L’entrave québécoise à mourir

L’aide médicale à mourir se retrouve à l’ordre du jour de nos élus. Ceux d’Ottawa et ceux de Québec ne voient pas les choses d’un même oeil.

Encore une fois, l’aide médicale à mourir se retrouve à l’ordre du jour de nos élus. Et encore une fois, ceux d’Ottawa et ceux de Québec ne voient pas les choses d’un même oeil. Par orgueil mal placé, Québec s’obstine à faire bande à part, avec pour conséquence malheureuse qu’il y aura encore de la confusion à l’horizon et que des malades lésés devront peut-être s’adresser aux tribunaux. Quel gâchis!


Le Canada a légalisé l’aide médicale à mourir en 2016, après y avoir été contraint par un jugement de la Cour suprême rendu l’année précédente. Au départ, la loi fédérale réservait cette aide aux personnes affectées par des problèmes de santé graves et irrémédiables et dont la mort était «raisonnablement prévisible». Québec, qui s’était doté d’une loi parallèle, avait retenu le critère de «fin de vie». Mais en 2019, ce critère de mort imminente a volé en éclats quand les Québécois Nicole Gladu et Jean Truchon, affectés de maladies incurables, mais non mortelles, réussirent à le faire invalider par les tribunaux.

C’est à ce moment que les choses ont commencé à se compliquer dans les dédales de nos Parlements.



Ottawa a pris le dossier à bras-le-corps: il a modifié son Code criminel afin de retirer le critère de mort «raisonnablement prévisible» et de préciser que toutes les maladies, incluant les «handicaps», se qualifient désormais. Ce changement est entré en vigueur il y a exactement deux ans aujourd’hui. Mais Québec n’a pas suivi. Ce qui a généré de la confusion.

Par exemple, depuis mars 2021, un Canadien atteint de paralysie cérébrale peut obtenir l’aide à mourir. Un Québécois? C’est moins certain. Car est-ce une maladie ou un handicap? La ligne est mince entre les deux. Il se trouve même des médecins pour dire que cette distinction n’existe pas.

Le Dr Georges L’Espérance, qui préside le groupe Mourir dans la dignité, est de ceux-là. Il admet avoir administré l’aide à mourir à des patients atteints de conditions chroniques similaires. La Commission sur les soins de fin de vie, qui révise tous les dossiers au Québec, l’a contacté pour obtenir des explications. À 71 ans, le Dr L’Espérance a le luxe de ne plus s’en laisser imposer. Mais un jeune médecin pourrait être intimidé par une telle inquisition.

Le président du Collège des médecins, le Dr Mauril Gaudreault, confirme que la divergence législative a un effet refroidissant. Sur les quelque 22 000 médecins actifs au Québec, 1400 ont posé au moins une fois ce geste médical, mais seulement entre 200 et 300 le posent régulièrement. «C’est clair que le fait que ce ne soit pas harmonisé rend les médecins mal à l’aise», dit-il.



Le projet de loi 11 à l’étude ces jours-ci à Québec cherche à remédier à la situation en ajoutant les «handicaps neuromoteurs» aux conditions ouvrant droit à l’aide à mourir. Le hic, c’est que tous les handicaps ne sont pas d’origine neuromotrice. Québec continuera donc d’écarter des cas de figure autorisés ailleurs au Canada. Mais ce n’est pas tout. La situation risque de se reproduire dans le domaine de la santé mentale.

Lorsqu’il a changé sa loi en 2021, Ottawa a aussi permis que l’aide à mourir soit accordée à des personnes dont l’unique source de souffrance est une maladie mentale. Ottawa avait cependant accordé un sursis de deux ans afin que le milieu médical se prépare à ce changement. En entendant certains intervenants dire que cette préparation n’était pas complétée, Ottawa a récemment prolongé ce délai d’une autre année. Ainsi, au 17 mars 2024, un Canadien atteint, par exemple, de schizophrénie et épuisé d’entendre des voix menaçantes dans sa tête pourra obtenir la mort médicalement assistée. Mais pas un Québécois. L’affaire devra-t-elle se rendre là encore devant les tribunaux?

La Loi québécoise sur les soins de fin de vie prévoit qu’un médecin peut refuser de donner l’aide médicale à mourir s’il a des motifs liés à sa conscience. L’objection de conscience vient toutefois avec des obligations.

Le Québec, qui se vantait d’avoir pris les devants sur cet enjeu, est maintenant le retardataire.

Sur la question des directives anticipées, c’est le contraire qui se produit: Québec va trop vite en affaires. Son projet de loi 11 entend instaurer un régime permettant aux personnes recevant un diagnostic de maladie dégénérative (l’Alzheimer, le Parkinson) de demander qu’on leur administre la mort lorsque certaines conditions seront atteintes (par exemple, ne plus reconnaître ses proches depuis six mois).

Que l’on soit d’accord ou pas avec un tel régime, le fait est qu’Ottawa ne l’autorise pas. Aucun médecin ne s’aventurera à injecter la mort à une personne qui, au moment de l’acte, n’a plus la lucidité pour consentir si le Code criminel ne le permet pas explicitement. Comme le rappelle avec justesse le Dr L’Espérance, «c’est 14 ans de prison quand même!». Alors pourquoi créer de faux espoirs auprès de la population?

Le Québec, qui est si prompt à réclamer d’Ottawa le respect de ses champs de compétences, ne semble pas aussi zélé lorsqu’il s’agit de respecter la juridiction fédérale en matière de droit pénal.



À Ottawa, un comité de députés et de sénateurs a certes recommandé au gouvernement de permettre les directives anticipées. Mais pour l’instant, le ministre de la Justice n’a pas l’intention de déposer un nouveau projet de loi pour aborder cette question. Sachant en outre que les conservateurs de Pierre Poilievre s’opposent à un tel élargissement du régime d’aide médicale à mourir -il faut y voir l’influence des éléments pro-vie de son caucus-, il est peu probable que les libéraux s’aventurent de si tôt sur cette voie.

Bref, Québec joue les avant-gardistes là où il ne peut pas agir, et retarde le groupe en interdisant sur son territoire ce qui est déjà autorisé ailleurs au pays. Tout ça au nom d’un désir orgueilleux de ne pas se laisser dicter la voie à suivre par Ottawa. Les seuls qui feront les frais de cette non-coordination sont les médecins, qui hésiteront à pratiquer, et les patients, qui continueront de souffrir. Pour une fois, il faudrait être capable d’admettre que cette façon de Québec de défendre jalousement son droit de procéder comme il l’entend ne sert pas l’intérêt public.