Le monde vu d’ici: Pérou, une démocratie sous surveillance?

L’ex-président péruvien, Pedro Castillo, avait promis de s’attaquer à la corruption et de mieux réglementer l’activité des multinationales dans son pays.

Comité de solidarité/Trois-Rivières - Les médias en ont abondamment parlé: le président de gauche démocratiquement élu en juillet 2021, Pedra Castillo, a été démis de ses fonctions, puis arrêté en décembre 2022 pour une tentative de coup d’État. Il a aussitôt été remplacé par la vice-présidente Dina Boluarte, jugée plus conciliante et moins radicale par l’élite économique du pays. Elle sera d’ailleurs expulsée en janvier 2022 du parti politique Pérou Libre dont l’ex-président est membre.


La mise au rancart de l’ex-président n’est pas passée comme une lettre à la poste. Les manifestations contre ce que plusieurs appellent une «transition démocratique et institutionnelle» ont été durement réprimées par les forces de l’ordre qui ont fait jusqu’ici au moins 60 morts et des centaines de blessés. Amnistie internationale a même dénoncé l’emploi d’armes meurtrières ainsi que l’omniprésence d’un racisme systémique contre les populations autochtones du pays.

Soutenu au cours de sa campagne par les franges de la population les plus défavorisées (paysans, autochtones), Castillo a mis l’accent sur le renforcement des secteurs de la santé, de l’éducation et de l’agriculture et il s’engageait à ce que l’État péruvien s’implique davantage dans la gestion des ressources naturelles du pays. Sans pour autant décourager les investissements étrangers dans le secteur minier, bien au contraire, Castillo promettait de serrer la vis aux multinationales étrangères en matière de réglementation environnementale. Par contre, avec un parlement dominé par la droite, l’objectif était ambitieux et le tout s’est révélé un échec.



Le bilan de la présence des multinationales opérant dans le secteur minier du Pérou ne brille pas par ses aspects positifs, bien au contraire. Elles profitent de la faiblesse de la réglementation minière et environnementale (trop permissive) ainsi que de la corruption à laquelle Castillo avait promis de s’attaquer.

Qui plus est, les entreprises canadiennes contribuent fortement à cet état de situation et les exemples ne manquent pas. Il faut d’abord noter que le Pérou est important pour les minières canadiennes. Le Canada est le 3e investisseur en importance dans le secteur minier national. Ainsi, on estime qu’en 2021, il y avait 71 compagnies minières canadiennes actives au Pérou et elles en ont retiré des revenus de 10 milliards de dollars.

Un certain nombre d’entre elles ont eu maille à partir avec des communautés locales en lien avec le non-respect des droits ancestraux des peuples autochtones, de la dégradation des milieux naturels, et de l’absence chronique de retombées économiques dans l’ensemble du pays. Et c’est sans compter l’impact des déchets toxiques sur la santé des travailleurs et de la population voisine des sites miniers.

Ces cas sont particulièrement bien documentés par l’organisme Miningwatch et la situation est assez généralisée pour faire l’objet d’une lettre envoyée en juin 2002 par Mgr Jorge Izaguirre Rafae, évêque de Chuquibamba au Pérou, aux organisateurs du Congrès de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (PDAC). Dans cette missive, y est dénoncée, entre autres, l’absence de consultation des populations locales par les entreprises minières.



Et comment réagissent les autorités canadiennes? Le Canada a été l’un des premiers pays à apporter son soutien à la nouvelle présidente désignée après le renvoi de Pedro Castillo. De plus, l’ambassadeur canadien au Pérou, Louis Marcotte, a été particulièrement actif en multipliant les rencontres avec les hautes autorités péruviennes peu après l’entrée en fonction de la nouvelle présidente, et ce, malgré le fait que des ministres péruviens aient démissionné et que le gouvernement péruvien demeure impuissant devant la crise sociale en vigueur.

Plusieurs observateurs soulèvent l’hypothèse selon laquelle les rencontres de M. Marcotte, en plus d’être le signe probant d’une reconnaissance par le Canada de la présidence péruvienne, avaient aussi pour but de s’assurer de la protection des intérêts canadiens dans le secteur minier du Pérou. D’ailleurs, le représentant canadien ne s’est pas caché pour affirmer le 18 janvier 2023 sur son compte Twitter que le Canada parrainait la délégation péruvienne présente au prochain congrès de PDAC du 5 au 8 mars 2023 à Toronto.

Au Pérou, comme ailleurs, là où les minières canadiennes ont souvent le beau jeu, on peut se demander à quoi joue le gouvernement canadien.

Pour en savoir plus: www.cs3r.org.