«Cet homme, il m’a littéralement sauvé la vie», résume Judith, au bout du fil.
À 36 ans, Judith était atteinte de la polykystique dominante rénale, ce qui la plaçait en état d’insuffisance rénale terminale. En arrêt de travail depuis plus de deux ans, ses reins ne fonctionnaient plus qu’à 12% de leur capacité. Elle avait tout mis sur pause, y compris son désir le plus cher, celui de fonder une famille, en attendant une greffe qui lui sauverait la vie. La Trifluvienne a choisi, l’an dernier, de prendre le taureau par les cornes et de lancer un appel dans l’univers, sur les réseaux sociaux, afin de trouver un donneur vivant qui accepterait de poser ce geste pour elle.
L’appel a été entendu à Bury, en Estrie, par Frédéric Verville, un producteur maraîcher, qui a visiblement été touché par l’histoire de Judith, et qui a eu envie de poser ce geste, même s’il était destiné à une parfaite inconnue. Une réponse anonyme pour Judith qui est entrée au département de néphrologie de l’hôpital qui suivait son dossier, pour finalement se terminer en une rencontre touchante entre les deux êtres désormais liés par ce don peu ordinaire.
Cette histoire – et tout le processus qui s’en est suivi – a été entièrement documentée par une équipe de Radio-Canada Mauricie et Centre-du-Québec, qui a eu le privilège d’assister à la naissance de cette étincelle d’espoir pour Judith, mais également à tout le processus médical qui a entouré ce don d’organe vivant. La journaliste Julie Grenon et le réalisateur Mathieu Carli ont eu un accès privilégié, même jusque dans la salle d’opération de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, où la greffe a été réalisée en décembre dernier.
«J’avais reçu Judith en entrevue dans le cadre de l’émission de radio que j’animais, et elle nous avait annoncé qu’elle avait trouvé un donneur. Une fois l’émission terminée, je n’ai pas hésité. Je lui ai demandé si elle croyait que nous pourrions documenter le tout. L’équipe de direction de la station a tout de suite accepté d’embarquer dans le projet, même si nous savions qu’il y avait des risques et que tout pouvait arrêter à tout moment», se souvient la journaliste Julie Grenon.
Car du début à la fin, les choses étaient claires pour Judith: Frédéric avait le droit de changer d’idée, même jusqu’au moment où il s’apprêtait à se coucher sur la table d’opération. «C’est l’une des premières choses dont nous avons discuté ensemble. Je voulais qu’il sache qu’il pouvait reculer à tout moment, que je ne serais pas fâchée, que j’allais comprendre. Mais il a été jusqu’au bout», explique Judith, encore émue de ce geste posé par cet homme.
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Pour les besoins du tournage, l’équipe de Trois-Rivières a non seulement pu rencontrer les deux protagonistes quelques semaines avant afin de connaître leurs états d’âme, leurs motivations, mais également pendant la chirurgie et après, où Judith et Frédéric se sont de nouveau revus en février dernier pour tracer l’épilogue de cette grande aventure.
«S’il y avait une chose claire pour nous, c’est que nous ne voulions pas partager à l’un ce que l’autre nous avait dit, et vice versa. Il fallait que ce soit le plus pur possible. Notre présence dans ce processus avait pour but de raconter cette histoire pendant qu’elle arrive, mais à aucun moment on ne souhaitait faire en sorte que cette présence puisse faire basculer les choses», explique Julie Grenon, qui a cherché tout au long du projet à faire preuve de la plus grande discrétion possible et d’un respect marqué pour ce qui s’apprêtait à être sauvé: une vie humaine.
Le projet a pris un autre visage lorsque l’équipe a eu le feu vert de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont pour pouvoir assister à cette greffe, malgré toutes les contraintes auxquelles il fallait se plier. Mathieu Carli de même que le caméraman Yoann Dénécé ont pu être présents tout au long de la chirurgie, et également à la salle de réveil. Des moments d’une très grande intimité auxquels Judith était prête à donner accès.
