Alors que les besoins des banques alimentaires sont de plus en plus criants, Marise Hunter, agente de développement à la Carotte joyeuse, ne s’explique toujours pas qu’un projet implanté et reconnu depuis plusieurs années en vienne à devoir mettre la clé sous la porte, faute de financement.
«Ça fait un an que je travaille activement à la recherche de financement. À chaque fois qu’il y a un concours qui sort, on essaie, mais on n’est jamais admissible. On est toujours en zone grise», explique-t-elle. «Il n’y a pas vraiment de portefeuille disponible au gouvernement en transformation alimentaire.»
«Pour ce qui est des comptoirs ou des banques alimentaires, eux, ils ont du financement récurrent. Pour notre part, tout ce qu’on trouve, c’est du financement pour des nouveaux projets», poursuit-elle. «On est comme entre deux craques.»
Une mission singulière
La Carotte joyeuse était en quelque sorte difficile à classer dans une case particulière, puisqu’elle s’attaquait à différentes problématiques sociales simultanément. En premier lieu, afin de contrer le gaspillage, elle récupérait les aliments moches, déclassés ou en surplus de la part de différents producteurs et transformateurs de la MRC Nicolet-Yamaska.
Les aliments ainsi récoltés étaient ensuite transformés au sein des plateaux de travail du local loué par l’organisme. Différents groupes scolaires et communautaires ainsi que des bénévoles revalorisaient la nourriture amassée pour en faire des repas, des potages et des desserts qui étaient ensuite envoyés dans trois banques alimentaires de la région pour en faire bénéficier les personnes dans le besoin.
«Depuis plusieurs années déjà, nous fréquentons la Carotte joyeuse pour y développer des aptitudes, attitudes et compétences tout en contribuant à la mission de l’organisme. L’accompagnement qui est offert à nos élèves est très précieux, car malgré leurs besoins particuliers, ils sont considérés avec respect et égard. Très peu de tels milieux sont disponibles pour recevoir des groupes dans la région. Ce plateau de travail est donc une ressource précieuse pour agrémenter notre formation», indique Claudia Proulx, enseignante en intégration sociale de la formation générale des adultes au Centre de services scolaire de la Riveraine.
Ces plateaux de travail permettaient, par exemple, à des personnes ayant une déficience intellectuelle de développer des aptitudes professionnelles et d’acquérir des connaissances, des compétences et une expérience de travail en cuisine. Le projet était considéré, lors de son lancement, comme «très prometteur» et «avant-gardiste».
Des défis de taille
Bon an, mal an, près de 9,5 tonnes d’aliments étaient transformées par le projet, offrant chaque semaine quelque 250 repas sains et équilibrés aux banques alimentaires du Centre-du-Québec. La Carotte joyeuse pouvait compter sur les dons de 34 entreprises du secteur agroalimentaire pour mener à bien ses activités.
«On a un très grand impact sur notre communauté, mais malheureusement, on a vraiment tout essayé. On a eu le soutien des acteurs du milieu, on a eu le soutien de la ville, de la MRC. On est allé voir nos députés, on a tout fait pour essayer de trouver un bailleur de fonds, mais en vain», révèle Marise Hunter.
Le 31 mars, l’entente avec le bailleur de fonds qui subventionnait le projet depuis les trois dernières années prendra fin. «Comme le financement s’arrête, on doit arrêter nous aussi. Il va nous rester un mois pour donner notre équipement aux organismes en sécurité alimentaire de notre coin. Ce qui n’a pas été pris va être vendu et avec l’argent reçu, on va acheter des bons d’épicerie qu’on va remettre aux gens dans le besoin», continue l’agente de développement qui se retrouvera sans emploi à ce moment-là.
Il faut souligner que la Carotte joyeuse allait également perdre son local de Nicolet, loué à prix modique, à la suite de la vente du bâtiment qui l’abritait. Le projet aurait alors dû se relocaliser ailleurs à grands frais dès le mois de juin et les coûts d’occupation auraient pratiquement doublé. Même avec du financement pour sa mission, le programme n’aurait probablement pas pu survivre à ce coup dur.
«J’espère qu’on va être entendu et qu’on va faire une différence pour les prochains organismes comme le nôtre. On est cité en exemple partout où on va, en sécurité alimentaire. On est un projet innovateur et tout ça, mais non. Je pense qu’il n’y a pas de coupable en fait. Je me demande si quelqu’un s’est penché sur cette question-là, mis à part nous», conclut Marise Hunter.