Au moment où j’ai consulté le compte, il restait 6 vidéos en ligne. On y voit des gars qui se battent, des filles qui se battent. Il y a des taloches, des coups de poing, des bousculades, du tirage de cheveux. Ici, le soir, sur le bord d’une clôture. Là, dans une rue résidentielle, sur un banc de neige. Et encore là, dans un corridor d’école, au milieu des casiers.
Des fois, ça a l’air sérieux. D’autre fois, ça ressemble plus à un jeu viril. Comme toujours avec les images qu’on retrouve sur les médias sociaux, il faut être prudent avant de porter un jugement définitif. On n’a pas le contexte des altercations. Seulement des images, des cris de douleur, des insultes…
C’est laid, une bagarre. La bagarre en elle-même, mais aussi les cris d’encouragement qu’on entend derrière. Les spectateurs qui en redemandent: enwaye, enwaye, sautes-y dessus! On se croirait revenu à l’époque des cirques de la Rome antique. Tout juste si on ne verra pas le vainqueur lever le bras au ciel en criant à la foule: Are you not entertained?, comme Maximus dans le film Gladiateur. Il y a quelque chose d’instinctif, de tribal dans cette fascination pour la violence. Quand survient une bagarre au hockey, en voyez-vous beaucoup qui quittent leur siège pour aller se chercher une bière?
Oui, les bagarres ont toujours fait partie du paysage scolaire. Le service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) a d’ailleurs révélé que cette situation est loin d’être unique à l’école Hormisdas-Gamelin. Mais il me semble que les bagarres n’ont pas toutes la même gravité. Quand elles procèdent de la violence gratuite, de l’intimidation, du taxage, alors la bagarre est inacceptable à tous les coups. L’école ne peut tolérer cela. La police doit être avisée, des sanctions doivent être prises.
Mais parfois, une bagarre, ce sont des esprits dopés aux hormones de la jeunesse qui s’échauffent un peu trop. C’est un défi lancé entre ados qui dégénèrent. C’est une chicane larvée qui, faute d’avoir trouvée un terrain neutre et pacifique pour se régler, se consomme un soir, au coin d’une rue, à grands renforts de taloches. Je ne dis pas pour autant que c’est une manière acceptable ou appropriée de régler des conflits. Il y a risque de blessures. Et on sait bien, depuis la Guerre des tuques, que la guerre, la guerre n’est pas une raison pour se faire mal. Mais dans ce type de bagarres, la solution réside dans le dialogue, l’éducation, l’apprentissage d’une méthode de règlement pacifique des conflits.
Ce qui me trouble le plus en fait dans les vidéos diffusées sur Instagram, c’est leur diffusion à large échelle. Le fait que ces bagarres qui se tramaient dans un coin reculé de la cour d’école se retrouvent désormais diffusées at large sur les médias sociaux. Le tout avec la complaisance d’Instagram qui refuse de retirer les images sous prétexte qu’elles ne contreviennent pas à sa politique. En même temps, est-ce que fermer le compte problématique règlerait le problème? J’en doute. Les médias sociaux sont comme ce monstre mythologique à qui on vient de couper la tête. Celle-ci n’a pas encore touché le sol qu’il lui en repousse deux autres…
N’empêche qu’il est peut-être là, le risque lié à notre époque. Dans un monde virtuel où tout est jaugé en fonction du nombre de «likes», la diffusion de ces images violentes ne risque-t-elle pas de glorifier les batailles de cour d’école?
De faire de leurs protagonistes des héros instantanés? Je pose la question sans avoir la réponse.