l’ami Serge puisse partir là où le chemin allait les mener, lui et sa gang de filles.

La mère de Karine, qui avait souvent entendu parler des progrès de ce résident au cours des derniers mois, a suggéré qu’il soit son passager sur sa confortable moto à trois roues. Marché conclu.

Maxim Lebel s’est quant à elle proposée pour les suivre au volant de sa voiture. Comme ça, si Monsieur Savard, que la jeune femme appelle affectueusement «mononcle», avait soudainement besoin de se reposer, il allait pouvait revenir dans sa Civic, côté passager.

«On continue. Pas question que je débarque.»

Le motocycliste dans l’âme et son quatuor féminin se sont rendus jusqu’à Grandes-Piles où ils ont fait un arrêt pour admirer la rivière et les montagnes. Allez savoir pourquoi, Serge avait le goût de manger un sandwich et pas n’importe lequel, un sandwich au jambon, fait maison.

Qu’à cela ne tienne, le groupe a acheté pain et charcuterie dans une station-service. Le temps d’un pique-nique improvisé, le résident a fait fi de son régime par sonde pour mordre dans le bonheur de vivre.

«Changer le mal de place, ça fait du bien», m’a-t-il dit au moment de résumer cette journée à l’extérieur des quatre murs de sa chambre.

«On a vécu de belles émotions!», enchaîne Maxim avec l’enthousiasme de ses 20 ans. «Il y a beaucoup d’amour ici!», ont renchéri Caroline et Karine en sachant pertinemment que ce n’est pas cette image qui nous vient spontanément à l’esprit lorsqu’on imagine le temps qui passe dans un CHSLD.

«Ce n’est pas parfait, mais les bons coups doivent être racontés», a rappelé Nicole Trépanier, satisfaite que je donne suite à son courriel.

Cette femme est demeurée silencieuse tout au long de la rencontre, touchée en découvrant l’histoire derrière le sourire de ce résident qu’elle a vu revenir à moto, sous un ciel radieux.

Monsieur Savard opine de la tête, à jamais reconnaissant pour cette balade des gens heureux.