Les Escales fantastiques ou l’embarras du choix

Si on adhère sans restriction aux pouvoirs de la science, il faut bien convenir que la météo demeure une friponne encore bien mystérieuse. Alors que les spécialistes tempéraient les ardeurs des amateurs de théâtre de rue avec des prévisions cruellement pessimistes pour la soirée, c’est sous un ciel exempt de quelque trace de nuage que ce soit que les artistes ont gentiment bousculé l’habituelle quiétude des habitants du centre-ville de Shawinigan vendredi soir.


Pour répondre à l’appétit féroce des visiteurs, un programme plus dense qu’un trou noir supermassif: 35 représentations de 21 spectacles sur six plages horaires entre 18h45 et 22h30. Du lourd. Un plan d’attaque bien structuré demeure l’approche la plus sensée pour affronter pareille abondance.

Le programmateur des Escales fantastiques Philippe Gauthier tenait à faire de la variété l’identité de l’évènement. Le spectre qu’il couvre est d’une largeur remarquable et parfois audacieuse. Ça va du plus primaire au plus abstrait. À chacun son menu selon son appétit.

Vitamine

Ma soirée ne pouvait mieux débuter qu’avec le spectacle Vacances de Flip Fabrique. Une performance hyper vitaminée de la bande de Québec qui a transformé un vieil autobus en cirque ambulant.

Le groupe d’acrobates mêle des numéros de cirque athlétique et de joli niveau avec des enfantillages comme de s’arroser les uns les autres avec des fusils à eau et d’en profiter pour bénir à outrance les spectateurs. C’est très gamin comme spectacle, mais irrésistiblement réjouissant. Ça s’adresse à tout le monde et même aux autres.

Le spectacle très gamin de Flip Fabrique a aussi donné le à des acrobaties spectaculaires.

Choix instinctif pour ma deuxième plage horaire: Joue à Tom Waits dans un coin un peu à l’écart. Un spectacle musical, hommage déjanté au musicien américain. D’emblée, la proposition est un peu déconcertante, mais c’est un goût qui s’acquiert. Après deux chansons, quand on a bien saisi l’esprit, c’est complètement addictif.

Ce spectacle parfaitement déjanté est comme un mariage de Wes Anderson avec La petite vie en comédie musicale. Des interprètes inspirés jouent littéralement du manche à balai, de la tasse de thé, de l’égoïne, des ciseaux à haie, des nouilles de spaghetti, des bouchons de bouteilles de bourbon dont les interprètes modifient la tonalité en buvant de bonnes lampées du liquide.

Les nouilles à spaghetti et le ciseau à haie font partie des instruments des interprètes de Joue à Tom Waits.

C’est un sextuor d’un autre monde que Tom Waits ne pourrait renier. Certainement une des propositions les plus amusantes de cette édition.

Butinage

Pour le reste de ma soirée, cédant à mon anxiété de rater d’autres grands moments de plaisir, j’ai pas mal butiné d’une scène à l’autre pour le meilleur et pour l’indifférence. Qu’on se le dise: dès qu’on sort d’un plan de match rigoureux, on ne sait plus à quelle scène se vouer.

J’ai été étonné par l’admirable orignal cybernétique et pourtant poétique (oui, le mélange des deux est possible) créé par Carl Veilleux pour Le roi boréal mais je ne l’ai pas accompagné tout au long de son parcours.

Étonné encore devant Âmes sœur, une sorte de conte pour enfants sages à des années lumières de Flip Fabrique et plus loin encore de Joue à Tom Waits. C’est joli, tout en délicatesse et en nuances dans un décor superbe. Je suggère cette espèce de fable sans parole aux tout petits.

Âmes soeurs.

Un peu plus loin, autre monde avec Ground, de la danse contemporaine hypnotique offerte par trois interprètes sur des trampolines. Avertissement: on n’est pas dans du divertissement au premier degré. Le genre de truc qui demande qu’on s’abandonne à la proposition. Je n’ai pas eu cette patience.

Toujours dans la ruelle Tamarac, La bulle a attiré une grosse foule de voyeurs qui ont pu regarder évoluer un Pierrot dans l’intimité de sa grosse sphère translucide. Sur des airs de chants classiques, on le regarde dessiner sur le mur de son domicile des portraits de spectateurs volontaires ou transformer son intérieur en piscine. La vie de tous les jours, quoi.

La proposition des Perchés, un couple de clowns dont la femme fait aussi dans l’acrobatie est nettement plus classique, mais absolument sympathique. Soyons honnêtes: tous les clowns ne sont pas drôles. Eux le sont.

Pour un autre spectacle sûr de faire sourire la famille entière, Risky Business doit être sur votre liste. Fraser Hooper, le meneur de jeu qui recrute ses partenaires dans le public est un pro consommé et son spectacle, pour conventionnel qu’il est, est très efficace. S’il ne vous fait pas sourire, la psychothérapie me semble être votre seule option valable pour retrouver goût à l’existence.

Fraser Hooper

Roues de parade

Moment fort non seulement de la journée, mais de tout l’évènement des Escales fantastiques, la grande parade de fin de soirée avait le caractère spectaculaire attendu. Moins tonitruante que celle de l’année dernière, si ce n’est pour l’explosion qui a projeté au-dessus de la 5e rue de la pointe une quantité indécente de confettis, ce défilé de grandes roues découpées dans un arc-en-ciel en avait le côté spectaculaire.

Faire descendre le coteau à la hauteur de la roulotte à patates à Beauparlant par une de ses roues géantes menées par un seul pilote ne manquait pas d’ambition.

Aux battements abrutissants de la bande sonore, et sous les éclairages parfois aveuglants, de curieux spécimens de la race humaine s’abandonnaient aux rythmes en fendant la foule pour avancer et assurer la progression de grandes roues doubles pilotées par des congénères.

La mise en marche de la procession a été quelque peu laborieuse donnant à la fébrilité des Shawiniganais qui attendaient dans la rue tout le temps de mijoter. Ceux qui comptent assister au défilé, prévoyez de rentrer tard à la maison.

Annoncé pour 22h30 vendredi, il ne s’est guère manifesté avant 23h et à 23h30, on n’en était toujours qu’à la Place du Marché dans la progression en route vers l’hôtel de ville. On y promettait une finale plus gigantesque encore dont il m’est impossible de témoigner devant répondre à l’impérieux appel du clavier et de vous qui vous cachez derrière.