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Baisse d’impôts: en a-t-on les moyens?

Le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, présentera le budget 2023-2024 le 21 mars prochain.

CHRONIQUE / Dans moins d’une semaine, le ministre des Finances, Éric Girard, devrait confirmer les baisses d’impôts promises par son gouvernement. Devant la prévisible inefficacité de cette mesure et le manque de financement des services publics, on peut se demander à quoi jouent les caquistes.


Habituellement, il y a presque seulement les organismes sociaux et autres défenseurs des services publics qui critiquent les baisses d’impôts. Tous les autres, économistes, entreprises, analystes, appuient généralement l’idée de diminuer la charge fiscale.

La discussion est différente, cette fois-ci. Plusieurs économistes critiquent l’idée. Certes, des regroupements d’affaires appuient la proposition, mais même le Conseil du patronat du Québec trouve que c’est une mauvaise idée. Du moins, pas dans le contexte actuel ni dans la façon proposée.



Faut-il le rappeler, le gouvernement ne pigera pas dans des surplus pour baisser les impôts, mais plutôt dans les versements à la dette.

Le problème n’est pas tant de diminuer les versements au Fonds des générations que pourquoi on le fait. Si c’était pour financer d’autres projets qui vont, à leur façon, contribuer à l’équité intergénérationnelle, comme la lutte aux changements climatiques ou l’éducation, ça serait cohérent. Mais on n’est pas là du tout en ce moment.

Petits gains

Pour une bonne partie de la population, l’idée de baisser les impôts est plus psychologique que comptable.

On martèle depuis des années que le Québec est l’État le plus taxé de l’Amérique du Nord, sans oublier que tout le monde a toujours l’impression d’en payer trop. Tout le monde a envie d’en avoir plus dans ses poches.



Sauf que les gens en auront-ils vraiment plus dans leurs poches avec cette baisse d’impôts? Selon une étude de l’IRIS publiée mercredi, pas tant que ça.

Pour les personnes qui gagnent environ 30 000$ par année, la baisse d’impôts de 1% promise représenterait un gain de 128$ à la fin de l’année. Un gros 5$ de plus par paie.

Est-ce que ça va changer quelque chose devant les augmentations de loyer? Du panier d’épicerie? Des transports?

Pour les personnes qui gagnent 50 000$, ça signifierait 328$ – environ 13$ par paie. Toujours selon l’IRIS, pour celles et ceux qui gagnent 100 000$, ce serait 814$ d’impôts de moins par année, ou 31$ par paie.

Individuellement, soyons honnêtes, ça ne changera pas grand-chose. Je suis persuadé que bien des gens ne verront même pas la différence sur leur talon de paie. Collectivement, toutefois, c’est se priver de près de 2 milliards $.

En ce moment, le gouvernement cherche des façons de mieux financer le transport en commun. Le gouvernement peine à offrir des conditions de travail assez intéressantes pour le personnel en santé et en éducation. L’État manque de moyens pour offrir réellement une place en garderie à tout le monde. Plusieurs écoles ont besoin d’investissements massifs pour qu’elles ne tombent pas. Les organismes communautaires sont sous-financés. Les sommes investies pour les changements climatiques sont dérisoires devant l’ampleur du défi. On manque de juges. De logement sociaux. Etc.



A-t-on les moyens de se priver de 2 milliards de dollars? Et encore, ça, c’est juste pour la première année. C’est un manque à gagner qui va s’accumuler chaque année.

Fardeau fiscal

Oui mais, diront certaines personnes, le Québec paie trop d’impôts par rapport à l’Ontario ou aux États-Unis.

C’est vrai, on en paie plus au Québec. Mais dire ça sans mentionner ce qui vient en retour ne dresse pas un portrait complet. Nous ne sommes pas dans une dictature, cet argent-là ne va pas dans un compte bancaire caché du premier ministre. Les impôts paient des services publics.

Selon des données de l’IRIS, encore une fois, en moyenne, les Québécois et Québécoises dépensent cinq fois moins pour les services de garde qu’en Ontario, soit 1807$ au lieu de 9486$. Les frais de scolarité sont deux fois moins élevés au Québec que de l’autre côté de la rivière des Outaouais, 4409$ contre 9001$.

Je rappelle de mon côté la réalité de nos voisins du sud. Certains états américains ne paient pas beaucoup d’impôt, mais là-bas, ça coute plus cher étudier que s’acheter une voiture neuve. Les études représentent la deuxième plus importante dette de la population, juste après les hypothèques. On parle d’une dette moyenne de 60 000$, soit environ 82 000 en dollars canadiens.

Ce n’est pas mieux en santé. On chiale tellement souvent sur nos listes d’attente – avec raison – qu’on oublie à quel point la gratuité est précieuse. Voici quelques exemples de factures en santé aux États-Unis : 40 000$ pour des points de suture, 25 000$ pour un examen dans un scanneur, 369$ pour un pansement sur le doigt d’un enfant. Accoucher, aux États-Unis, peut facilement couter entre 20 000$ et 50 000$.

Un couple de Sherbrooke, il y a une dizaine d’années, avait reçu une facture de 72 000$ pour un accouchement aux États-Unis.

Et là, je n’évoque même pas les garderies. Le prix des médicaments. L’électricité. Les assurances automobile. Oui, on paie plus d’impôts, mais on reçoit aussi beaucoup plus de services.



En entrevue à Radio-Canada, le chercheur de l’IRIS, Guillaume Hébert, soulignait que pour une mère monoparentale ou une famille avec deux enfants, quand on tient compte des prestations et des services publics reçus, le Québec se démarque plutôt comme un des endroits les plus avantageux.

Ceci dit, ça ne veut dire pas dire que l’argent public est nécessairement bien géré et qu’on ne peut pas améliorer la fiscalité québécoise.

On pourrait rejouer dans les taux d’imposition. Les diminuer pour une catégorie de revenus et les augmenter sur d’autres catégories, comme les grandes fortunes, par exemple. Ou augmenter l’écofiscalité. Ou ajouter un ou des paliers d’imposition.

Plusieurs scénarios permettraient de diminuer les contributions des personnes de la classe moyenne ou à faibles revenus sans pour autant amputer les finances publiques de 2 G$.

Mais malgré les critiques actuelles, le gouvernement ne semble pas vouloir changer d’idée. Probablement parce que cette baisse d’impôts est beaucoup plus idéologique que logique.