Pour en connaître davantage sur la tradition culinaire des premiers peuples, Le Nouvelliste s’est entretenu avec deux artisans provenant de la communauté d’Odanak qui ont décidé de mettre en valeur le patrimoine alimentaire de la nation abénakise. Il s’agit de Jacques T. Watso de l’entreprise Sagamité Watso et de la chef Lysanne O’Bomsawin du Traiteur Québénakis.
La sagamité, plus qu’une soupe
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/TYKCA3IXC5D6ZGGUCVWE4JEIOI.jpg)
Comme son nom l’indique, l’entreprise de Jacques T. Watso se spécialise dans la concoction de sagamité grâce à des ingrédients déshydratés auxquels il suffit d’ajouter de l’eau et un peu de viande pour avoir un repas complet. Rencontré dans son atelier d’Odanak, celui-ci en dit plus sur l’importance de ce mets traditionnel.
«C’est une soupe du patrimoine culinaire des Abénakis d’Odanak et des Premières Nations en général», explique celui qui en est à son septième mandat comme membre du conseil de bande de la communauté. «Tout le monde a sa version d’une sagamité et celle-là, c’est la meilleure version qu’il y a sur le marché», ajoute-t-il, pince-sans-rire.
«C’était une soupe-repas prisée parce que c’est facile à faire, c’est riche et consistant. Tu peux y rajouter du gibier que tu prends sur le territoire, comme du poisson, de la truite ou de la viande. Dans ma famille, anciennement, ils mettaient du rat d’eau et du lièvre parce qu’il y avait beaucoup de petit gibier comme ça. Bref, on rajoutait ce qu’on avait, côté protéine, et avec les haricots et le maïs, ça donnait quelque chose de copieux.»
C’est durant la pandémie de COVID-19 que l’homme a décidé d’entreprendre les démarches pour se lancer dans l’aventure Sagamité Watso. «J’étais pris chez nous et j’ai recommencé à prendre le temps de cuisiner adéquatement. Puis, j’ai vu qu’il y avait des gens qui faisaient des soupes dans des pots Mason en faisant mon épicerie», signale-t-il.
C’est ainsi qu’est née l’idée d’offrir une telle version du plat traditionnel.
«La sagamité, on l’a toujours mise de l’avant», affirme pour sa part la chef Lysanne O’Bomsawin. «Moi, j’en fais seulement dans le temps des festivités. Parfois, ce sont les aînés de la communauté qui décident de l’offrir aussi. C’est un des mets typiques qu’on peut retrouver partout sur le territoire.»
«Nous, on a notre recette, mais les autres communautés ont leur recette aussi. Chacun a sa sagamité, au même titre que tu peux avoir du pâté chinois et qu’il y ait des petites différences d’une place à l’autre», illustre-t-elle.
Un patrimoine culturel
Même si historiquement, la sagamité constituait probablement l’un des mets les plus populaires chez les Abénakis, ceux-ci ne s’alimentaient pas seulement avec la soupe-repas. Que pouvait-on voir d’autre dans les assiettes des membres de la communauté?
«On parle d’esturgeon fumé, de barbue, de barbotte, c’est vraiment les mets plus typiques qu’on retrouve dans la région. C’est sûr que tous les poissons qui se retrouvent dans le lac Saint-Pierre, c’était notre source d’alimentation première. Tous les poissons fumés qu’on retrouve à Odanak, c’est quelque chose d’assez particulier à la région du Bas Saint-François», indique Lysanne O’Bomsawin.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/S2CKRX42C5BORCVDGVFHWB3DKY.jpeg)
«Il y a plus de choses qu’on pense qui sont d’origine autochtone. Si on parle du maïs soufflé, c’en est. Les pâtes de fruits aussi, sans oublier les graines de tournesol, les graines de citrouille. Il y a beaucoup de produits qu’on a dans nos épiceries qui faisaient partie de ce que les autochtones avaient sous la main», ajoute-t-elle.
Celle-ci est également directrice de l’organisme Familles d’autrefois qui s’est donné pour mission de créer un pont entre la culture canadienne-française et celle des premiers peuples, par le biais d’animations mêlant danse, chants, jeux et surtout, nourriture.
Elle est la fille de la réputée anthropologue Nicole O’Bomsawin et a commencé sa carrière dans les cuisines au début des années 2000.
Aujourd’hui, elle a regroupé son service de traiteur, ouvert depuis 2010, à celui de l’organisme à but non lucratif. Son objectif est de conjuguer le bonheur de partager un bon repas avec celui d’apprendre à connaître différentes cultures et leur histoire. «Le vase communiquant que j’ai trouvé, ç'a été de mettre le tout à la table pour parler de nos différences et de nos similitudes», révèle-t-elle.
