Un coup d’État qui résonne toujours à Trois-Rivières, après 50 ans

Le 11 septembre 1973, une junte militaire prend le pouvoir au Chili. L'événement a des échos qui résonnent toujours à Trois-Rivières, 50 ans plus tard.

Bien avant que le général Pinochet et ses troupes ne prennent d’assaut la démocratie chilienne, le 11 septembre 1973, les yeux d’une jeunesse québécoise en ébullition étaient déjà tournés vers le pays d’Amérique du Sud. «L’expérience chilienne», où les urnes avaient pour une première fois porté au pouvoir un gouvernement socialiste d’inspiration marxiste, faisait rêver. La Mauricie ne fait pas exception. Aussi quand le régime tombe, au profit d’une junte militaire, la mobilisation y est spontanée. Et cinq décennies plus tard, le Comité de solidarité de Trois-Rivières (CS3R), né dans la foulée du coup d’État, continue d’essaimer.


Militant infatigable et membre de la première heure du CS3R, Jean-Claude Landry évoque les événements de septembre 1973 avec une ferveur demeurée sourde au passage du temps. Paradoxalement, le coup d’État chilien aura peut-être contribué à raffermir la soif de justice et les valeurs de solidarité qui en animaient déjà plusieurs. À Trois-Rivières, à la manière d’une vague qui ne cesse de déferler, celles-ci s’incarnent encore au quotidien dans les actions du CS3R.

Début vingtaine, Jean-Claude Landry travaille en éducation populaire. À l’image d’un Québec qui s’ouvre au monde, les questions internationales sont au cœur de son implication. La jeunesse découvre dans les efforts des nations les plus pauvres le miroir de son propre désir d’émancipation et de solidarité. «Tout le principe des cuisines collectives, ça vient du Pérou, c’t’affaire-là!» note M. Landry. Quand le régime de Salvador Allende tombe, au Chili, ce sont les idéaux de cette même jeunesse qui sont attaqués.



Membre fondateur et toujours impliqué au Comité de solidarité de Trois-Rivières, Jean-Claude Landry demeure un militant infatigable.

Partout au Québec, tandis que le palais présidentiel chilien – La Moneda – est pris d’assaut par les chars, des comités de solidarité Québec-Chili naissent spontanément. À Trois-Rivières, une réunion attire dans les jours qui suivent une centaine de personnes, relate M. Landry. «On était au conseil central de la CSN, la salle était pleine!»

On prend des noms. Des équipes de travail se forment. On se donne pour mission de faire des pressions politiques, d’organiser des ateliers d’éducation populaire et de préparer l’accueil de réfugiés chiliens. «Des spectacles, des lettres ouvertes, des bulletins d’information, on a fait toutes sortes d’affaires», s’anime encore Jean-Claude Landry en évoquant le dynamisme qui régnait dans les rangs.

Le gouvernement de Salvador Allende, président du Chili jusqu'au 11 septembre 1973, inspirait les mouvements de gauche d'un peu partout. Trois-Rivières n'y faisait pas exception.

Si les mobilisés sont déboutés dans leur espoir de voir le gouvernement refuser de reconnaître la légitimité du nouveau président Pinochet [le coup d’État portait le sceau de l’ingérence américaine], la pression populaire pave la voie à l’accueil des réfugiés. Trois d’entre eux atterrissent à Trois-Rivières.

Fédérés, les militants vont élargir le champ de leurs actions. La scène géopolitique est en effervescence, la décolonisation bat son plein. Le CS3R se déploie et s’affranchit des frontières. «La dictature au Chili, c’était pas la seule», souligne M. Landry.



Si la solidarité se conjugue dans la distance, elle se manifeste aussi dans la proximité. De l’Afrique du Sud aux premiers quartiers de Trois-Rivières. On investit les écoles pour sensibiliser les jeunes aux crises qui secouent la planète comme on organise des repas communautaires pour les grévistes de l’usine du coin.

«On se disait “les luttes d’ici et les luttes d’ailleurs, c’est les mêmes luttes”.»

—  Jean-Claude Landry, Comité de solidarité de Trois-Rivières

Tandis que les comités Québec-Chili s’éteignent les uns après les autres, ailleurs au Québec, le CS3R perdure. Jean-Claude Landry pointe une série de facteurs qui ont peut-être contribué à maintenir la flamme chez les militants.

Il évoque au premier chef la mémoire de Brian Barton – «une personnalité d’exception». L’économiste et professeur d’université avait travaillé à l’ONU avant de se poser à l’UQTR. Il aura pesé de tout son humanisme sur les actions du CS3R, dont il a assuré la présidence durant des dizaines d’années, se rappelle M. Landry. À la bienveillance de M. Barton, «l’abnégation et le militantisme de tous celles et ceux qui ont fait partie de l’équipe» ont aussi été un gage de succès, insiste-t-il.

Le CS3R s’est aussi fait un devoir de toujours gérer ses fonds avec rigueur, ne présumant jamais de la pérennité des fonds publics dont il a bénéficié par le biais de différents programmes. La discipline a porté fruit. L’organisme est aujourd’hui propriétaire de l’immeuble qu’il occupe, rue Saint-Geneviève, et emploie neuf personnes.

Après avoir assumé la présidence du CS3R, dans la foulée du décès de Brian Barton, Jean-Claude Landry a à son tour passé le flambeau. Aujourd’hui, c’est Sarah Bourdages, une ancienne employée du comité, qui préside au conseil d’administration.

Le CS3R entretient quatre partenariats internationaux, dans trois différents pays : Haïti, le Burkina Faso et Cuba. «On est un des rares organismes de coopération internationale québécois à avoir encore des projets vivants à Cuba», détaille Mme Bourdages avec fierté. Ce dernier projet en est un d’électrification par l’énergie solaire, explique-t-elle.



Sarah Bourdages, présidente du Comité de Solidarité Trois-Rivières, Jocelyne Chagnon, militante du CS3R et épouse de feu Brian Barton et Cécilia Protz Salazar, récipiendaire du Prix Solidarité Brian-Barton 2023.

Différentes initiatives sont aussi en branle dans les écoles, toujours dans un souci d’éveiller l’esprit critique et la conscience citoyenne chez les plus jeunes. Les causes sociales d’hier trouvent leur prolongement dans la crise climatique qui s’accentue sur le globe, pointe à cet égard Mme Bourdages. «Le monde a changé depuis 1973, mais les injustices structurelles, elles, sont restées les mêmes», fait-elle valoir.

L’année à venir sera ponctuée de différents événements visant à souligner les 50 ans du CS3R. Si le coup d’État chilien demeure un souvenir difficile pour ses militants, l’indignation qu’il a soulevée résonne encore d’un écho qui refuse de s’éteindre. Un écho tourné vers le monde, vaguement optimiste, résolument solidaire.