
Martin Luther King vendait-il des camions?
Notons que le slogan des camions Ram est built to serve, «fait pour servir». Sur son canal YouTube, le constructeur américain a expliqué que «dans le même esprit que Dr Martin Luther King, les propriétaires de camion Ram croient en une vie passée au service des autres».
Les faits
Cette publicité n’a pas particulièrement bien passé, c’est le moins qu’on puisse dire, sur les réseaux sociaux. D’aucuns lui ont reproché de récupérer un personnage historique et une cause nobles à des fins mercantiles, d’autres ont affirmé que la citation choisie tordait le sens d’un discours de «MLK», comme on l’appelle parfois. Alors qu’a-t-il dit, au juste?
La version intégrale du discours est disponible dans l’Encyclopédie Martin Luther King, sur le site de l’Université Stanford (goo.gl/cY4qJ3). Il s’agit d’un sermon intitulé The Drum Major Instinct, «l’instinct du tambour-major», en référence aux percussions parfois bruyantes que l’on entend dans les fanfares. L’original de ce sermon venait d’un prêcheur méthodiste, J. Wallace Hamilton, et Martin Luther King en a prononcé une adaptation en février 1968, deux mois avant d’être assassiné.
Vers la fin du discours (aux quatre cinquièmes environ), le révérend lance bel et bien les paroles que la publicité reprend. Des petits bouts de phrase ont été coupés ici et là, vraisemblablement pour des questions de temps, mais rien de grave en ce qui concerne cette partie du discours. Et la citation a reçu l’aval de King Estate, qui possède les droits d’auteur du défunt révérend.
Cependant, quiconque lit le sermon en entier s’aperçoit rapidement que la citation manque gravement de contexte. Cet «instinct du tambour-major» dont il est question est une recherche d’attention qui «nous fait souvent vivre au-dessus de nos moyens», a dit Luther King, dénonçant le consumérisme.
«Des gens passent leur vie juste à essayer de surpasser Pierre-Jean-Jacques [the Joneses, dans l’original]. Ils achètent un manteau en particulier parce qu’il est un peu meilleur et qu’il paraît un peu mieux que le manteau de Marie. Et je conduis cette voiture parce qu’elle a un petit quelque chose qui la rend un peu meilleure que celle de mon voisin», déplorait le révérend.
Ailleurs dans le sermon — et ça, ça ne s’invente pas —, le révérend explique que «l’existence de cet instinct explique pourquoi nous tombons dans le panneau des publicités. […] Afin d’être un homme distingué, vous devez boire ce whisky. Afin de rendre vos voisins envieux, vous devez conduire ce type de voiture. Afin d’être adorable, vous devez porter ce parfum ou ce rouge à lèvres. Et avant que vous vous en rendiez compte, vous êtes en train d’acheter ces bricoles. C’est comme ça que les publicitaires font.»

Le verdict
Spectaculairement hors contexte. La citation elle-même est à peu près exacte, n’ayant presque pas été modifiée. Mais c’est en tordre grossièrement le sens que de l’utiliser dans une pub de camion alors que dans l’ensemble, le sermon dénonce cet «instinct» qui nous fait acheter des grosses voitures pour impressionner les autres.