Feux de forêt: «Ça fait peur de voir la précarité financière de nos entrepreneurs»

Une cinquantaine de feux ont affecté près de 50 000 hectares de forêt. Les conséquences sur l’industrie forestière sont nombreuses selon des acteurs du milieu.

Les feux de forêt ont été dévastateurs dans la région depuis le début de la saison. Une cinquantaine de feux ont affecté près de 50 000 hectares de forêt. Les conséquences sur l’industrie forestière sont nombreuses selon des acteurs du milieu. Ils martèlent qu’il faut une réelle aide gouvernementale et un plan de récolte le plus rapidement possible.


«On s’attendait à avoir des subventions. En foresterie, ça fait longtemps qu’ils nous promettent toute sorte de choses, il me semble que ça aurait été le temps de régler tout ça […] Je pense que ce sont des défis que nos ministres ne comprennent pas», souligne l’entrepreneur forestier et administrateur à la Coopérative forestière du Haut Saint-Maurice, Martin Grenon.

Les pertes dépassent les 100 000 $ pour cet entrepreneur de près de 25 ans d’expérience qui fournit du travail à une dizaine d’employés. Actuellement, l’entreprise doit se contenter d’opérer avec la moitié de sa machinerie. Pour lui, comme pour plusieurs autres, le défi c’est l’argent.

«Ça fait peur de voir la précarité financière de nos entrepreneurs. On essaie de les motiver, mais nos arguments sont à courts avec les aides qui ont été annoncées», souligne le directeur général de la Coopérative forestière du Haut Saint-Maurice, Marc-André Despins.

«On est tous un petit peu fous, on est des passionnés de ça. On veut absolument garder nos entreprises. On ne veut pas que ça ferme, mais là, on est à pleine face dans un mur», lance Martin Grenon.

Dans les prochaines semaines, il faudra récolter le bois brûlé avant que les insectes, le longicorne principalement, ne s’en chargent. Le directeur général de la Coopérative forestière estime que ça devra être fait dans un délai de 6 à 8 mois tout au plus. Il déplore d’ailleurs qu’il n’y ait toujours aucun plan clair de récolte sur la table.

«Il y a du bois de brûlé et il n’y a pas de plan présentement qui est mis en place. Ça urge. Le longicorne est arrivé et on voit déjà des impacts. La fibre n’aura plus de valeur marchande. Pourquoi attendre?», se questionne Marc-André Despins qui estime que les entrepreneurs ont la capacité de ramasser la majorité du bois brûlé dans la région.

On voit sur ces photos fournies par la Coopérative forestière du Haut Saint-Maurice que c'est l'écorce qui est davantage affectée par le feu. On voit aussi qu'il y a déjà des vers qui vont éventuellement devenir des longicornes.

Ensuite, il sera encore possible de récupérer une partie du bois restant pour en faire d’autres types de produits pendant encore quelques années. Chez Transfobec Mauricie par exemple, on pourra en faire des copeaux et du paillis.

«Ça pourrait arriver qu’on n’en récolte pas du tout, si ce qui reste est trop loin. Quand c’est trop loin pour nous, économiquement ce n’est plus rentable d’aller le chercher. Par contre, s’il y a une bonne aide financière pour les transports, on pourrait aller en récolter. Pour les papetières ça ne dérange rien et au lieu de couper du bois vert pour fournir les papetières tu coupes ça, c’est important. C’est du bois qui va être perdu de toute façon. Autrement, ce serait une vraie gaspille», lance le copropriétaire de l’entreprise Claude Bronsard.

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts souligne pour sa part être actuellement en production de plusieurs plans d’aménagement spéciaux, dont celui pour la région de la Mauricie. On indique également qu’une cartographie du territoire de la région a été effectuée.

«La caractérisation des dommages est réalisée à partir d’images satellites et est utilisée afin d’estimer adéquatement les superficies touchées et les volumes de bois affectés. Ces travaux permettent de réorienter et d’accélérer les activités de planification et de récolte. Cette évaluation des dommages permet ainsi de localiser les endroits où intervenir en priorité, dans le but de limiter les pertes économiques causées par les feux de forêt», indique le ministère par courriel.

Défis à venir

La récolte du bois brûlé va amener son lot de défis opérationnels, au-delà des questions de temps. Ces zones forestières n’étaient pas identifiées dans la majorité des cas comme étant à collecter dès maintenant. Elles se trouvent parfois dans des secteurs difficilement accessibles, sans chemins et sans commodités comme les camps forestiers, ajoutant des coûts supplémentaires.

