Des infirmières de la région toujours tentées de démissionner

La menace de démissions spontanées d'infirmières semble toujours peser sur le réseau de la santé, en Mauricie et Centre-du-Québec.

Commentaires et pouces levés, une publication dans un groupe de discussion en ligne laisse présager que de nombreuses infirmières de la Mauricie et du Centre-du-Québec songent toujours à démissionner. Pour Stéphanie Gignac, le pas a été franchi vendredi dernier, tandis qu’elle a avisé le CIUSSS qu’elle quittait son poste dans deux semaines, au profit du secteur privé. La perspective de nouveaux reculs dans ses conditions de travail a scellé la rupture. «Il y a une vie en dehors du CIUSSS», souffle la professionnelle.


«J’ai eu un poste dans une résidence privée. Je m’en vais comme gestionnaire, après 17 ans de carrière au CIUSSS [de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec]», expose Stéphanie Gignac.

«Les 24/7, j’en ai fait beaucoup au début de ma carrière, puis c’est bien correct. Mais tout le monde dans la vie travaille pour améliorer ses conditions», fait valoir la démissionnaire. Or, soutient-elle, c’est plutôt une régression qui s’est opéré dans le secteur de la santé, et la chose serait d’autant plus vraie pour les infirmières.



«Tout ça arrive après la COVID, puis on sait que ç'a été difficile… Là, c’est “va là, on a des trous à boucher”, c’est comme ça qu’on se sent», se désole Mme Gignac. Devant composer avec une garde partagée au plan familial, elle a jugé que les nouvelles mesures imposées par l’établissement étaient la goutte de trop – «Une fin de semaine sur trois, c’était juste inconcevable.»

C’est cependant le cœur lourd que l’infirmière tourne le dos au secteur public. La solidarité qui règne dans le réseau, la camaraderie de l’équipe de travail et la passion d’un quotidien mené à l’enseigne du soutien à domicile sont autant de deuils qui s’annoncent, observe la professionnelle.

Au-delà des considérations personnelles, celle qui quitte son poste craignait par ailleurs de devenir le rouage d’un système en déroute. Les événements récents d’Amqui et de Rosemont devraient servir d’avertissement, pointe Mme Gignac de manière plus large.

Exception ou tendance de fond ?

Si le Tribunal administratif du travail a ordonné au syndicat des infirmières de cesser d’encourager ses membres à démissionner en bloc, statuant que la menace contrevenait au Code du travail, les initiatives spontanées pourraient couver dans les rangs. «Ça se parle», remarque Stéphanie Gignac, sans s’avancer davantage.



Des infirmières qui se sont confiées à nous sous couvert de l’anonymat disent avoir commencé «à envoyer des CV» et être en attente de réponses. «Je verrai ce que je fais à ce moment-là», indique l’une d’entre elles.

Des infirmières qui se sont confiées au Nouvelliste disent avoir «envoyé des CV».

Sous la publication que nous évoquions plus haut, les commentaires laissent entendre que pour certaines, la mèche est de plus en plus courte.

«Moi aussi, c’est ce que je vais faire lorsqu’ils m’obligeront à retourner dans les 24/7. Je suis partie de là par choix, pour ma santé», peut-on lire.

«Je suis inscrite à une formation pour me partir à mon compte.... J’ai aussi passé une entrevue pour être chargée de cours à Bel-Avenir... Je suis un peu perdue dans tout ça... Mais je crois que le CIUSSS ne fait plus partie de mon avenir malheureusement...», écrit encore une autre.

Invitées à se manifester par un pouce en l’air sur leur intention de prendre une retraite anticipée ou de «regarder ailleurs», plus d’une centaine d’entre elles répondent par la positive.

Un glissement vers le privé?

À la retraite depuis 2014, le Trifluvien François Bergeron a été gestionnaire dans le réseau de la santé pendant plusieurs années. Il considère que les mesures mises de l’avant par les autorités régionales en conduiront plusieurs à se réorienter et à déserter le secteur public.



