Chronique|

Le débat sur le coût de la vie vire au burlesque

Le débat sur la hausse du coût de la vie, particulièrement le prix du panier d’épicerie, a pris des allures franchement burlesques à la Chambre des communes.

CHRONIQUE / Ciel! Les prix des aliments ont diminué de 0,4 % au mois d’août par rapport à juillet, a-t-on appris hier de Statistique Canada. Sur quel sujet Pierre Poilievre, Jagmeet Singh et Justin Trudeau pourront-ils se crêper le chignon, dites-moi?


Le débat sur la hausse du coût de la vie, particulièrement le prix du panier d’épicerie, a pris des allures franchement burlesques à la Chambre des communes. Depuis des mois, des conservateurs à court de solutions tapent sur le clou à coups de slogans d’enfants d’école, comme si un phénomène mondial était le fait d’un seul homme (Trudeau). Le NPD ne vole guère plus haut avec sa rhétorique simpliste selon laquelle d’avares épiciers complotent soudainement pour s’enrichir davantage sur le dos du pauvre monde.

Et maintenant que les sondages lui sont très défavorables, voilà que le gouvernement Trudeau saute dans l’arène. Mardi, il a convoqué des représentants des grandes enseignes de l’alimentation pour leur dire dans les yeux : « cessez d’augmenter vos prix, ou bedon… » L’ultimatum ne vise apparemment que les produits de base, ce qui exclut la patate farcie de ma collègue Lise.

Ottawa compte aussi rencontrer les fournisseurs pour leur passer le message, puis se concerter avec les gouvernements d’autres pays. Le terrain à ratisser m’apparaît tellement vaste qu’il pourrait nécessiter un autre mandat. Deux même! Dernière étape, Miss Météo : « Arrange-toi pour qui mouille juste assez. » Tout un revirement après des mois d’inertie.

Cette ingérence dans les affaires des épiciers risque bien entendu d’aboutir sur du vent.

Des tentatives du même genre ont produit de résultats décevants dans l’industrie des télécommunications, pourtant bien moins complexe que le secteur de l’alimentation. Cette soudaine agitation permettra sans doute aux libéraux de s’arroger des résultats qui se produiraient de toute façon, sans son intervention. C’est probablement l’objectif. L’inflation ralentira, avec ou sans les simagrées d’un ministre. Ne nous racontons pas d’histoire, l’opération vise surtout à donner l’impression que le gouvernement prend les choses en main.

(Tout le monde s’entend pour dire qu’un peu plus de concurrence pourrait soulager le portefeuille des consommateurs, mais dites-moi qui pourrait être tenté de venir s’implanter dans un tel environnement d’affaires.)

Si l’attention d’Ottawa se porte tout d’un coup sur le panier d’épicerie, c’est que les libéraux traînent dans les sondages, mais aussi parce que la question préoccupe vraiment les gens. Il suffit de se pencher sur sa facture pour que l’inflation alimentaire nous saute aux yeux. Mais l’anxiété vient-elle uniquement des prix qui grimpent? Se sent-on plus étouffés du fait qu’on répète que les prix nous étouffent?

C’est ici que cette chronique emprunte un chemin sur lequel je ne me ferai pas beaucoup d’amis en ramenant l’enjeu de base : combien d’entre vous souffre de la faim? Vous avez dû changer vos habitudes? C’est ce qu’on fait depuis toujours!

Je ne veux pas banaliser la situation des ménages les plus démunis dont la facture d’épicerie représentait déjà un fardeau, je comprends que l’inflation alimentaire frappe de manière disproportionnée certaines familles. Mais les autres là, comment ça va? Les prix du steak haché vous a-t-il forcé à rogner dans vos vacances?

La Presse rapportait hier les résultats d’une enquête internationale Nielsen sur la question. Je me méfie toujours des sondages lorsqu’ils traitent de finances personnelles, car ils expriment moins la réalité que les perceptions, le «ressenti». Dans le cas de ce sondage Nielsen, c’est justement ce qui est intéressant.

Je ne sais pas ce qui se passe dans notre pays, mais toujours est-il que c’est ici, au Canada, où la hausse des prix des denrées alimentaires figure au sommet des préoccupations du plus grand nombre de gens. Quelque 52 % des Canadiens affirment que c’est leur principale inquiétude! C’est plus que dans des pays où le niveau de vie est nettement moins élevé, comme la Pologne, la Colombie, le Mexique, l’Égypte et la Turquie!

Les Canadiens se disent plus angoissés par la hausse de leur facture d’épicerie que les Français (40 %) qui ont subi une inflation alimentaire deux fois plus rapide qu’ici (malgré une concurrence plus forte et l’action rapide du gouvernement français ). Ce que j’en déduis, c’est que les Canadiens ne rencontrent pas d’autres problèmes assez importants. (On n’en manque pas, à commencer par l’accès au logement de plus en plus impossible, un enjeu qui mérite une intervention musclée et coordonnée de l’État, une politique nationale, pas du théâtre opportuniste.)

Pourtant, pourtant, pourtant… Les augmentations de salaire finissent toujours par rattraper et surpasser les hausses de prix à la consommation. Globalement, notre pouvoir d’achat n’a cessé de s’améliorer avec les années. On est plus riches qu’il y a 20 ans, alors que le steak haché coûtait une fraction du prix actuel.

Comment il disait ça, déjà, l’analyste à la radio, cette semaine? Ah oui! « Peu importe la réalité, en politique, la réalité, c’est la perception de l’électorat. »