Poste de police à 84 millions$: «Ça va être quoi la limite?»

Le tout nouveau quartier général sera construit derrière le poste de police actuel, selon le projet de 84 millions$. La bâtisse ne sera pas démolie. La cour municipal va être aménagée au rez-de-chaussée.

La Ville de Trois-Rivières peut-elle se permettre un poste de police de 84 millions$? Y a-t-il moyen de diminuer les coûts? Et les conseillers ont-ils le luxe de prendre le temps d’y réfléchir alors que le compteur tourne à une vitesse infernale?


«Si on ne peut pas se payer une piscine creusée, on se paye une piscine hors terre», a imagé François Bélisle. Comme le conseiller de Pointe-du-Lac, d’autres élus s’inquiètent de l’ampleur des coûts, qui représentent le quart du budget annuel de la Ville, a fait remarquer un citoyen durant la séance publique. «Je trouve que le montant est astronomique», déplore Luc Tremblay. «Ça va être quoi la limite? Ma crainte c’est que ça monte à 95, à 100 millions$. Une fois qu’on va avoir le bras dans l’engrenage, il va être trop tard», a-t-il ajouté.

«On est prêt à l’étirer jusqu’où l’élastique? Ç'a de l’air que ce n’est pas un élastique qu’on a, c’est un bungee», a renchéri Pierre-Luc Fortin.

Mais pour les conseillers Jonathan Bradley et Alain Lafontaine, pendant que les élus tergiversent, les coûts continuent à monter inexorablement. «Plus on attend, ce ne sera plus 85, ça va être 95 millions$», a mentionné M. Lafontaine.

Il faut dire que les premières études sur ce projet datent de 2016. Évalué à 25 millions $ en 2020, il est passé à 55 millions$ en 2022, et maintenant à 84 millions$.

Si les conseillers n’avaient pas à voter sur le projet lors de la séance publique de mardi, ils devront se prononcer sur un règlement d’emprunt lors de la prochaine séance municipale. Un règlement qui ne passera probablement pas comme une lettre à la poste. «Par courtoisie, je vous annonce que je vais demander le vote dans deux semaines», a déclaré d’entrée de jeu le conseiller François Bélisle.

Un constat unanime

Le poste de police est désuet. Il ne répond plus aux normes en matière de santé et sécurité ni aux besoins opérationnels. Les conseillers ne remettent pas en question ce constat. Ils se demandent toutefois si tous les scénarios ont été évalués pour réduire les coûts. Certains suggèrent de diviser le service de police entre différents bâtiments. Une option qui n’est pas envisageable, selon le directeur Maxime Gagnon.

«Les méthodes de travail policières sont toutes basées sur l’échange d’informations et le renseignement criminel. Pour qu’on soit capable d’échanger l’information correctement, il faut travailler ensemble. […] Par exemple, si je délocalise mon équipe d’enquêteurs, j’ai des pertes de temps incroyables et on perd le sentiment de travailler en équipe», a-t-il expliqué. «L’échange d’informations ne se fait pas par courriel ou par Teams dans un service de police. Il se fait lors de rencontres», a-t-il ajouté.

Selon lui, tous les services de police de la province vont vers un regroupement de leurs bâtiments. «Si on fait quelque chose de différent des autres, dans cinq ans, on va se dire : ‘’Qu’est-ce qu’on a fait là’’? Je pense qu’on peut se fier à l’orientation qui se prend actuellement au niveau des services de police.» Différentes études en sont venues à la conclusion que le site actuel est idéal en raison de sa position centrale dans la ville.

Construit en 1987, le quartier général a été prévu pour accueillir 105 personnes. Avec les fusions municipales, les services ont été regroupés dans ce bâtiment, situé sur le boulevard des Forges. Le service de police compte maintenant 255 employés. Et les besoins devraient encore augmenter. Le projet a donc été pensé selon une vision de 25 ans. «On ne veut pas construire un quartier général qui va être complet à 100% au jour 1, surtout qu’on sait que la Ville de Trois-Rivières est en croissance actuellement», note M. Gagnon. Le nombre de travailleurs sociaux pourrait être augmenté par exemple.

Parmi les éléments qui doivent être corrigés, le bloc cellulaire n’est pas conforme, les victimes et suspects risquent de se croiser dans les corridors, les salles d’entrevue et d’interrogatoire ne sont pas assez nombreuses et les vestiaires sont trop exigus.

La situation est aussi problématique du côté de la cour municipale, qui se trouve dans le secteur Cap-de-la-Madeleine. Le Barreau du Québec, le ministère de la Justice et le Conseil de la magistrature ont émis des recommandations dernièrement sur la configuration des cours municipales. Celle de Trois-Rivières ne passe pas le test.

La salle de cour ne respecte pas l’indépendance judiciaire ni un minimum de décorum. «La salle de Trois-Rivières à ma connaissance, dans les dix grandes villes au Québec, c’est la seule où autant le juge que Caillou peut y faire une prestation. C’est une salle multifonctionnelle avec des projecteurs. Ça ressemble beaucoup plus à une salle communautaire qu’à une cour de justice», a raconté Me Alex Hamelin, directeur des services juridiques à la Ville.

Aussi, les juges ne bénéficient pas de locaux exclusifs. «[…] le corridor qui mène de la salle de cour à la cafétéria du personnel de la cour, c’est ça le bureau de la magistrature actuellement.»

Il n’y a pas de local non plus pour que les avocats de la défense puissent rencontrer leurs clients. «Actuellement, la rencontre se fait dans le corridor ou à l’extérieur», déplore Me Hamelin.

La sécurité entre aussi en ligne de compte. «Juste dans les trois dernières années, il y a eu des menaces de mort contre le personnel, il y a eu deux vols de coffre-fort pendant la nuit, et pas plus tard que la semaine dernière, la porte d’entrée principale a été défoncée à coups de briques. Vous voyez que d’être près du corps policier, il y a une question de sécurité évidente.»

La cour municipale avec le quartier général

Le projet prend en considération ces divers éléments. Ainsi, un tout nouveau quartier général sera construit derrière le poste de police actuel. Ce dernier va être rénové pour accueillir la cour municipale au rez-de-chaussée. Le sous-sol va encore servir à la police pour des bureaux administratifs ou des locaux de formation par exemple. Les deux bâtisses ne seront pas reliées.

Pour ce qui est du financement, plutôt que de couper d’autres projets, le Programme triennal d’immobilisations (PTI) va être augmenté de 10 millions$ pour les années 2025 et 2026 et de 9 millions$ en 2027. Cela va avoir un impact de 800 000 $ par année sur le service de la dette à partir de 2027 pour ce qui est du dernier dépassement de coûts.

Quand on prend en compte l’ensemble du projet, l’impact total se chiffre à 2,2 millions$. Si le conseil municipal donne son aval au règlement d’emprunt, un appel d’offres pour obtenir les plans et devis sera lancé en vue d’octroyer le contrat de construction en 2025.