Ce dossier a atterri sur la table du Comité consultatif d’urbanisme (CCU) de la Ville de Trois-Rivières, le 19 septembre dernier. Le CCU s’est penché sur une demande de modification du schéma d’aménagement et développement pour autoriser la revalorisation du verre au nord du boulevard Industriel. Le CCU a émis une recommandation favorable, un vote qui n’a pas été unanime.
«Le lot visé en ce moment est rural. Leur but, c’est de venir normaliser les activités industrielles qui se font là. On dirait que la Ville veut normaliser la chose, se protéger avec ce changement au schéma d’aménagement», déplore Yannick Daviault, membre du Comité des Vieilles-Forges, formé de citoyens voisins de ces installations du Groupe Bellemare.
Cette modification devra obtenir l’aval du conseil municipal avant de se concrétiser, selon la Ville.
Rappelons qu’une enquête de Radio-Canada a révélé, le 21 septembre dernier, que Groupe Bellemare compte une cinquantaine d’infractions environnementales dont la moitié depuis qu’il s’est tourné vers la valorisation du verre en 2017. Les voisins dénoncent plusieurs nuisances comme le bruit, les odeurs, les poussières et ils craignent les effets sur leur santé et l’environnement.
L’entreprise affirme de son côté avoir mis en place plusieurs mesures pour améliorer la situation et qu’elle ne contrevient à aucune norme. Elle a formé un comité de vigilance notamment. Un site d’enfouissement se trouve aussi à cet endroit. Le Groupe Bellemare s’est engagé à le fermer en janvier 2024.
Les voisins du site multiplient les démarches pour faire entendre leurs doléances. Ils ont écrit cette semaine des lettres à Jean Lamarche, maire de Trois-Rivières, Benoit Charette, ministre de l’Environnement, et Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales, pour dénoncer divers aspects de la situation et demander leur intervention.
La possible création d’une aire d’affectation pour autoriser la revalorisation du verre au nord du boulevard industriel fait partie des éléments que déplorent les membres du comité. Vivant à proximité des installations de Groupe Bellemare, ils disent avoir été «outrés» d’apprendre qu’une telle demande était à l’ordre du jour du CCU alors qu’ils tentent d’obtenir des «réponses claires» de la Ville sur la conformité des activités du Groupe Bellemare avec les règlements municipaux depuis le mois de février.
«Il nous apparaît évident que la Ville a sciemment évité de nous répondre depuis des mois (et n’a toujours pas répondu clairement à ce jour), tout en évitant de nous informer que pendant ce temps, elle travaillait à légitimer les usages qui ne sont pas conformes présentement», écrivent les membres du Comité des Vieilles-Forges, dans leur lettre adressée à Jean Lamarche et dont une copie a notamment été acheminée aux conseillers municipaux.
«[…] pour ajouter l’insulte à l’injure, les citoyens ont appris que la Ville de Trois-Rivières qui est à la fois MRC et Ville, se prépare en coulisse à créer une aire d’affectation du territoire RV (Revalorisation) à même l’affectation Rurale pour autoriser la revalorisation du verre au nord du boulevard Industriel. Il s’agit de ‘’spot zoning’' qui favorise une seule entreprise, le Groupe Bellemare», a écrit pour sa part, Michel Lafleur, également membre du groupe de citoyens, à la ministre Laforest.
«Nous vous demandons d’intervenir avec vigueur pour arrêter cet abus de pouvoir et cette mascarade de démocratie à la Ville de Trois-Rivières», poursuit-il.
Ces citoyens demandent d’ailleurs la relocalisation des activités de Groupe Bellemare. «La seule solution gagnante à tous points de vue est de relocaliser les activités et équipements liés au verre, aux résidus miniers et aux autres agrégats dans un vrai secteur industriel, loin des résidences et d’un milieu humide identifié par la Ville comme étant d’intérêt pour la conservation, où le promoteur pourrait prendre de l’expansion sans nuire au milieu naturel et humain», peut-on lire dans la lettre à Jean Lamarche.
«Pourquoi créer une nouvelle aire d’affectation Revalorisation alors que des espaces sont disponibles tout près dans des aires d’affectations Industrielles?», demande M. Lafleur, dans sa lettre à la ministre.
Ces citoyens n’ont pas l’intention de baisser les bras. «Sachez que nous croyons fermement à notre démarche, que nous avons de nombreux appuis et que nous n’abandonnerons pas tant qu’un résultat satisfaisant ne sera pas atteint», écrivent-ils au maire Lamarche.
Comment ont-ils l’intention de s’y opposer? «On va faire ça dans le respect. Notre démarche a tout le temps été respectueuse. On va se présenter au conseil de ville pour se faire entendre, poser des questions et connaître le positionnement de la Ville», mentionne M. Daviault, en entrevue.
Du côté du Groupe Bellemare, Robert Pilotte, responsable des affaires publiques et communication, indique qu’il «n’est nullement envisageable», pour l’entreprise de relocaliser ses opérations. Pour ce qui est de la modification au schéma d’aménagement, Groupe Bellemare confirme qu’il est à l’origine de cette demande. «Effectivement, nous voulons adapter les usages en conformité avec les règlements municipaux», précise par écrit M. Pilotte.
Les usages de revalorisation ne sont plus autorisés par le règlement d’urbanisme depuis son entrée en vigueur le 5 janvier 2022, explique par écrit Mikaël Morrissette, porte-parole de la Ville de Trois-Rivières. Toutefois, ils étaient autorisés par le règlement de zonage précédent et «des activités de revalorisation de matières résiduelles s’exercent à cet endroit depuis de nombreuses années», selon la Ville. Il semble donc que Groupe Bellemare bénéficie d’un droit acquis. Toutefois, «le tribunal est le seul à pouvoir trancher l’existence d’un droit acquis, sa limitation ou sa perte», précise M. Morrissette.
Groupe Bellemare traite environ de 40 000 à 50 000 tonnes de verre actuellement. Il souhaite en recycler le double grâce notamment à l’élargissement de la consigne. Si la modification au schéma d’aménagement n’est pas approuvée, est-ce que cela risque de mettre à mal ses projets d’expansion? M. Pilotte note qu’il est difficile de répondre à cette question «hypothétique».
Dans leur lettre au ministre Benoit Charette, les membres du comité de citoyens demandent qu’une étude scientifique soit menée par le Bureau d’audience publique sur l’environnement (BAPE). Ils réclament aussi un moratoire sur tous les certificats d’autorisation émis ou à l’étude pour ce site le temps que le BAPE émette ses conclusions.
Ils déplorent qu’aucune consultation publique n’ait été tenue avant que le Groupe Bellemare se lance dans le recyclage de verre à ses installations du boulevard Industriel. «De toute évidence, les orientations prises par les gouvernements municipal et provincial présentent une dissonance cognitive en privilégiant le corporatif au détriment des citoyens et de leur milieu de vie. Jamais le principe de précaution n’a été appliqué pour la protection de notre environnement, et jamais l’acceptabilité sociale n’a été sollicitée», est-il écrit dans la lettre adressée au ministre de l’Environnement.