Le chef du NPD a admis cette semaine ce que nous écrivions récemment, à savoir qu’il ne retirera pas son appui au gouvernement Trudeau tant que l’assurance dentaire qu’on lui a promise ne sera pas en place. Or, ce programme ne devrait être pleinement déployé qu’en 2025.
L’autre excuse avancée par M. Singh est beaucoup moins crédible. Il a soutenu que ce n’était pas le moment d’aller en élection parce que notre système électoral est malmené et qu’il faut d’abord le fortifier. Le chef du NPD s’aventure sur une pente glissante en laissant entendre qu’il n’est plus possible de tenir des scrutins intègres, dans l’état actuel des choses.
Bien sûr qu’il faudra mieux protéger nos processus, en particulier les courses à l’investiture (par lesquelles un parti se choisit un candidat dans une circonscription). Celles-ci sont souvent sujettes à diverses manipulations, pas toujours étrangères d’ailleurs. Mais nos élections demeurent intègres, comme l’ont affirmé le patron du SCRS et les hauts fonctionnaires chargés de surveiller celles de 2019 et 2021. Même Erin O’Toole, l’ancien chef conservateur qui a été visé par cette ingérence, a précisé qu’il ne remettait pas en question le résultat de 2021.
M. O’Toole, ainsi que la députée néodémocrate Jenny Kwan, ont d’ailleurs révélé cette semaine de quelle manière ils avaient été ciblés par la Chine après avoir reçu un breffage à ce sujet du SCRS. Leur sortie publique prouve que Pierre Poilievre et Yves-François Blanchet ont tort de refuser de voir les renseignements secrets sur lesquels s’est appuyé David Johnston pour rejeter la tenue d’une enquête publique. Être dans le secret ne les a pas muselés.
Selon Erin O’Toole, la Chine s’en est prise à lui en produisant de la fausse information à son sujet, en bâtissant un réseau pour la disséminer et en s’adonnant à la suppression du vote. Tout cela est fort condamnable, mais admettons que salir un candidat n’est pas une méthode propre à Pékin.
Rappelez-vous l’élection de 2019. Des publicités en langue chinoise sur Facebook avaient faussement soutenu que les libéraux légaliseraient toutes les drogues. Cette campagne de désinformation avait été menée… par le Parti conservateur. En 2011, ce même Parti conservateur avait mené une campagne de suppression du vote des électeurs ne lui étant pas acquis. Des appels robotisés prétendant provenir d’Élections Canada les dirigeaient vers des bureaux de scrutin inexistants. Le mauvais génie de ce stratagème, dont l’alias était Pierre Poutine, a été condamné en justice.
Répétons-le: la Chine et tous les autres régimes autoritaires qui s’amusent à empoisonner nos élections doivent être vigoureusement tenus à l’écart. Il est néanmoins ironique que les conservateurs posent en parangons de vertu démocratique, alors qu’ils se sont prêtés au même jeu toxique.
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Le pantin de tous
Ce qui nous amène à David Johnston. Il a décidé de poursuivre son travail malgré le désaveu que lui a infligé la Chambre des communes mercredi. Parions que sa tâche sera difficile et que beaucoup de spécialistes qui auraient quelque chose de constructif à apporter au débat choisiront de ne pas participer aux audiences publiques de peur d’être eux aussi salis.
Car le procès fait à M. Johnston sent la mauvaise foi tellement il a des airs de déjà-vu.
En 2007, Stephen Harper lui avait demandé de définir les paramètres de la future commission d’enquête sur les paiements mystérieux empochés par l’ancien premier ministre Brian Mulroney, lui aussi conservateur. À la déception générale, David Johnston avait recommandé de laisser de côté l’angle Airbus de cette affaire — à savoir que ces paiements auraient pu être des pots-de-vin rétroactifs pour un juteux contrat gouvernemental décroché par le géant aéronautique. Quand, trois ans plus tard, M. Harper nomme ce même David Johnston gouverneur général, il s’en trouve plusieurs pour y voir un retour d’ascenseur.
En plus, M. Harper était minoritaire et le gouverneur général aurait pu avoir à trancher l’avenir de son gouvernement, comme avait eu à le faire sa prédécesseure Michaëlle Jean. «Si [le mandat de 2007] était une audition pour savoir ce que David Johnston ferait lorsque les intérêts de M. Harper seraient en jeu, vous seriez rassurés», avait écrit un chroniqueur du Globe and Mail.
En résumé, David Johnston aurait accompli à la fois les basses oeuvres de Stephen Harper et de Justin Trudeau. Cela devrait nous convaincre que les accusations le visant ont moins à voir avec le sujet de l’heure qu’avec le besoin de noircir le premier ministre de l’heure.
En 2010 toujours, le patron du SCRS, Richard Fadden, avait fait une sortie fracassante, affirmant que des gouvernements provinciaux et municipaux étaient infiltrés par des espions chinois. L’opposition avait-elle accusé Stephen Harper de nonchalance, voire de complaisance? Nenni. La classe politique avait plutôt dénoncé en choeur l’irresponsabilité de M. Fadden, au point que ce dernier avait dû en partie se rétracter.
C’était l’époque où on voulait tellement faire copain-copain avec la Chine que M. Harper allait conclure avec elle une entente de collaboration militaire (2013) et signer un protocole de réciprocité commerciale (2014). Dans ce contexte, pas étonnant que le milieu universitaire acceptait volontiers l’argent chinois, incluant une certaine Fondation Trudeau…
Autre temps, autres moeurs. Mais ces nombreuses incohérences confirment que si une part de l’indignation actuelle est valide et bien-fondée, une part non négligeable trouve sa source dans une partisanerie primaire ne faisant pas honneur au débat public.