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Gagnant à vie: entre la rente et le montant forfaitaire, il y a mieux

Johnson Bond a préféré recevoir un montant forfaitaire de 500 000$ plutôt que 25 000$ par année pour le reste de ses jours.

CHRONIQUE / On aimerait que tous les chanceux de la loterie soient aussi sympathiques que Johnson Bond, Nord-Côtier gagnant à Grande Vie. Depuis le mois dernier, il est plus riche d’un demi-million de dollars.


Pour Loto-Québec, il n’y a pas de meilleure publicité qu’un représentant du vrai monde qui dit vouloir gâter des gens de sa communauté et s’offrir du « luxe » relativement modeste. L’homme de Longue-Pointe-de-Mingan (c’est là qu’il a acheté son billet) compte utiliser son lot pour aider les jeunes de sa région, rénover sa maison et se payer un tracteur pour déblayer sa grande entrée, l’hiver.

La nouvelle a paru sur le site d’information locale Ma Côte-Nord, elle s’est frayé un chemin jusque dans Le Journal de Montréal. On ne fait pas des histoires chaque fois que quelqu’un remporte 500 000 $, des broutilles en comparaison des dizaines de millions en jeu aux tirages de Lotto Max. Ce qui est intéressant ici, c’est que le gagnant a décliné une rente de 25 000 $ non imposable par année à vie pour recevoir à la place un montant forfaitaire d’un demi-million de dollars.

La grande question, évidemment, se résume ainsi : du point de vue financier, aurait-il été plus judicieux de choisir la rente. On ne peut que spéculer, car si on voulait obtenir LA bonne réponse, il faudrait savoir le nombre d’années qu’il reste à vivre à Johnson Bond.

Il faut 20 ans pour récolter 500 000 $ à coup de 25 000 $ par année. La rente mettra quelques années de plus à battre le lot forfaitaire si celui-ci est investi. Pour être pointilleux, on pourrait aussi inclure dans la réflexion la perte de la valeur de l’argent dans le temps. Un demi-million de dollars en 2023 procure un pouvoir d’achat supérieur à un demi-million étalé sur 20 ans. Cet aspect demeure théorique, car à l’exception des actifs financiers, tout ce qu’on pourrait acquérir aujourd’hui avec 500 000 $ ne vaudra plus grand-chose dans 20 ans.

Dans deux décennies, il ne restera probablement rien des rénovations et du tracteur dont rêve Johnson Bond. Quant à l’aide aux enfants, elle pourrait n’avoir aucun impact sur le cours des choses ou, au contraire, modifier le parcours de quelques individus. On ne sait pas.

On ne connaît même pas l’âge du chanceux. À l’œil, on lui donnerait entre 57 et 62 ans. Si mon estimation est juste, les avantages de la rente se manifesteraient entre son 77e et son 82e anniversaire. Il se trouve donc à un âge où il doit parier en plus sur sa longévité. Le risque de laisser de l’argent sur la table en choisissant le revenu viager est élevé, mais la probabilité que l’individu vive plus longtemps est importante aussi.

Pour mieux soupeser les options, il nous faudrait aussi connaître la situation financière du gagnant. Sa décision n’a pas le même impact selon que ses revenus de retraite sont ou non suffisants et assurés. Un revenu viager de 25 000 $ par année, c’est pour la plupart des Québécois la différence entre des années d’anxiété financière et la paix d’esprit.

Une troisième voie plus avantageuse

Aurait-il dû choisir la rente de Loto-Québec? Après mon petit exposé, vous pensez sans doute que oui. Eh bien, non! Une autre option plus avantageuse existe : réclamer le demi-million et utiliser la somme pour acheter une rente viagère auprès d’un assureur.

L’âge de Johnson Bond représente ici un facteur clé. Loto-Québec verse la même rente, peu importe l’âge du gagnant. Pas un assureur. Plus le client est âgé au moment de se procurer sa rente, plus celle-ci sera élevée (et vice versa).

Un jeune gagnant a intérêt à conserver la rente de Loto-Québec, un vieux à considérer celle de l’assureur, acquise avec le montant forfaitaire. Le Nord-Côtier entre dans la zone où l’assureur commence à devenir plus profitable. Il y a trois ans, le scénario aurait été différent en raison des taux d’intérêt plus bas.

S’il a 57 ans, le Nord-Côtier pourrait utiliser son lot pour acheter une rente annuelle de plus de 29 000 $ par année. Celle-ci grimperait à plus de 32 000 $ si notre chanceux a fêté son 62e anniversaire. (Les tarifs proviennent du calculateur de Sun Life. Ils peuvent varier d’une compagnie à l’autre).

Autre aspect à considérer : le fisc. Je l’ai mentionné ici récemment, la petite partie de la rente correspondant au rendement est imposable, la ponction fiscale variera en fonction du taux d’imposition du contribuable. Des quelque 29 000 $ qu’il toucherait à 57 ans, notre cas en conserverait plus de 26 500 $ si son taux marginal d’imposition était de 27 %. Si l’impôt était de 50 %, la rente serait d’un peu plus de 24 000 $ par année. À 62 ans, le produit d’assurance l’emporte sur Loto-Québec, peu importe le taux d’imposition.

« Notre sympathique gagnant aurait donc pu couper la poire en deux. »

J’ignore le coût des rénovations qu’il envisage, le prix du tracteur qu’il lorgne et l’ampleur du don qu’il compte faire pour la cause des enfants. Mais en supposant que la moitié de son prix suffise pour couvrir ses petits luxes et son geste de générosité, il pourrait s’acheter une rente viagère de 15 000 $ à partir de 62 ans avec l’autre moitié.

Ça me semble un pas pire plan, ça.

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La chance

Des sondages nous rappellent de temps en temps qu’un nombre important de Canadiens comptent sur la chance pour financer leurs vieux jours, quand ce n’est pas grâce à un héritage inattendu, c’est à l’aide d’un gain de loterie. Je me méfie des sondages, mais je n’ai aucun doute que des gens espèrent que Loto-Québec pourra pallier leur piètre planification de retraite. Trois mots pour ceux-là : cessez de rêver.

À Grande Vie, un participant a une chance sur plus de 2,2 millions de gagner le prix remporté par Johnson Bond. Ce n’est pas le lot le plus important, car on a une chance sur plus de 13 millions de gagner une rente de 1000 $ par jour avec ce jeu. L’autre loterie du genre, Gagnant à vie, propose un lot de 1000 $ par semaine à vie.

Je vous avoue, ma Brunette et moi nous laissons tenter parfois par ces billets à gratter, on s’agite avec nos dix cennes dans une chorégraphie maintenant bien huilée, un vrai sketch durant lequel on imagine des projets ridicules.

Heureusement que ça nous fait rire, car nos probabilités de remporter le gros lot sont presque nulles, à une sur 1,2 million. Les chances pour une personne d’être frappée par la foudre au cours de sa vie sont plus élevées.