«On me demande de retourner au cégep... À mon âge!», soupire Cecilia Re. L’infirmière de profession est de retour au Québec depuis juin, où ses trois enfants vivent toujours. Elle a laissé un poste à l’Université nationale de la Patagonie australe, dans son Argentine d’origine, pour un deuxième tour de piste dans sa patrie d’adoption. Désespérée et à bout de ressources, elle a quitté un cul-de-sac économique pour un dédale administratif qu’elle n’avait pas anticipé.
Désireuse de décrocher un poste au cégep ou à l’université, et de continuer d’enseigner les soins infirmiers à des professionnels en herbe, Mme Re contacte l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) à son arrivée afin de s’assurer que son droit de pratique est en règle. On constate alors que son inscription datant de 2010 est toujours valide, tout en lui demandant de prouver qu’elle a consacré 500 heures ou plus à l’exercice d’activités liées à la profession infirmière au cours des quatre dernières années. Une formalité, pense d’abord la Québécoise d’adoption.
Mme Re s’affaire à rassembler les pièces justificatives, que l’on exige accompagnées d’une traduction officielle. Certains employeurs fournissent d’emblée les documents, d’autres se montrent moins collaboratifs. Détentrice d’un diplôme en communication et d’une maîtrise en formation à distance de la TÉLUQ, l’infirmière s’emploie à traduire elle-même les pièces qui ne sont qu’en espagnol. La machine s’embourbe dès lors.
«Je n’ai pas reçu de conseils. Quand j’ai reçu l’attestation, on m’a dit que je ne pouvais pas l’envoyer, comme s’ils ne comprenaient pas que ce n’était pas de moi, mais que ça venait d’un employeur», se désole l’infirmière.
Incapable de se conformer aux exigences de l’OIIQ, Cécilia Re devra actualiser ses connaissances si elle veut retrouver le droit de pratiquer à nouveau au Québec.
«Le Comité des requêtes ne juge pas suffisants les motifs invoqués par Cécilia Rita Re au soutien de sa demande de non-imposition d’un stage de perfectionnement [...] par conséquent, il estime nécessaire pour la protection du public de l’obliger à suivre un cours ou à faire un stage de perfectionnement», peut-on notamment lire dans la décision qui lui est acheminée.
À court de moyens, celle qui revenait d’une banque alimentaire au moment de notre rencontre à Trois-Rivières doit se résoudre à s’exiler dans une autre ville, les cours qu’on lui demande de suivre [480 heures dans un établissement collégial] n’étant pas offerts en Mauricie. Quant à un stage de perfectionnement, il semblerait que ni le CIUSSS régional ni aucun autre employeur n’étaient en mesure de l’accueillir. «Je ne sais plus quoi faire», laisse-t-elle tomber.
L’Ordre des infirmières justifie sa décision
À l’OIIQ on indique avoir eu plusieurs échanges avec Mme Re et qu’on lui a expliqué qu’il est normal qu’on lui demande d’actualiser ses compétences, étant donné qu’il y a plus de quatre ans qu’elle n’a pas pratiqué au Québec.
On soutient avoir traité le dossier, même si certaines pièces n’étaient pas traduites. Or, au nombre des considérants énoncés dans la décision du Comité des requêtes de l’OIIQ, que Mme Re nous a transmis, on souligne «que la majorité des documents fournis ne proviennent pas directement des organismes émetteurs et que ces derniers ne sont pas tous accompagnés d’une traduction officielle».
Invité à commenter l’apparente contradiction, l’OIIQ répond que «la traduction n’est pas la raison principale de la décision, mais un motif secondaire, mettant en lumière le fait qu’elle [Cécilia Re] n’a pas respecté les procédures malgré toutes les explications fournies par l’infirmière-conseil».
L’Ordre soutient avoir tenté de joindre Mme Re «à plusieurs reprises». Mais comme celle-ci n’a pas de téléphone, on laisse entendre que les communications ont été laborieuses. «Il n’y a rien qui bloque, si ce n’est que Mme Re n’a pas retourné les appels de notre côté», maintient-on.
La principale intéressée exhibe quant à elle un chapelet de courriels, où on la dirige à répétition vers le site Web de l’OIIQ et où on l’invite à adresser ses questions par courriel à la «Direction, Admissions et registrariat», hyperlien à l’appui.
Quoi qu’il en soit, l’OIIQ réitère en faire une question de sécurité du public. «Il y a des étapes à suivre pour actualiser le vocabulaire, s’assurer que les infirmières qui répondent aux besoins de la population connaissent bien les termes, les médicaments... c’est simplement s’assurer de ça», insiste-t-on.
De son côté, Mme Re rappelle que jusqu’à son départ de l’Argentine, elle enseignait les soins infirmiers au niveau universitaire. Si elle souhaite poursuivre au Québec dans la même veine, elle se dit aussi prête à travailler au chevet des patients, si on lui demande. Un retour sur les bancs d’école lui apparait cependant comme un recul qu’elle peine à envisager.
L’OIIQ semble pour sa part laisser une porte entrouverte. «Si madame présentait des faits nouveaux dont le Comité n’aurait pas pris connaissance lors de l’analyse initiale de son dossier, le Comité pourrait reconsidérer sa décision», indique-t-on dans une réponse qu’on nous a acheminée par courriel.
Pour Cecilia Re, qui maintient déjà répondre à toutes les exigences de l’OIIQ, l’espoir est ténu. Et la situation lui parait d’autant plus absurde au regard d’une pénurie de personnel qu’on ne cesse de déplorer. Elle ne désire pas mieux que de mettre l’épaule à la roue. «Qu’est-ce que je peux faire de plus?», demande-t-elle.