Deuil régional en vue dans les milieux de soins

Des infirmières de la Mauricie et du Centre-du-Québec entendent se présenter vêtues de noir, chaque jeudi jusqu'à nouvel ordre, pour accomplir leur quart de travail.

La mobilisation des infirmières de la Mauricie et du Centre-du-Québec ne s’essouffle pas. Tandis que les mesures visant à imposer des fins de semaine de travail obligatoires dans les secteurs d’activité «24/7» continuent d’être décriées, certaines comptent maintenant se présenter vêtues de noir dans les milieux de soin, chaque jeudi, jusqu’à nouvel ordre. «Nous sommes en deuil de nos conditions de travail et de la qualité des soins au CIUSSS MCQ», scande-t-on.


Il semblerait qu’après avoir été déboutées au Tribunal administratif du travail, qui a coupé court au mouvement pressenti de démissions en bloc, les syndiquées n’entendent pas baisser les bras. Les scénarios de fusion de centres de services ont été présentés au syndicat et à certaines employées, mercredi après-midi. Or, les premiers échos laissent entrevoir que l’incertitude et le mécontentement demeurent entiers dans les rangs.

À Drummondville, où les horaires de fin de semaine ont été revus depuis trois semaines, les témoignages recueillis par Le Nouvelliste donnent à constater que le personnel montre des signes de ras-le-bol. Le temps supplémentaire obligatoire, la pandémie et l’intensité du travail semblent avoir fait leur œuvre.



«L’impact de faire une fin de semaine de plus paraît déjà. Il manque de gens la semaine pour faire le travail et ils veulent encore couper. On donne notre 110% pour maintenir nos services le plus possible… Il y a pénurie, mais cette mauvaise idée engendre d’autres départs dont on pourrait se passer», appréhende une infirmière qui s’est confiée à nous.

Une autre encore raconte être devenue famille d’accueil suite à un appel à tous de la DPJ, qui circulait dans un document interne du CIUSSS. «Soloparentale», la professionnelle s’inquiète maintenant de l’impact de l’intensification des quarts de travail la fin de semaine sur ses protégés. «Dès que les mesures seront en place dans mon département, cela va certainement affecter les cocos», murmure celle qui craint le recours répété à une gardienne et d’attiser davantage le sentiment d’insécurité vécu par ses jeunes.

«Les modifications de structures vont à vitesse grand V. Et ça fait peur. Je travaille comme infirmière depuis 1999. J’en ai vu… Mais là ç'a juste pas d’allure! Après 24 ans comme infirmière, je n’irai pas sur d’autres départements», prévient une autre, du côté de Trois-Rivières cette fois, où l’implantation des mesures est imminente.

Les témoignages de détresse, de découragement et de frustration s’accumulent ainsi. Autant de sentiments qu’on entend symboliser et exprimer de manière sombre et silencieuse. Exit le rose, le bleu, le vert et les motifs parfois fleuris, du moins pour les jeudis, s’il faut en croire le mot d’ordre qui circule.



Tout ça, en attendant une manifestation, dimanche, dans les rues de Trois-Rivières.

Attendons de voir, implore le CIUSSS

Au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, on dit comprendre que les annonces ont pu causer de l’inquiétude. «On a annoncé toute l’orientation, avec les diverses étapes, dès le départ… Est-ce qu’on aurait dû les annoncer plus tard, puis les travailler peut-être plus en coulisses, avec le personnel, puis après ça l’annoncer publiquement? Peut-être…», commente Guillaume Cliche, agent d’information pour l’établissement. Il souligne cependant que la stratégie visait à discuter des avenues possibles avec le personnel.

M. Cliche réfute par ailleurs les récriminations du syndicat et de différents intervenants, dont certains médecins, voulant que les mesures soient appliquées unilatéralement. Il indique que les professionnelles de Drummondville sont rencontrées à l’heure même, et que les scénarios pour les autres secteurs du territoire n’iront qu’à l’automne. Pour l’instant, hormis Drummondville, seuls les effectifs œuvrant dans les milieux de soins «24/7» font l’objet de mesures d’ajustement, insiste-t-il.