«Il va y avoir des manœuvres supplémentaires nécessaires pour nettoyer les équipements. […] Nos entrepreneurs veulent une juste compensation pour être capables de faire le travail et de ne pas le faire à perte», insiste Martin Bouchard, porte-parole de l’Association québécoise des entrepreneurs forestiers (AQEF).

«Si les prix ne sont pas ajustés, on ne pourra juste pas le faire. Il va falloir que ce soit revu à la hausse. Sinon, c’est nous qui allons payer toutes les semaines pour ramasser ça.»

—  Martin Grenon, entrepreneur forestier

Les impacts sur la machinerie qui n’est «pas friande de suie» devront aussi être pris en compte.

Par la suite, il faudra repenser au reboisement, et encore là, des défis sont à prévoir et l’aide du gouvernement sera vitale.

«Quand on parle de travaux sylvicoles, le budget n’a pas été majoré depuis 2014. Avec les hectares qui viennent de brûler, il va falloir un plan d’urgence et un budget alloué qui devra être bonifié grandement pour avoir des travaux sylvicoles à la hauteur des hectares brûlés et avoir une forêt récoltable dans 50, 60, 70 ans. Ça va prendre du courage politique», note Marc-André Despins.

Revoir le régime forestier

Le directeur général de la Coopérative forestière réitère qu’il serait grand temps de revoir le régime forestier et de redonner du pouvoir aux régions.

«On veut que les gens en région, qui sont sur le terrain, aient une agilité opérationnelle et qu’ils puissent prendre des décisions. Tout le monde va y gagner. Au final, ce que l’on fait actuellement, c’est qu’on crée des goulots d’étranglement de décision, et ça, ça impacte financièrement les entreprises forestières. […] Ça prendrait de la volonté politique», insiste-t-il.

Marc-André Despins est directeur général de la Coopérative forestière du Haut Saint-Maurice.

«Quand on regarde ce qui s’en vient dans le prochain deux ou trois ans avec le régime en place, c’est plate et ce n’est pas rose.»

Le directeur général espère que les feux de forêt vont permettre de revoir la stratégie de récolte dans la province et que ça puisse permettre d’améliorer les processus.

Des pertes importantes

Un sondage réalisé par l’Association québécoise des entrepreneurs forestiers (A.Q.E.F.) auprès de 119 entrepreneurs forestiers, dont une quinzaine de la Mauricie, révèle que la très grande majorité des entrepreneurs ont été durement touchés par les feux de forêt, tant sur le plan des revenus perdus que des dépenses fixes qu’ils ont dû supporter.

«C’est près de 50% des répondants qui ont eu des pertes de 100 000 $ et plus. À 90%, ils ont tous assumé des pertes», fait ressortir Martin Bouchard, porte-parole de l’AQEF.

L'AQEF a présenté les principaux résultats obtenus des 119 répondants à un sondage pendant la période du 3 et 13 juillet 2023.

L’AQEF indique que les feux ont privé les entreprises de 70 500 $ en moyenne pendant les semaines d’arrêt forcé. Les répondants ont également déclaré, via ce sondage, qu’ils avaient perdu de la machinerie pour une valeur approximative de 3,5 M$ dans les incendies de forêt.

La Coopérative forestière du Haut Saint-Maurice rappelle que les feux s’ajoutent aussi aux arrêts occasionnés par les blocus forestiers sur la route 25 peu avant la période du dégel. Le directeur général souligne également que ce sont tous les acteurs de l’industrie qui seront impactés plus tard, comme dans une vague.

Les entreprises forestières, au même titre que les pourvoyeurs, réclament des mesures d’aide beaucoup plus importantes que celle offerte par le gouvernement jusqu’à maintenant.

«C’est un prêt avec intérêt, ça vient ajouter au fardeau d’une certaine façon. Les intérêts vont être un coût de plus», commente Martin Bouchard.

Toujours selon le sondage de l’AQEF, sans l’intervention rapide du gouvernement, 3,4% des répondants seraient au bord de la faillite.

«Ce qu’il vient nous dire le sondage et qui est intéressant, c’est qu’il précise au gouvernement quelles sont les attentes des entrepreneurs par rapport au type d’aide qu’ils aimeraient recevoir», note le porte-parole de l’AQEF.

On pense notamment au remboursement des frais fixes assumés, de l’aide monétaire pour le redémarrage, de l’aide salariale rétroactive, des subventions pour les pertes non assurées, des prêts sans intérêt pour la reprise des activités ou encore des mesures compensatoires pour la récolte du bois brûlé.

Dans tous les cas, on garde encore espoir que le gouvernement, qui a démontré de l’ouverture en début de semaine, se montre plus généreux.