Chronique|

Vendre ses actions de pétrolière, qu’est-ce que ça change au climat? (Rien)

Ce pipeline d’Enbridge transporte environ 540 000 barils par jour de pétrole et de gaz naturel.

CHRONIQUE / Les interrogations du lecteur Alain, de Trois-Rivières, se passent de préambule. Allons directement à son message que je reproduis quasi intégralement:


Une amie écolo me presse pour que je me départisse de mes actions de la pétrolière Enbridge. « Il en va de l’avenir de la planète », me répète-t-elle. Personnellement, j’ai plutôt l’impression que vendre mes actions à quelqu’un d’autre n’y changera rien pour la survie de la planète et me fera perdre les 7,5 % de dividendes que cet investissement me procure.

Y a-t-il un intérêt écologique au fait qu’un petit investisseur retire ses quelques billes du secteur pétrolier? Ou ça ne fait seulement que transférer l’avantage du dividende vers le nouveau détenteur des actions?

Qu’en est-il de cette même demande d’activistes écolos à l’égard de divers fonds de retraite afin qu’ils éliminent leurs placements dans le secteur de l’énergie fossile? Cela peut-il avoir un véritable impact sur les compagnies et sur l’environnement considérant que ces actions sont déjà sur le marché et procure aucun nouvel argent dans les opérations de la compagnie?

Merci de nous éclairer.

Lecteur Alain, je vous retourne les remerciements. Vos questions sont d’actualité et des plus intéressantes.

Avant d’y répondre, je me permets une première observation. Vous faites référence à votre amie «écolo» et aux activistes «écolos». Depuis quelques années déjà, les préoccupations à l’égard du climat débordent largement des cercles militants, elles gagnent tranquillement tous les agents économiques! Par vertu? Pas nécessairement, car les coûts des changements s’annoncent costauds, autant pour les gouvernements que pour les entreprises.

Les grands fonds d’investissement ne cèdent pas sous la pression d’une poignée d’écolos, mais de la réalité climatique. En 2021, près de 300 institutions financières gérant plus de 100 000 milliards $US dans 40 pays se sont engagées à rendre leur portefeuille carboneutre d’ici 2050. Le premier pas dans cette direction consiste à se départir des investissements (actions et obligations) dans la production des énergies fossiles, soit le pétrole, le charbon et le gaz.

Je m’écarte sans doute un peu du sujet, mais pas trop. Je regardais mardi le dévoilement d’une nouvelle fournée de produits d’Apple, des téléphones et des montres. Je ne me souviens pas qu’on ait consacré autant de temps au sujet de la carboneutralité dans un événement d’introduction d’une nouvelle génération d’iPhone. Certes, la multinationale se trouvait peut-être obligée de combler du temps d’antenne tellement son menu était mince, mais la mise en marché d’un premier produit électronique 100 % carboneutre, l’Apple Watch, me semble une nouvelle mésestimée.

Tout ça pour dire que c’est dans cette direction qu’on s’en va, l’idée fait consensus, si on excepte la frange très bruyante de climatosceptiques. Le rythme auquel on doit opérer la transition alimente cependant la polémique, et les « écolos » voudraient que ça aille plus vite.

Maintenant, est-ce que l’échange entre deux individus des actions d’un producteur de pétrole peut accélérer les choses? Vous avez raison, ça ne changera rien sur le terrain ni dans la situation de la pétrolière. Si vous réduisez vos déplacements avec votre voiture à essence demain matin, ça n’aurait aucun impact non plus. En fait, pour atteindre des résultats, on doit convaincre beaucoup de monde de modifier leurs habitudes. Si chacun d’entre nous reste campé dans ses positions sous prétexte que les gestes individuels n’ont aucun impact, il nous reste à espérer des miracles.

Les grands gestionnaires d’actifs financiers, s’ils agissent de façon concertée, ont plus de poids.

S’ils tournent le dos aux producteurs d’énergie fossile, ces derniers verront se fermer graduellement leur accès aux capitaux. Ça devient alors plus compliqué de trouver le financement pour explorer et exploiter de nouveaux gisements.

Si l’argent ne va pas dans la production d’énergie fossile, où ira-t-il? Vers des projets d’énergie renouvelable et propre, les éoliennes, le solaire et d’autres technologies en développement.

On discute d’investissement dans l’énergie, mais ce pourrait être de n’importe quoi d’autre. Entre un fabricant de téléphones à roulette en déclin qui verse des dividendes et une entreprise novatrice qui s’apprête à révolutionner le secteur des communications, laquelle offre la meilleure perspective d’investissement? La technologie d’hier ou celle de demain?

La transition (lente, c’est vrai) est en cours. Au terme du processus, les actions des pétrolières, à moins qu’elles ne se réinventent, devraient présenter beaucoup moins d’attrait pour l’investisseur individuel. Ce sera trop tard rendu là de vous départir de vos titres, lecteur Alain, car qu’ils n’intéresseront plus personne.

Mais supposons qu’il reste encore quelques « bonnes » décennies à cette industrie, l’année 2050, ce n’est pas demain matin, et la production d’énergie fossile continue d’augmenter. Les actions de pétrolières représentent-elles pour autant un bon placement? Parmi les meilleurs investisseurs, rares sont ceux qui affectionnent le secteur pétrolier. Celui-ci est cyclique et soumis aux impondérables de la géopolitique mondiale, les prix du baril se trouvent en plus sous l’influence d’une poignée d’États peu fréquentables. Oui, mais les dividendes? Ce n’est souvent qu’un leurre pour détourner l’attention d’un manque d’innovation.