«Peut-être que quand les gens vont voir les scénarios, ils vont dire ‘’Ah! C’est correct… Oui, il y a un impact, mais peut-être pas à la hauteur de ce je me le suis fait raconter’'», anticipe M. Cliche.

Boulet préoccupé, LeBel discrète, l’opposition outrée

Appelé à commenter la situation, le ministre responsable de la Mauricie et député de Trois-Rivières, Jean Boulet, ne cache pas sa préoccupation face à tout ce qu’il entend. Il défend toutefois l’établissement et invite les parties à maintenir le dialogue ouvert.

Se disant sensible à l’anxiété vécue par les infirmières et par le sentiment d’insécurité qui peut être ressenti par la population, le ministre s’en remet néanmoins à l’établissement pour la recherche de solutions aux enjeux de personnel.



Il faut réassurer les population, plaide le député de Trois-Rivières et ministre responsable de la Mauricie, Jean Boulet.

«Il faut réassurer la population, il y a un déficit de main-d’œuvre important, c’est pour cette raison-là que le CIUSSS trouve des solutions pour améliorer l’organisation du travail».

Le temps supplémentaire obligatoire est une tare décriée de toute part, note Jean Boulet. Aussi importe-t-il de trouver des avenues visant à rétablir une certaine équité parmi les effectifs, maintient-il. «[Le CIUSSS] fait ça aussi pour des raisons de solidarité, ils font ça pour le bien des travailleurs et des travailleuses», plaide le député de Trois-Rivières.

M. Boulet soutient que sa porte est toujours ouverte – «je veux être le plus accessible possible». Il dit avoir discuté avec la direction du CIUSSS MCQ et indique qu’une rencontre doit avoir lieu prochainement avez la présidente régionale des syndiquées, Patricia Mailhot. «Il faut continuer à dialoguer», martèle le député trifluvien.

Quant à savoir si le syndicat aurait dû être convié à la table plus en amont des décisions, le ministre réserve ses commentaires, invoquant les négociations qui agitent la scène nationale. Une discrétion qui règne également au bureau de la députée de Champlain, Sonia LeBel.

«En raison de son rôle comme présidente du Conseil du trésor et des négociations en cours avec le secteur public, Mme LeBel ne commentera pas davantage la situation», a-t-on répondu à notre demande d’entrevue.

La députée de Champlain et présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, refuse de commenter le bras-de-fer qui oppose le CIUSSS MCQ à ses infirmières.

Du côté de l’opposition officielle, on ne se fait cependant pas prier pour faire valoir son point de vue. Le porte-parole du Parti libéral en matière de Santé, André Fortin, taxe le gouvernement d’apathie face à l’impasse qui persiste.

«Le gouvernement de la CAQ ne semble pas entendre le message des infirmières, des médecins, des différentes cliniques de la région, des patients même, qui pensent perdre des services», déplore M. Fortin.

Le libéral souligne que toutes les régions du Québec font face aux mêmes enjeux de main-d’œuvre, mais que seul le CIUSSS MCQ a jugé opportun de remédier à la situation en mettant en place des mesures aussi controversées.



«Depuis le début de cette histoire-là, M. Dubé [ministre de la Santé], Mme LeBel, M. Boulet, les représentants de la région semblent beaucoup plus intéressés à défendre la position du CIUSSS de la Mauricie, à forcer des infirmières à travailler une fin de semaine sur deux, une fin de semaine sur trois, que d’entendre leurs revendications, leur réalité, leur détresse», tonne André Fortin.

Le libéral dit espérer que ce qui prévaut à l’heure actuelle n’est pas un prélude à un plan de match que le gouvernement entend déployer à l’échelle nationale. «On ne peut pas reproduire ça dans d’autres régions, parce que ça va mener à des départs», prévient-il. Chaque professionnel qui décroche du réseau se traduit par une perte nette de services à la population, insiste M. Fortin.

Le porte-parole libéral en matière de santé, André Fortin, espère que les mesures visant à pallier les enjeux de main-d'oeuvre dans le secteur infirmier, en Mauricie et Centre-du-Québec, ne sont pas un prélude à un plan national de plus grande envergure.