«Moi je pense à des infirmières en enfance, en jeunesse, ou en CLSC... J’en avais à l’époque, elles étaient toutes dans la cinquantaine… Si je leur avais imposé d’aller travailler du côté hôpital ou du côté CHSLD, une fin de semaine sur trois, elles seraient toutes parties, elles auraient toutes démissionné, c’est clair!»

Celui qui a quitté ses fonctions au moment de la dernière vague de fusions, qui a mené à la création des CISSS et des CIUSSS, constate les dérives d’un réseau, dit-il, où l’anonymat est devenu la norme.

«Moi, je connaissais tout mon personnel. Je pouvais les nommer par leur nom, je connaissais leurs forces, leurs faiblesses… À partir du moment où t’as un gestionnaire pour 800 employés, tu les connais pas, c’est des numéros de dossier… Il n’a aucune idée de l’impact des mesures qu’il pourrait mettre sur pied», analyse M. Bergeron.

Selon l’ancien gestionnaire, si les autorités voulaient paver la voie à la privatisation des services de santé, elles n’agiraient pas autrement. «Chaque fois qu’ils prennent une mesure qui va faire partir encore plus de monde, les services vont être tellement désorganisés que la population va en arriver à la conclusion que “ben oui, le privé, finalement, tant qu’à pas avoir de services…”»

Des milliers de travailleurs demandés

Au CIUSSS MCQ, après avoir eu gain de cause au Tribunal administratif du travail dans le dossier des démissions en bloc, on dit compter sur les rencontres avec les infirmières pour calmer les inquiétudes et démystifier les mesures à venir.

On réitère que pour l’instant, seul le secteur de Drummondville est touché par les fusions de centre d’activité maintes fois décriées par les professionnelles. Les mêmes mesures ne seront implantées ailleurs sur le territoire qu’après la période estivale, et selon des scénarios qui varieront d’un endroit à l’autre, insiste-t-on.

Pour l'instant, les fusions de centres d'activité ne touchent que le secteur de Drummondville.

Parallèlement, l’établissement mène une offensive de recrutement qui vise à assurer la relève dans différents départements. «On prévoit recruter 3000 personnes, tous types d’emplois confondus, pour les cinq prochaines années», détaille l’agente de communication Julie Michaud.

Pour arriver à ses fins, le CIUSSS MCQ déploie différentes stratégies terrain, dont le recrutement à l’étranger. Réorientation, départs à la retraite, migrations interrégionales, le roulement de personnel s’annonce important pour l’organisation. Au 31 mars 2022, l’établissement employait 22 445 personnes, dont l’âge moyen était de 41 ans, selon les données disponibles.



Les infirmières se prononcent

Du côté des infirmières, une assemblée générale extraordinaire du syndicat s’étalant sur deux jours – mardi et mercredi – doit donner l’occasion aux membres de prendre connaissance des propositions de l’établissement sur les mesures à venir.

La présidente du Syndicat des professionnelles en soins Mauricie et Centre-du-Québec, Patricia Mailhot, soutient avoir été placée devant des choix difficiles et dont les deux options se conjuguent par des pertes pour ses membres.

Les discussions promettent d’être animées, tandis que les professionnelles doivent opter entre des fusions de centres d’activités ou des postes composés – blanc bonnet, bonnet blanc, se désole-t-on dans les rangs.

La solidarité des infirmières pourrait être mise à l'épreuve, tandis que des choix difficiles s'annoncent.

Après avoir dénoncé des mesures élaborées de manières unilatérales, certaines évoquent maintenant une nouvelle stratégie de l’établissement pour miner l’esprit de solidarité qui caractérise une mobilisation qui ne s’essouffle pas.

Vendredi, le ministre responsable de la Mauricie et député de Trois-Rivières, Jean Boulet, devrait se voir remettre une pétition de plus de 10 000 noms, donnant son appui aux infirmières.