Un doctorat qui finit mal à l’UQTR: le procès s’amorce pour l’ancienne étudiante

Coralie Sarrazin poursuit son ancienne université, l'UQTR.

Le procès qui oppose Coralie Sarrazin contre son ancienne université, l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’est amorcé lundi matin, au palais de justice de Trois-Rivières et se poursuivra mardi, mercredi et jeudi. Elle réclame près de 150 000$ à l’UQTR parce que ses directeurs de thèse de doctorat en psychoéducation ont mis fin à la direction de sa thèse alors qu’elle en était presque à la fin du processus.


Une accusation de plagiat serait à l’origine de cette situation, accusation qu’a totalement niée Mme Sarrazin lundi. Cette dernière a choisi de se représenter elle-même, avec l’aide d’un ami. Une demi-douzaine d’étudiants étaient présents dans la salle pour la soutenir.

Française d’origine, Coralie Sarrazin est psychologue de formation. En 2012, elle commence à s’intéresser de près au principe d’autodétermination pour les personnes ayant une déficience intellectuelle. Elle raconte avoir alors découvert les publications scientifiques de Michael Wehmeyer de l’Université du Kansas et du professeur Yves Lachapelle de l’UQTR. Elle voit un potentiel énorme dans cette théorie qui n’est alors pas connue en France. L’étudiante écrit alors à Yves Lachapelle et au professeur Martin Caouette, lui aussi un chercheur réputé dans le domaine de l’autodétermination.



On est en 2014. C’est en France qu’elle rencontrera le professeur Caouette qui, voyant son enthousiasme pour le projet, lui aurait suggéré de venir faire son doctorat sur le sujet à l’UQTR. Elle sera admise à des études doctorales en 2015.

Mme Sarrazin raconte que le contact est bon avec le professeur Caouette. Ils constatent tous deux qu’il existe de grands besoins de formation en France sur l’autodétermination. Mme Sarrazin travaille donc à la préparation de formations. Selon elle, ils ont travaillé beaucoup de contenu ensemble.

Une demi-douzaine d'étudiants sont venus assister au procès, lundi, en soutien à Coralie Sarrazin.

En 2015, dit-elle, ils se rendent à Paris pour donner des formations de deux ou trois heures à divers organismes regroupés au sein de l’UNAPI, un mouvement associatif dont le but est de créer une société plus solidaire et inclusive.

Coralie Sarrazin voit plus que jamais l’importance de partager le savoir sur l’autodétermination. Elle raconte que trois des organismes membres de l’UNAPI acceptent d’ailleurs de financer ses recherches dans le cadre de son doctorat en psychoéducation sur l’autodétermination. Le montant consenti est de 200 000$ sur quatre ans, ce qui donne lieu à une convention de partenariat, dit-elle.



Yves Lachapelle accepte alors de devenir son directeur de thèse de doctorat de même que Martin Caouette, a poursuivi la jeune femme au cours de son témoignage. C’est d’ailleurs avec ce dernier que la plupart de ses échanges auront lieu.

Pour Coralie Sarrazin s’amorce alors une longue période de travail intense. En 2016, elle fera une collecte de données et organisera des groupes de discussion. Le sujet de l’autodétermination commence à se faire connaître en France et Mme Sarrazin explique qu’elle commence à être sollicitée de toutes parts pour en parler.

Elle accepte autant d’invitations qu’elle peut, question de se faire connaître et de s’assurer des débouchés de travail après ses études.

C’est durant cette période que le professeur Lachapelle décide d’arrêter de diriger sa thèse et c’est la professeure Sylvie Hamel qui prendra la relève, en soutien au professeur Caouette, précise Mme Sarrazin dans son témoignage.

