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Trop vieilles pour travailler

Dans la région, des femmes qui ont quitté leur domaine d’expertise, en santé et en éducation notamment, ne sont pas capables de se trouver un nouvel emploi.

CHRONIQUE / Le phénomène est grandissant et s’observe également en Mauricie et au Centre-du-Québec. Des femmes qui ont quitté leur domaine d’expertise, en santé et en éducation notamment, ne sont pas capables de se trouver un nouvel emploi.


Dans certains cas, les femmes veulent seulement prêter main-forte dans le secteur du service à la clientèle, qui est frappé durement par la pénurie de main-d’oeuvre, et elles n’y arrivent pas.

Une d’entre elles s’est confiée à moi cette semaine sous le couvert de l’anonymat. Nous l’appellerons Monique.

Monique est infirmière de formation. Elle a plus de 40 ans d’expérience dans son domaine.

Épuisée des conditions de travail dans le milieu de la santé, elle a décidé de quitter l’an dernier.

Elle croyait au départ prendre une pause momentanée. Mais elle a réalisé qu’elle n’avait plus l’énergie pour continuer. Le temps supplémentaire obligatoire qu’elle se faisait imposer chaque semaine l’a épuisée. Elle en parle encore avec émotion.

Elle me raconte les derniers mois.

«Ça m’a fait de la peine de devoir laisser mon emploi. J’ai eu l’impression de laisser tomber mes collègues et mes patients. Mais il fallait que je pense à moi. Je pleurais tous les matins en me rendant au travail. Je ne savais jamais à quelle heure ma journée allait se terminer. J’ai décidé que c’était assez. Mais quelques mois plus tard, j’ai réalisé que je pouvais encore contribuer. J’ai 61 ans, je suis encore en forme et en santé et il manque de monde partout. Je me suis dit, on a encore besoin de moi.»

—  Monique

Monique a frappé un mur. Elle a fait plusieurs demandes d’emploi dans différents commerces qui affichaient la fameuse pancarte: «Nous embauchons».

Dans certains cas, après avoir mis son CV à jour et envoyé le document, elle n’a reçu aucun retour. Même pas un accusé de réception. Dans d’autres cas, après avoir rencontré la personne responsable des embauches, directement au magasin, on lui a dit qu’on la rappellerait.

Aucune nouvelle non plus.

Monique a senti chez certains du jugement par rapport à son âge.

La question venait rapidement. Vous avez quel âge? Vous souhaitez encore travailler à votre âge? Vous savez que c’est physique ici comme travail n’est-ce pas?

Je n’en reviens pas de tels commentaires. Les femmes plus âgées se font encore juger sur le marché du travail en 2023.

Philippe Mercure dans La Presse nous présentait des chiffres concrets la semaine dernière. C’était frappant. Le taux d’emploi chez les hommes 60 à 64 ans au Québec était de 57,2%, versus 41,7% chez les femmes.

Encore pire lorsque l’on regarde la tranche d’âge des 65 à 69 ans. Le pourcentage est de 25.5 % chez les hommes et 15,7% chez les femmes.

Ces chiffres sont parlants.

Et comme l’indiquait Philippe Mercure, combien de femmes optent pour le bénévolat et sont également proches aidantes pour un membre de leur famille.

Ces statistiques ne sont pas comptabilisées. Elles ont pourtant une importance de premier plan dans notre société.

Mais comment on explique que des femmes, scolarisées, accomplies, qui ont travaillé dur dans leur vie et qui souhaitent pouvoir continuer de contribuer, ne sont pas en mesure de le faire?

Il n’y a aucune explication logique. Ça me dépasse et ça me fâche.

Une autre dame a accepté de me parler de ce qu’elle a vécu l’an dernier.

Ayant décidé de quitter le milieu de l’enseignement il y a un an, Denise souhaitait continuer d’aider sa communauté. Denise vient d’avoir 58 ans. Elle a fait plusieurs approches, notamment dans des pharmacies.

«Je voulais continuer de garder un lien étroit avec les gens. Le contact humain est important pour moi. J’ai adoré travailler avec les tout-petits pendant des années, mais la clientèle était de plus en plus difficile. Je voulais aller faire autre chose.»

Ç'a été plus compliqué que prévu. Ça a pris un an avant que Denise se retrouve un travail.

Elle a même reçu en pleine face le commentaire suivant. «On engage du monde plus jeune. Désolé.»

Denise a ravalé ses paroles. Elle a préféré quitter le commerce en question.

«J’étais humiliée. Jamais je ne pensais vivre ça. On nous dit partout que les entreprises ont des problèmes de main-d’oeuvre, mais plusieurs employeurs ne veulent pas de nous. Certains nous trouvent trop vieilles. J’ai 58 ans, je suis en pleine forme, j’ai de l’énergie, j’ai un bagage professionnel que je souhaite partager et on me dit: Retourne chez vous et va faire du bénévolat. J’en fais déjà du bénévolat me dit-elle en montant le ton.»

—  Denise

On assiste clairement à deux phénomènes flagrants. De l’âgisme et du sexisme.

En plus de ça, chez certains employeurs, on n’offre que des postes à temps plein. Pas de temps partiel.

On vit dans une drôle de société.

Les entreprises nous envoient le message régulier qu’ils ont de sérieux problèmes de main-d’oeuvre. Mais dans plusieurs cas, certains snobent les travailleuses d’expériences qui s’offrent pour leur donner un coup de main.

Et parfois, ces mêmes employeurs se plaignent de la nouvelle génération. «Ils ne veulent pas travailler, ils s’absentent constamment, veulent avoir leurs fins de semaine, quittent pour un emploi mieux rémunéré...» Toutes des phrases que l’on entend beaucoup ces temps-ci.

Messieurs et mesdames qui embauchent du personnel. Il y a une main-d’oeuvre qui vient vers vous. Des femmes qui se manifestent, qui veulent aider, contribuer, servir.

Ne leur tournez pas le dos. Ne nous faites pas retourner 40 ans en arrière svp.

On a besoin de tout le monde présentement. Et on a surtout besoin de travailleurs vaillants, dévoués et le coeur à la bonne place.

Elles sont là et le disent haut et fort.