Chronique|

Retrouver le vrai visage de Patrice

Patrice Visage a entamé, il y a un an, une thérapie pour se défaire d'une dépendance à la cocaïne.

CHRONIQUE / Champagne, paillettes, Louis Vuitton et Gucci! Depuis trente ans, il n’y avait rien de trop beau pour Patrice Visage. Ajoutez une autre folie par dessus le marché: la cocaïne. Pendant trois décennies, le coiffeur bien connu en Mauricie a vécu avec une grande dépendance à cette substance, qui a fini par contrôler sa vie. Il y a un an jour pour jour, il entrait en thérapie fermée. Fier du chemin parcouru, il accepte aujourd’hui d’en parler, non seulement pour encourager quiconque à demander de l’aide, mais surtout pour se prouver à lui-même la valeur de tout ce qu’il a réussi à accomplir.


Patrice Lavoie, de son véritable nom, a touché à la cocaïne pour la première fois le jour de ses 18 ans. Deux ans après avoir hurlé au monde entier son homosexualité, à peu près en même temps qu’il quittait son La Tuque natal pour venir vivre au grand jour sa vie gaie à Trois-Rivières.

«J’ai commencé la poudre parce que ça faisait jet set! Moi, je ne fumais pas de marijuana, je ne buvais pas de bière. Je buvais du champagne et je faisais de la poudre, parce que j’étais jet set», ironise-t-il, sans jamais dévier de sa pensée initiale: dans sa tête, il n’avait pas de problème. «Ce n’était pas un problème puisque j’avais de l’argent pour payer ma drogue. Ceux qui avaient un problème, c’étaient ceux qui traînaient dans les parcs, qui ne payaient plus leur loyer, qui volaient, qui mentaient pour se payer leur poudre. Alors non, dans ma tête, je n’avais pas de problème», se souvient-il.

Mais le problème en était bel et bien un. À la fin, le coiffeur pouvait dépenser jusqu’à 1500 $ par semaine juste en cocaïne. «J’en ai crêpé des cheveux pour en arriver là», lance-t-il avec une pointe d’humour.

Patrice ne passe pas par quatre chemins: il sait qu’il a toujours vécu dans le déni. À cesser de vieillir à 39 ans, il y a dix ans. À ne pas soigner un diabète, en cherchant à se convaincre que ses médicaments, il les prenait pour maigrir. À travailler sept jours sur sept pour pouvoir assouvir son vice. Pas de problème, ça faisait de lui un travaillant.

À ne pas vouloir faire tout un plat de son histoire personnelle. De ce père absent dès sa naissance, qui n’a jamais voulu reconnaître, lorsqu’il était petit, qu’il était son père. De cette façade qu’il s’est bâtie autour du personnage de Patrice Visage, à cacher derrière les accessoires, les produits de beauté et les paillettes un petit garçon qui estimait n’avoir aucune valeur. «Qui aurait bien pu aimer Patrice Lavoie, si même son père ne voulait rien savoir de lui?»

Puis, arrive la pandémie, un certain 13 mars 2020, et un confinement qui allait le tenir loin de tout, surtout de son gagne-pain et de ce qui lui permettait de payer sa poudre. Avec 150 $ en poche, la panique s’est emparée de lui. Durant ces longues semaines de confinement, 80% de son temps était occupé à trouver un moyen de faire de l’argent. Jusqu’au premier chèque de PCU, entré au bout de deux mois et demi. Six mille dollars d’un coup, qui lui a permis de payer toutes ses factures. À la fin, il lui restait 1500 $ en poche. Il a tout consommé en trois jours.

«Quand j’ai recommencé à travailler, il y avait de sérieuses restrictions. On ne pouvait pas prendre autant de clientes qu’avant. Je payais ma poudre, mais pas le reste. C’est là que j’ai commencé à mentir, à toujours arranger la vérité pour m’en sortir, pour justifier que je ne payais plus mon loyer en totalité, mes factures. Ça ne marchait plus du tout», confie-t-il.