Un autre élément associé à la tradition culinaire autochtone est la banique, souvent désignée comme le pain des Premières Nations. Pourtant, ce n’est pas exactement la réalité, selon la chef. «Je vais déboulonner le mythe de ce pain qu’on dit autochtone, parce qu’il ne l’est pas vraiment. Oui, il fait partie des traditions d’aujourd’hui, mais initialement, ça s’est fait avec les échanges avec les Européens. On n’avait pas de farine ici, à part la farine de maïs. Du pain de maïs, il s’en faisait, mais la banique n’est pas un pain de maïs.»
Le terroir, une question de territoire
Évidemment, la notion de terroir culinaire est difficilement dissociable du lieu géographique qui s’y rattache. Il s’agit, en quelque sorte, d’un pan de culture bâti à partir de l’occupation du territoire. Les traditions alimentaires se créent à partir des ressources disponibles à proximité et des réalités climatiques en place.
Ainsi, les peuples indigènes de la vallée du Saint-Laurent pratiquaient l’agriculture parce que les riches basses-terres près du fleuve le permettaient. Ceux-ci ont développé une méthode de culture mixte leur donnant l’occasion de récolter plusieurs types de légumes à la fois. «On parle évidemment des trois sœurs – courge, maïs et haricot – qui se retrouvent à l’intérieur de la sagamité», relate Mme O’Bomsawin.
«Ce ne sont pas tous les autochtones qui en faisaient l’agriculture, ce sont seulement ceux qui étaient plus au sud, dans la vallée du Saint-Laurent. Au Québec, on parle des Iroquoiens du Saint-Laurent, des Hurons-Wendat, des Abénakis, des Malécites ou des Micmacs. Les nations autochtones de partout en Amérique la pratiquaient, autant en Amérique du Sud qu’en Amérique centrale ou aux États-Unis.»
Logiquement, comme les Premières Nations et la communauté canadienne-française, avec la colonisation, partageaient le même territoire, c’est certain que les rapprochements se sont faits naturellement. «C’est ça qui est un peu fascinant dans tout ça, le terroir québécois et la cuisine autochtone ont fini par se mêler au fil du temps», expose la chef.
«La soupe aux pois typique des Québécois de jadis, elle était faite avec du maïs lessivé et c’est aussi l’un des ingrédients principaux que l’on retrouve dans la sagamité. Voyez-vous les liens qu’on est capable d’avoir? Même si on a évolué en parallèle, ça démontre qu’on est quand même assez proches, plus qu’on le pense.»
«On parle tout le temps de la colonisation comme étant quelque chose de très péjoratif et négatif, mais il y a ce côté-là qui apporte un certain rapprochement entre les peuples, quand on a les mêmes ingrédients et qu’on les partage tous à table», poursuit la chef.
Instrument de réconciliation
C’est un esprit d’ouverture aux autres et de réconciliation qui anime les deux protagonistes. «Le but de Familles d’autrefois, c’est de créer un pont entre nos deux solitudes, la canadienne-française et l’autochtone. L’autochtone se veut globale, pas juste abénakise, bien que l’abénakise prenne énormément de place parce que c’est ce que je connais le plus», ajoute Lysanne O’Bomsawin.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/TN2UOLAEWFC7BMCYKBVLKASSQA.jpg)
«Comme le dit l’adage, dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es. Moi, je pars de ça et en créant ce lien-là, en créant un certain partage, un engouement, une curiosité. Je leur rappelle d’où ils viennent en même temps.» On s’imagine qu’il est ainsi plus aisé de se réconcilier le ventre plein.
Jacques T. Watso abonde dans le même sens: «C’est une approche que j’ai trouvée géniale, de faire découvrir la culture autochtone par la bouffe. On mange deux, trois ou quatre fois par jour. Ça rapproche et ça rappelle des souvenirs.»
Pour le développement de son commerce, ce dernier entend profiter de la vague d’intérêt envers les premiers peuples qui s’est amplifiée au cours des dernières années. Sagamité Watso compte notamment sur le tourisme, de plus en plus populaire à Odanak, pour faire connaître ses produits.
«Ç'a éveillé une curiosité, mais aussi un sincère désir de découvrir quelque chose de nouveau. Dans le secteur touristique, les gens se tournent vers la gastronomie. C’est un des grands piliers du nouveau tourisme qui permet de vivre une expérience différente», expose celui qui a également été candidat pour la formation Québec solidaire dans la circonscription de Nicolet-Bécancour lors des dernières élections provinciales.
«Les nouvelles générations sont plus ouvertes et plus inclusives. Elles veulent accueillir et découvrir, pas juste les autochtones, mais toutes les cultures. Si on peut faire découvrir un élément de notre culture, c’est une plus-value pour l’ensemble de la société. Si on peut, par un bol de soupe, avancer dans la direction de la réconciliation, c’est tant mieux. C’est ça le but aussi.»