Chronique|

Débandade à la Banque Laurentienne

La Banque Laurentienne a éprouvé de sérieux ennuis informatiques dans les derniers jours, au point où deux de ses plus hauts dirigeants ont été congédiés.

CHRONIQUE / Non pas que je m’en réjouisse, mais les déboires qui accablent autrui aident parfois à relativiser ses propres petits soucis.


Tenez, juste la semaine dernière, ma corde à linge a cassé au moment où j’épinglais la dernière chaussette d’une brassée embaumant le parfum de tilleul. Minutieusement alignés dans un dégradé de couleurs et classés en ordre de tailles (une bénigne obsession), mes vêtements se sont retrouvés pêle-mêle à l’étage plus bas.

J’aurais pu laisser tomber un gros mot, mais il m’a suffi de fermer les yeux pendant cinq secondes et de m’imaginer dans la peau du responsable des systèmes informatiques de la Banque Laurentienne. Ça a ménagé ma sérénité.

« Ce gars-là qui exaspère autant de gens et qui se fait appeler par ses patrons au milieu de la nuit passe une pire journée que moi », me suis-je dit. C’est donc en sifflotant que j’ai extirpé mes bobettes et mes t-shirts des bacs à fleurs des voisins.

J’aurais pu tout aussi bien songer aux clients incommodés de l’institution financière, mais c’est trop de monde à qui penser en même temps pour remettre en perspective d’aussi légères préoccupations domestiques.

Durant des jours, des centaines de milliers de personnes ont été incapables d’accéder à leur compte de banque en ligne après une panne informatique majeure à la Laurentienne. En cause : une opération d’entretien de routine.

Les pauvres victimes ne pouvaient plus consulter le solde de leur compte, vérifier si leur paie était déposée, payer leurs factures, transférer de l’argent…

Hier encore, des utilisateurs à bout de nerfs rapportaient quelques difficultés persistantes, c’est désastreux pour l’image de l’entreprise qui n’était pas déjà des plus étincelantes.

Les ennuis techniques occasionnels, cela dit, c’est le prix à payer pour accéder à des services performants reposant sur des infrastructures technologiques de pointe : les communications, la médecine, les services financiers, les transports, le commerce en ligne, l’énergie et bientôt les voitures qui se conduisent toutes seules…

Plus ça nous semble s’approcher de la magie, plus les risques de panne, de sabotage et de fuites d’information augmentent. On devra se faire à l’idée, je vous dis ça en passant.

Mais quand on pense à « performant » ou à « magie », ce n’est pas exactement la Banque Laurentienne qui nous vient à l’esprit. Sur le plan technologique, l’institution accuse un retard gênant sur la concurrence.

Qu’elle compte encore quelque 350 000 clients fidèles alors qu’il y a moins de deux ans à peine, elle ne proposait toujours pas d’application mobile, cela relève du miracle. Qu’est-ce que c’est, une banque pour technophobes?

Les témoignages de clients prêts à abandonner le navire pullulent depuis quelques jours un peu partout. Il aura donc fallu une panne informatique de presque une semaine pour provoquer un exode. S’il se concrétise, c’est loin d’être anodin.

C’est au contraire assez dramatique, car il faut atteindre un niveau élevé d’écœurement pour déménager ses actifs, ouvrir de nouveaux comptes, commander de nouvelles cartes, reprogrammer ses opérations automatiques, modifier la destination des dépôts de paie, de rentes et d’allocations diverses…

C’est vous dire comment la force d’inertie peut peser lourd dans l’industrie des services financiers, et elle agit dans tous les sens. Une fois partis et installés ailleurs, les clients perdus ne reviendront plus jamais.

Aussi longtemps que je me souvienne, la Laurentienne m’a semblé un peu vivoter, toujours en quête d’une stratégie pour se démarquer, sans grand résultat. Dans les années 2000, alors que toutes les succursales de banque fonctionnaient encore sur le même vieux modèle, avec une file de clients et des employés derrière leur guichet brun, la petite banque a lancé un concept de succursales à mi-chemin entre le café branché et le petit cabinet de services conseils, avec des îlots, des tabourets, un décor attrayant…

Bref, le genre d’endroit où on aurait eu envie de flâner tout en se faisant parler de REER, mais rien pour changer l’ordre des choses, où la Laurentienne poireaute loin derrière.

Plus tard, la banque a beaucoup misé sur le marché des prêts hypothécaires afin d’attirer une nouvelle clientèle. Je n’ai jamais su si ç'a fini par porter fruit, mais au vu de la situation actuelle, j’émets un doute sur cette tentative, sur celles qui l’ont précédée et sur les autres qui l’ont suivie. Elle a même tenté de se mettre en vente récemment, sans succès.

Malgré l’absence d’outils transactionnels dernier cri et bien des tâtonnements, on peut toujours trouver un peu de fierté à faire affaire avec le joueur marginal, pour peu qu’il demeure proche de sa clientèle. Ce qui restait de ce capital de sympathie s’est probablement évaporé il y a quelques années avec l’arrivée d’une PDG anglophone, Rania Llewellyn, dirigeant l’entreprise depuis Toronto.

Dimanche, elle et le président du conseil d’administration de la banque se sont fait montrer la porte. Un officier de l’interne, Éric Provost, est aux commandes de l’institution depuis hier avec pour objectif de rétablir la confiance des clients envers sa société.

Si ma sécheuse brise cette semaine, c’est à lui que je vais penser.

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L’angoisse

Je comprends l’anxiété des clients qui n’ont soudainement plus accès à leurs informations bancaires. Comme l’argent est aujourd’hui parfaitement immatériel, la seule preuve de son existence réside dans les données que nous envoient nos applications bancaires. Quand elles disparaissent, c’est angoissant.

À cet égard, la Laurentienne a échoué à rassurer sa clientèle, d’autant plus que sa maudite panne s’est éternisée.

À la lecture des commentaires sur la page Facebook de la banque, je comprends aussi que des clients n’ont pratiquement aucune marge de manœuvre. Parce que tous leurs avoirs sont concentrés au même endroit, parce qu’ils règlent leurs factures à la vielle de l’échéance, parce qu’ils vivent de paie en paie. Au premier pépin, ils se retrouvent paralysés, impuissants.

Les entreprises doivent s’efforcer d’améliorer leur système, mais ça ne nous mettra jamais à l’abri d’une panne ou d’une fraude. Les clients ont donc aussi quelques mesures à prendre : répartir leur pécule dans plus d’une institution; payer leurs factures plusieurs jours à l’avance; détenir au moins deux cartes de crédit de réseaux différents; se constituer un fond d’urgence. Et pourquoi pas, conserver un peu d’argent liquide à la maison.

Inutile de m’écrire pour me signaler que ce n’est pas à la portée de tout le monde.