Chronique|

Cultiver la joie… malgré le cancer

Travailleuse sociale, Isabelle Lafrenière a animé l’activité intitulée «Cultiver la joie» auprès de femmes atteintes du cancer, des combattantes qui ont pu échanger sur l’importance de faire une place au plaisir, malgré l’épreuve de la maladie.

CHRONIQUE / Les deux semblent inconciliables, mais à entendre les rires qui ont retenti dans ce local au sous-sol d’une église, cancer et joie peuvent cohabiter dans la même personne.


«Tes cheveux sont beaux! Ça repousse!»

La dame accepte le compliment en faisant une blague sur sa chevelure post-chimio et la conversation continue avec entrain. Les plus récentes nouvelles sont encourageantes.



Les unes après les autres, des femmes arrivent dans ce lieu où des chaises ont été placées en forme de cercle avec, en arrière-plan, un joli piano sans doute désaccordé, mais qui dégage une force tranquille. Juste à côté, une fausse plante verte qui procure un réel apaisement. Puis, enfin, dispersées ici et là sur des petites tables à portée de main, de précieuses boîtes de mouchoirs, au besoin.

L’accueil est chaleureux à ce café-rencontre du Centre du sein Le Ruban Rose. En cette matinée ensoleillée, quinze participantes ont eu envie de se joindre à la discussion. Intriguée par la thématique qui leur était proposée, je me suis invitée.

«Quelle place fait-on au PLAISIR lorsqu’on traverse une épreuve? Est-ce que les deux concepts sont compatibles? La réponse est: OUI!», pouvait-on lire sur la page Facebook du Ruban Rose qui a vu le jour à Shawinigan avant d’élargir sa mission à la grandeur de la Mauricie, de Trois-Rivières à La Tuque.

Cet organisme à but non lucratif offre du soutien aux personnes touchées de près ou de loin par le cancer du sein (et autres). Les proches sont les bienvenus. Eux aussi ont besoin d’une oreille attentive et bienveillante pour traverser cette tempête qui peut frapper tout le monde, sans distinction d’origine, d’âge, de sexe, de religion, de profession, de revenu…



Travailleuse sociale, Isabelle Lafrenière a animé l’activité auprès de celles qui ont raconté des pans de leur histoire en toute transparence, sachant que leurs confidences allaient être reçues sans jugement. L’expérience de chacune est unique, mais ces femmes peuvent toutes se reconnaître à travers les hauts et les bas de la maladie.

Comment cultiver la joie malgré les larmes de tristesse, de colère, de douleur, d’inquiétude et tout le bataclan d’émotions qui riment généralement avec cancer?

Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, que des réflexions partagées avec générosité par ces femmes touchantes de vérité...

«On ne voit pas avec les mêmes yeux. On s’émerveille davantage pour les choses simples de la vie. Garder mes petits-enfants, ça peut me fatiguer, mais le temps que j’ai avec eux, je suis bien, ça me remonte le moral.»

«On lâche prise par rapport à nos anciennes habitudes d’en faire toujours plus. Ce n’est pas facile, mais j’essaie de dire «non», de faire ce que j’ai envie de faire. Cette année par exemple, je ne plante pas de tomates, je vais les acheter. Entretenir un jardin, c’est demandant, alors je passe mon tour. Je prends du temps pour moi.»

«Dans la vie, on a souvent tendance à focusser sur les affaires négatives. Je me suis acheté un livre de gratitudes dans lequel j’écris un bon moment de ma journée, même quelque chose de banal.»



«Je n’ai pas de métastases au cerveau. Yes! J’ai peut-être une chance de passer au travers. Peut-être que les miracles, ça existe. J’ai toujours un petit doute, je n’ai pas hâte de repasser un scan, le mois prochain, mais j’essaie de ne pas y penser. Je profite de cette bonne nouvelle, ça me fait vraiment du bien! Cette semaine, j’ai été capable de laver deux armoires de cuisine.»

Les échanges se sont poursuivis ainsi, avec, en toile de fond, les petites et grandes joies pouvant adoucir la souffrance morale et briser l’isolement.

Certaines viennent de recevoir un diagnostic, d’autres sont entre deux traitements ou tournent graduellement la page, en amorçant un retour au travail. Ces femmes se comprennent sans se parler. Elles ont toutes en commun la volonté de prendre le temps de vivre. Plus que jamais.

«Ici, on accueille ce qui arrive, ce qui va bien et ce qui va plus mal», a souligné Isabelle Lafrenière en les encourageant à «muscler» leur cerveau aux émotions positives, sans pour autant refouler la peine, le doute et la peur qu’il est normal de ressentir face à la maladie.

«Pour être bien honnête, cultiver la joie, ce n’est pas toujours facile...»

J’ai levé les yeux de mon carnet de notes, surprise de reconnaître la voix de celle qui, depuis le début de la rencontre, s’amusait à faire rire les participantes avec des réflexions teintées d’humour. J’étais persuadée que cette enseignante prénommée Manon était sur le chemin de la guérison alors qu’elle vit avec un cancer du sein de stade 4 et un sombre pronostic.

«Parfois, je trouve ça difficile, les attentes des autres. Il faudrait que je sois de bonne humeur. C’est comme si je ne pouvais pas avoir de creux de vague. Il y a des journées où la gratitude, elle passe en dessous du tapis. Je ne la vois pas et, à la limite, je ne veux pas la voir», a laissé tomber la dame en ne cherchant pas à retenir ses larmes.

«Être de stade 4 me ramène souvent à l’avenir que je ne connais pas. Je trouve ça difficile de trouver le bonheur parce que le négatif de l’inconnu est plus fort.»



Autour d’elle, d’autres femmes ont épongé leurs yeux en silence, émues par ce témoignage à coeur ouvert.

«Venir ici, ça me fait du bien», a tenu à leur dire Manon, reconnaissante pour leur présence réconfortante.

La veille, elle avait assisté au spectacle de ses anciens élèves. «C’était beau! J’ai eu des frissons, j’ai ri et j’ai pleuré. C’était une soirée parfaite!», a-t-elle raconté en souriant de nouveau.

Manon avait apporté des fleurs de couleur rose pour toutes les participantes. J’ai cru reconnaître des géraniums. À moins que c’était des bégonias? Je les confonds toujours…

Quoi qu’il en soit, les femmes sont reparties avec, chacune, un plan pour enjoliver leur parterre. Comme Manon, elles souriaient, visiblement heureuses d’avoir partagé ce moment fait de rires et de larmes.

Reconnaître et vivre ses émotions au quotidien, c’est aussi ça, cultiver la joie.