75 ans de mariage pour les parents d’Elvis Lajoie

Ils célèbrent leurs noces d'albâtre, soit 75 ans de mariage, vivant dans le même maison depuis 1962.

En cette ère de l’éphémère et du jetable, la célébration des noces d’albâtre est devenue un phénomène rare que l’on peut supposer en voie d’extinction. C’est pourtant le jalon qu’ont franchi ensemble Louise et Franklin Lajoie. Le couple a célébré 75 ans de mariage entouré de sa famille immédiate, dont le membre le plus célèbre est certainement le benjamin de leurs enfants, Elvis Lajoie.


Contrairement à celle de son mari Franklin, la mémoire de Louise Lajoie – née Lemelin – est restée bien nette au fil des ans. Ainsi, elle se souvient que le matin du 18 septembre 1948, une légère bruine tombait sur Trois-Rivières, par une journée plutôt clémente par ailleurs.

Frank, quant à lui, met toute sa vivacité d’esprit au service d’un humour malicieux, mais ses souvenirs sont confus. Quand on leur demande ce qui les a unis toutes ces années, il répond du tac au tac: «Pour moi, c’est clair et net: c’est son argent!»



Les rires fusent à la table du restaurant Au Vieux Duluth, alors qu’on sait très bien que Louise Lemelin n’avait pas une très grosse dote à offrir le jour de ses noces. Étant la plus jeune d’une famille de huit enfants élevés à la campagne par une mère devenue veuve peu après sa naissance, c’est grâce au travail et à la solidarité que la famille s’en est sortie. C’est aussi grâce au travail de son frère que le clan s’est établi à Trois-Rivières, ce qui a permis aux destins de Louise et Frank de se croiser.

Les fréquentations étaient bien limitées à cette époque pour les deux jeunes gens qui habitaient au centre-ville de Trois-Rivières. Assise sur la galerie de sa demeure familiale sur la rue Royale, Louise brodait des linges à vaisselle, alors que le jeune homme au chapeau vert passait devant chez elle pour aller et venir du travail. «Maman pouvait surveiller», rappelle-t-elle. «Je le trouvais cute», dit encore Louise en se rappelant l’air de jeunesse de ce boute-en-train.

Selon Louise, c’est Franklin qui avait fait la grande demande à sa mère, une dame timide, qui accordait ainsi, coup sur coup, ses deux plus jeunes filles en mariage. Les cérémonies se sont tenues à une semaine d’intervalle.

«Moi, à 16 ans, je la voulais», lance le jubilaire, dans un éclair de lucidité confirmé par Elvis Lajoie, attentif à la conversation. Attablé au restaurant, le couple jubilaire est entouré de trois de leurs quatre enfants, avec leur conjoint. Seule l’aînée de la famille est absente, parce qu’elle habite en Floride.



Ce matin du 18 septembre 1948, le chauffeur de taxi qui les conduisait n’était pas un habitué des cortèges nuptiaux, si bien que les fiancés ont dû parcourir à pied une partie du trajet pour se rendre au portail de l’église Saint-Philippe. Après la cérémonie matinale, la noce a eu lieu au Canipco, l’ancien centre récréatif des employés de la C.I.P., le moulin à papier où Franklin travaillait. Louise avait tout juste dix-huit ans, Franklin en avait vingt.

Louise avait tout juste dix-huit ans, Franklin en avait vingt, le jour de leur mariage en 1948.

«Ça coûtait 10$ pour louer la salle. J’ai encore mon billet», raconte la femme. Parents et amis y étaient réunis, puis, une fois la fête terminée, les nouveaux mariés ont pris le chemin de Montréal pour y faire leur voyage de noces. «On ne connaissait pas grand-chose!», avoue celle qui a acquis un brin d’expérience, depuis.

Une famille créative et travaillante

«Après deux ans, on a eu une première fille, après une deuxième et ensuite une troisième», raconte Louise, évoquant ainsi les naissances successives de Lise, Ginette et Suzanne. Puis, sur ordre du médecin, l’enfilade des grossesses s’est interrompue pendant sept ans. «Puis là, c’est un garçon qui est arrivé.» Apparemment le père de famille était tellement heureux que, dans l’énervement, il a jeté sa chemise à la poubelle plutôt qu’au panier de lavage.

Toute la fratrie s’entend sur une chose: en tant que bébé de la famille et seul garçon, Elvis, que ses parents avaient d’abord prénommé Gilles, a été particulièrement gâté au sein de cette famille unie.

L’un des souvenirs que tous se remémorent avec joie, c’est la cueillette de bleuets en famille. À 95 et 93 ans, Franklin et Louise tirent encore une certaine fierté d’avoir pu compter sur tous leurs enfants pour participer à cette corvée lucrative, puisque la récolte était vendue dans le temps de le dire.

Pendant que son mari poursuivait sa carrière à la C.I.P jusqu’à l’âge de 60 ans, Louise prenait soin de sa famille, à l’exemple de sa mère avant elle. Habile de ses mains, elle confectionnait les vêtements de toute sa marmaille, une habitude qu’elle a conservée même une fois qu’ils étaient devenus adultes. Ainsi, elle a cousu point par point la robe de mariée de sa fille Ginette et tous les costumes de scène d’Elvis.



«Quand il se pratiquait au sous-sol, moi j’ouvrais la porte pour mieux l’entendre jouer, et le voisin appelait la police», raconte la mère du personnificateur qui a changé son nom pour Elvis, à l’âge de 16 ans.

Le couple a aussi développé des passe-temps à partager, comme la recherche de trouvailles dans les marchés aux puces, la danse et la confection d’articles de cuir artisanaux, dont ils ont fait un petit commerce. «Ça, c’est moi qui l’ai fait», lance soudain Franklin Lajoie, en tirant de sa poche un portefeuille de cuir repoussé. Un travail d’équipe où chacun avait sa part de contribution.

Pendant 45 ans, Louise Lajoie a aussi fait du bénévolat à l’hôpital Cooke. Chaque mardi, elle visitait les malades en leur apportant de petites douceurs pour collation. Encore aujourd’hui, alors qu’ils habitent la même maison depuis plus de 60 ans, celle-ci refuse de voir son mari partir en établissement de soin, de peur qu’il ne se laisse dépérir sans manger.

Comment prennent-ils soin l’un de l’autre, aujourd’hui? «Elle fait à manger, pis moi je mange!», indique Franklin, toujours aussi taquin. Pour qu’il continue à bien s’alimenter, sa femme lui présente d’ailleurs des suppléments à boire dans des verres à cocktail, en portant un toast pour l’encourager. «Tchin! Tchin!», voilà l’un des plaisirs de la vie que partagent encore les tourtereaux nonagénaires.

En juin dernier, toute la famille s’est réunie pour souligner en grand cet anniversaire de mariage. La fête a eu lieu au restaurant Le Grec qu’ils ont fréquenté régulièrement en toutes circonstances, et Jacqueline, leur serveuse habituelle, en avait les larmes aux yeux. Petits-enfants et arrière-petits-enfants compris, ils étaient 26 pour célébrer ce couple exemplaire.

Puis, quelques jours avant le véritable jour anniversaire du 18 septembre, une nouvelle génération a fait son apparition sur la Terre des Lajoie. La petite Laurence, arrière-arrière-petite-fille de Louise et de Franklin, est venue à la rencontre de ses aïeux, dans leur maison.

«C’est émouvant», assure Louise qui a savouré le bonheur de tenir cette petite dans ses bras.