En 2017, alors qu’elle est toujours doctorante, Mme Sarrazin multiplie les formations. Elle se rend quatre fois en France cette année-là, tout en poursuivant ses cours et en rédigeant des articles scientifiques. En novembre, rien ne va plus sur le plan de sa santé, elle est en arrêt maladie, explique-t-elle en précisant qu’elle souffre de deux pathologies chroniques. Malheureusement, son état de santé ne lui permet plus de donner des formations. Elle contacte son directeur de thèse pour l’en aviser.

Elle lui explique qu’elle en a trop à faire et demande de ralentir le rythme des formations qu’elle donnait. Selon elle, dans le projet qu’ils avaient réalisé sur l’autodétermination, il n’avait jamais été question qu’elle fasse seule toutes les formations.



Ça tourne mal

C’est là que les choses commencent peu à peu à mal tourner. Son statut d’immigration ne lui permettait pas alors de travailler plus de six mois par année au Canada. De plus, elle devait préparer sa thèse de doctorat en vue de sa soutenance prévue pour 2020. Fatiguée, elle demande aussi de repousser la date de sa soutenance de thèse. Elle affirme que cela lui a été refusé.

Elle reçoit ensuite de son directeur un rapport trimestriel plutôt insatisfaisant, dit-elle, un rapport qu’elle qualifie d’injuste puisque, selon elle, elle travaillait fort, même le soir et les week-ends.

C’est là que Martin Caouette et Sylvie Hamel ont commencé à s’éloigner d’elle, a-t-elle raconté, eux qui allaient prendre une bière ensemble de temps en temps, dit-elle. Le changement de ton a été complet. On la somme de ne plus s’occuper des formations, ajoute-t-elle.

Le 22 février 2019, Mme Sarrazin reçoit un courriel de son directeur de thèse. Martin Caouette lui aurait reproché d’avoir signé une présentation PowerPoint alors que c’est lui qui en était auteur. Pourtant, affirme-t-elle, elle n’avait encore jamais eu de reproches sur son travail et le diaporama présentait pourtant de grands modèles de l’autodétermination qu’avaient conçus plein de gens, plaide-t-elle.

Le dialogue est alors rompu, affirme Mme Sarrazin qui a alors demandé alors une médiation. Le 9 avril 2019, poursuit-elle, une lettre lui parvient indiquant que ses deux directeurs de thèses, Martin Caouette et Sylvie Hamel, demandent à être relevés de la direction de sa thèse.

Incompréhension

Mme Sarrazin a affirmé à la cour qu’elle ne comprend pas pourquoi ils ont agi comme ça.

Elle ne dispose alors que de trois mois pour trouver un nouveau directeur de thèse. Pour elle, ce sont des années de dur labeur qui risquent de voler en éclats.

En mai 2019, les professeurs Carl Lacharité de l’UQTR et Denise Côté de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue acceptent de prendre la relève, à son grand soulagement. Elle finit sa thèse de doctorat en 2020 avec mention «très bien», témoigne-t-elle.



Coralie Sarrazin affirme qu’elle ne comprend toujours pas ce qui a pu se passer avec ses deux directeurs précédents. Après avoir épuisé tous les recours pour comprendre leurs motifs, dit-elle, elle a dû se tourner vers l’ombudsman.

Elle a parlé, dans son témoignage, d’une lettre dans laquelle sont évoqués des mots comme déontologie, insubordination, droits d’auteurs, comportements inadéquats et mesures disciplinaires. Mme Sarrazin affirme ne rien y comprendre.

Depuis, elle n’arrive à ouvrir aucune porte en France pour réaliser son rêve, sa «mission de vie» dira-t-elle, de travailler en autodétermination.

Mme Sarrazin a le sentiment d’avoir perdu 10 ans de sa vie dans ce projet sur lequel elle met désormais une croix. Elles dit avoir beaucoup souffert psychologiquement de la situation au point d’avoir consulté un psychologue et affirme avoir encore des séquelles de tout cela aujourd’hui.

En ce moment, elle travaille dans un organisme qui s’occupe des jeunes en situation d’itinérance.