«C’est une opération de communication. C’est orienté pour le Carrefour 40-55», lâche Pierre-Luc Fortin, conseiller du district des Estacades. «Tout ce battage médiatique, c’est pour nous convaincre d’aller de l’avant avec le 40-55, j’en suis persuadé», renchérit Luc Tremblay, du district de Châteaudun.
Leur collègue de Pointe-du-Lac, François Bélisle, ne mâche pas ses mots. «Je trouve ça extrêmement ordinaire. Le mot qui m’est venu en tête ce matin, c’est gros, mais je trouve que c’est quasiment un ‘’coup d’État’' de la haute administration publique sur la ville de Trois-Rivières dans le sens où ils ont imaginé, commandé et diffusé un rapport pour orienter l’opinion publique, pour faire pression sur nous.»
Ils déplorent que l’administration municipale commande ainsi une étude alors que les élus frappent un mur lorsqu’ils en demandent une. «On refuse une étude sur la densification industrielle demandée par des élus, mais là, le dg peut décider de commander une étude sur la fiscalité», critique M. Fortin.
Un directeur général qui prend la place laissée par le maire Jean Lamarche, estime M. Bélisle. «Finalement, on n’a pas élu un maire. On a nommé un maire le printemps passé avec François Vaillancourt.»
Rappelons que cette analyse propose que Trois-Rivières accueille davantage d’industries et de commerces pour éviter que ses contribuables résidentiels soient étouffés par les taxes et que les services se dégradent davantage. Le nombre d’industries a diminué au cours des dix dernières années, ce qui met une pression fiscale sur les contribuables trifluviens.
Cette étude a été dévoilée aux élus mardi ainsi qu’une présentation sur le modèle économique de la Ville de Varennes. Le nombre élevé d’entreprises qui s’y trouvent lui permet de dégager d’importants revenus.
Quelques personnes ont été invitées à s’y rendre il y a deux semaines dont le directeur général de la Ville de Trois-Rivières François Vaillancourt, des représentants d’Innovation et Développement économique (IDE), le maire suppléant Daniel Cournoyer ainsi que les conseillers Maryse Bellemare et Luc Tremblay. «Ils m’ont amené là-bas pour essayer de me convaincre de changer de camp», estime M. Tremblay.
«Ils essaient de nous convaincre qu’on n’a pas le choix de développer le 40-55. Je suis convaincu que ça nous en prend du développement commercial. Mais présentement, je considère qu’il nous manque encore des données. C’est difficile de prendre position quand on n’a pas tous les éléments en main. Est-ce qu’il y a une possibilité de faire un nouveau parc industriel qui ne serait pas sur un milieu humide? Est-ce qu’on peut l’avoir l’étude complète avec toutes les possibilités? Après, on prendra une décision éclairée», ajoute-t-il.
M. Fortin ne comprend pas qu’une poignée d’élus a été invitée à Varennes. «Je trouve ça scandaleux», s’insurge-t-il. «Qui a eu l’idée? Qui a décidé quels élus y allaient? Qui a mis ça en place? Dans quel but?», se questionne le conseiller. «Donc, tu as du non-politique qui invite certains élus dans le but de voir un modèle et les convaincre sur un élément qui est le Carrefour 40-55, j’ai un gros problème avec ça.»
Cette étude remet en question le plan de développement économique de Trois-Rivières, selon M. Tremblay. On peut d’ailleurs y lire que chaque dollar de taxation résidentielle rapporte 0,15$ alors que ce montant est de 0,63$ pour le commercial et l’industriel. «Le constat, c’est que présentement, on a moins d’industries qu’il y a dix ans, malgré qu’on met énormément de millions dans les mains d’IDE, dans les mains de nos fonctionnaires pour faire du développement économique. Si on en est rendu là aujourd’hui, c’est peut-être aussi un certain constat d’échec si on se compare à d’autres villes.»
«Je m’excuse mais si c’est une faillite du développement économique de la Ville qui nous a été présentée, je ne peux pas croire que nos experts ne le savaient pas. Il va falloir qu’il y ait une imputabilité des hauts fonctionnaires parce que nous autres, les élus, on est imputables. Les décisions qui se prennent au conseil sont faites sous les recommandations de nos experts», ajoute M. Bélisle.
Ces trois élus assurent être en faveur du développement industriel et commercial. Ils souhaitent toutefois qu’un plan d’ensemble, une vision soient mis de l’avant, et ce, en priorisant la densification. «C’est rendu un débat pour ou contre le développement industriel. C’est carrément farfelu. C’est futile comme débat parce que tout le monde est pour l’industriel. Oui, on veut des nouvelles sources de revenus, oui on veut des industries. Mais est-ce qu’on peut se donner une vision d’avenir? Est-ce qu’on peut décider quel genre d’industries on souhaite pour le futur Trois-Rivières et où on veut les déployer?», plaide M. Bélisle.
Ce dernier fait remarquer qu’il n’y aura plus de Wabasso ou de CIP à Trois-Rivières. Il faut miser sur les PME, sur les centres de recherche et développement, selon lui. Il se demande dans la même veine quelle place va prendre Trois-Rivières dans la nouvelle zone d’innovation alors que Bécancour hérite des grandes industries et que Shawinigan a réussi à se démarquer en attirant Concordia.
«Je trouve que Trois-Rivières manque le bateau en ce moment. La formation, les laboratoires et la recherche, ça devait se faire, il me semble, à Trois-Rivières. Shawinigan a fait un bon coup et là ils parlent d’aller chercher les HEC, Polytechnique. Alors si la recherche s’en va à Shawinigan et les industries à Bécancour, qu’est-ce qui va nous rester? Il va nous rester les petites machines shops. Des bâtiments en tôle avec de la mécanique à l’intérieur. C’est correct. Je ne dénigre pas ça. Il y a des sous-traitants pour les grosses entreprises. Mais on va être en concurrence avec des parcs industriels qui vont coûter pas mal moins cher le pied carré.»
René Martin, du district des Carrefours, s’inquiète aussi à ce niveau. «À Bécancour, c’est déjà commencé. À Shawinigan, avec l’université, tout commence. Puis à Trois-Rivières, actuellement, on se pose des questions.»
Ce dernier fait partie de ceux en faveur du développement du parc industriel 40-55. «Ça prend le 40-55 pour alléger les taxes. Je ne dis pas que c’est la meilleure solution. Je dis que c’est la seule possible à moyen terme si on veut payer pour l’itinérance, les milieux défavorisés, le transport en commun, la crise du logement. C’est impossible d’en demander plus aux citoyens. C’est concret ce projet-là», dit-il, en rappelant que Trois-Rivières reçoit de la péréquation.
Un avis partagé par Alain Lafontaine, conseiller du district des Forges. «J’ai toujours été pour, je ne m’en suis jamais caché. Ce sont des millions de revenus. Pensez-vous qu’on est capable de se passer de ça?»
M. Martin se demande s’il ne faudrait pas faire un référendum pour régler la question une fois pour toutes. «Les seuls qu’on entend c’est ceux qui n’en veulent pas. Mais moi, partout où je vais, les gens me disent qu’ils sont pour.»
Il n’est pas d’accord avec ses collègues qui sont critiques envers l’étude sur la fiscalité. «Il n’y a pas d’autre solution. Je leur demande: c’est quoi la solution? Faire des études, des consultations publiques, un moment donné, ça va prendre 100 ans. Ils veulent toujours étudier tout. Il n’y a pas de décision qui se prend. Moi c’est ça que je ne suis plus capable.»