«Depuis le début de ma maladie, je travaille à faire de la sensibilisation au don d’organes. Ce documentaire, c’était une occasion de rendre plus accessible cette cause à travers une histoire touchante et incroyable. Alors si on le faisait, il fallait le faire jusqu’au bout», considère-t-elle.
Un accès à cette intimité qui a aussi demandé beaucoup d’efforts de la part de l’équipe de tournage, pour s’assurer d’obtenir le maximum d’images sans pour autant déranger le délicat protocole opératoire. «Nous avions le devoir d’être à la hauteur de la confiance qu’on nous donnait. Au fur et à mesure, c’est devenu davantage un engagement personnel plus qu’une affectation. On sentait qu’on participait à quelque chose de plus grand que nous», explique le réalisateur Mathieu Carli.
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Julie Grenon l’admet, elle aurait eu du matériel pour faire beaucoup plus que le documentaire qu’elle présente jeudi soir. D’ailleurs, en complément, un reportage sera aussi présenté le lendemain, abordant des enjeux importants liés au don d’organes et à la recherche d’un donneur sur les réseaux sociaux. Le moyen, bien qu’il ait permis de trouver le donneur de Judith, présente de nombreux enjeux éthiques et sociaux sur lesquels la journaliste a aussi voulu se pencher.
Pour Mathieu Carli, se donner l’opportunité de réaliser ce genre de documentaire en région est essentiel. «Ce n’est pas juste une question de moyens de production, mais aussi de point de vue, d’une sensibilité régionale qui transparaît dans la production. Les moyens ne sont pas les mêmes qu’à Montréal, mais parfois le processus est moins lourd aussi. Nous n’avons pas à être gênés de la qualité de ce qui se fait en dehors de Montréal», considère celui qui a travaillé 25 ans comme réalisateur dans la métropole, dont au Téléjournal 22h avec Céline Galipeau, avant de venir relever un nouveau défi à la station trifluvienne de la société d’État.
Aujourd’hui, près de trois mois après l’opération, Judith se porte de mieux en mieux. Toujours en convalescence, elle a espoir de pouvoir retourner au travail d’ici l’été comme conseillère en amélioration continue au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec. À l’aube de ses 37 ans, elle peut déjà rêver à fonder une famille, elle qui a fait congeler des ovules avant sa greffe afin de les envoyer aux États-Unis pour les faire analyser et s’assurer qu’ils ne soient pas porteurs de sa maladie, qui est héréditaire. Il lui faudra attendre au moins un an après la greffe pour espérer pouvoir devenir maman. Mais au moins, maintenant ce rêve est accessible pour elle.
La diffusion de ce reportage jeudi soir devient pour elle une nouvelle étape dans cette bataille qu’elle continue de mener pour sensibiliser au don d’organes, mais surtout au don d’organes vivants. Déjà, depuis la médiatisation de son histoire, plusieurs personnes sont entrées en contact avec elle et elle s’efforce de les accompagner du mieux qu’elle peut pour leur permettre elles aussi de vivre de ce bel espoir.
«Pour ceux qui sont en attente d’une greffe et qui pourrait recevoir un organe vivant, comme le rein ou le foie, c’est très long d’attendre. Mais mon histoire démontre que l’on n’est pas obligé d’attendre et de dépérir. Demander, c’est peut-être gênant, mais ce n’est pas mal, on ne perd rien à l’essayer. Si mon histoire peut aider d’autres personnes qui vivent des situations semblables, ça aura au moins donné un sens à ce que j’ai vécu», clame-t-elle.
Le documentaire «Un rein pour Judith, un don inespéré» sera diffusé ce jeudi 9 mars sur les ondes de Radio-Canada Mauricie et Centre-du-Québec ainsi quà Radio-Canada Estrie à 18h30. Il y aura également diffusion nationale le 7 avril prochain à 13h sur RDI et à 22h30 sur Radio-Canada. Le documentaire sera également disponible sur Tou.TV.