Le 27 février 2022, sa grande soeur Martine a quitté ce monde, après un malaise qui l’a laissée paralysée pendant plusieurs mois. Un autre deuil qui s’ajoutait à celui de la perte de sa mère, Bertille, décédée en 2018. Martine, qui avait travaillé toute sa vie comme une folle, 60 heures par semaine, et qui aurait tant rêvé de pouvoir profiter de la vie, la perdait à 54 ans. «Et moi, l’innocent, qui avait tout pour être heureux, j’étais en train de me détruire», me dit-il en étouffant un sanglot.

Le lendemain de l’enterrement de Martine, il a fait sa valise. Avec l’aide de précieux amis, il est entré en thérapie à la maison Casa de Québec, où il a commencé un long processus vers la guérison.

«En entrant là, j’ai eu la chienne. Il y avait un gars dans l’entrée, amputé des deux jambes, et qui était en train de vomir partout. Et moi j’entre là avec ma fourrure, mes lunettes Gucci pis ma sacoche Louis Vuitton! J’ai voulu partir en courant», se souvient-il. Son grand ami qui l’avait conduit jusque là lui a dit que s’il voulait partir, il rentrerait à pied à Trois-Rivières avec ses huit valises... Ce fut assez pour le convaincre de rester!

Fidèle à lui-même, Patrice a commencé à vouloir prendre soin de tout le monde au centre. À couper les cheveux de l’un. À faire un masque de beauté à l’autre. Jusqu’à ce qu’il constate qu’il était aussi là pour prendre soin de lui. La voix d’une bonne amie lui revenait tout le temps en tête. «Toi Patrice, tu prends tout le temps soin du monde. Mais qui veille sur toi? Qui s’occupe de toi?»

Au cours du processus de guérison, il a eu à faire face au plus grand deuil: celui de sa dépendance... aussi ironique cela puisse-t-il être. «Tout ce que je faisais, tout ce que j’étais, c’était en fonction de la coke. J’ai tout sacrifié pour ça. Je me suis isolé de ma famille, de mes amis. Je travaillais uniquement pour ça. Mais je ne contrôlais rien, c’est la coke qui me contrôlait. C’est comme si, sans elle, je n’étais plus personne», se souvient-il, émotif.

En thérapie, Patrice Visage a peu à peu reconnecté avec Patrice Lavoie, le p’tit cul de la rue Saint-Pierre à La Tuque. Il a fait du ménage, à l’intérieur. Passé le balai sur quelques paillettes, sans pour autant les remiser complètement au placard. Dépoussiéré de vieilles blessures pour les regarder en face. Réalisé enfin à quel point il était capable de plus. Réalisé que ces blessures, elles ne pouvaient pas continuer de définir la personne qu’il était réellement.

«Patrice Visage a réalisé tout les rêves du petit garçon, parce que Patrice Lavoie ne s’est jamais donné le droit d’en valoir la peine. Il faut être assez humble pour aller chercher de l’aide. On a chacun nos problèmes, mais ça ne fait pas en sorte que j’ai moins de valeur. Je ne veux plus être un coké. Je veux redevenir Patrice, et peut-être même qu’un jour j’accepterai qu’on m’appelle de nouveau Patrice Lavoie», confie-t-il.

Le coiffeur a repris les ciseaux depuis plusieurs mois au salon Chik, avec ses deux grandes complices de longue date, Claudine Munger et Krista-Lee Gendron. Il a commencé à écrire un livre, qui penche de plus en plus vers l’autobiographie. Sa clientèle, elle a été assez patiente pour l’attendre. Ses amis et ses proches, ils ont célébré son retour les bras grands ouverts pour lui faire comprendre qu’à leurs yeux, il avait toujours eu une inestimable valeur.

«Ce n’est pas encore parfait, il y a des jours où c’est difficile. Mais je sais dans quelles situations je ne dois pas me placer afin d’éviter les tentations. Je prends ça une chose à la fois. Plus je vais en parler, plus je vais l’assumer», croit-il.

Et en secret, il espère bien qu’au bout d’un article dans le journal, quelqu’un aura trouvé de l’espoir dans son récit, et ira lui aussi demander de l’aide.

À l’aube de ses 50 ans, Patrice Visage retrouve tranquillement Patrice Lavoie. Et le p’tit cul de la rue Saint-Pierre a toutes les raisons d’être fier de lui.